Une proposition de loi insuffisante pour promouvoir une véritable politique citoyenne de la « société de l'information »

Saint-Denis, le 3 mai 2000. Communiqué de presse, pour diffusion immédiate

L'Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre accueille de façon mitigée une nouvelle proposition de loi concernant les standards ouverts et l'accès au code source des logiciels pour les services publics. Cette proposition va dans le bon sens, mais ne s'écarte que marginalement du droit positif actuel, et oublie en chemin la protection des libertés du public, en se concentrant essentiellement sur le secteur public.

Néanmoins, cette proposition de loi a le mérite de questionner l'action des pouvoirs publics sur de vrais enjeux de société.

Trois députés viennent de rédiger une nouvelle proposition de loi [1] pour rendre obligatoire l'utilisation par les services de l'État de standards de communication ouverts (article 1), l'utilisation de logiciels dont les codes sources leurs sont accessibles (article 2), et le droit pour tous à la compatibilité logicielle (article 3). Comme l'explique l'exposé des motifs de cette proposition, elle reprend de fait des principes républicains essentiels comme le libre accès du citoyen à l'information publique, et la nécessaire pérennité des données publiques.

L'APRIL est bien entendu favorable à l'obligation pour les services de l'État d'utiliser des standards de communication et de données ouverts pour leurs échanges électroniques, ceci assurant la pérennité du patrimoine public numérisé et le droit fondamental de libre accès à l'information publique. De plus, ceci ne peut qu'être favorable à l'adoption la plus large des Logiciels Libres, qui est au coeur de notre action.

Cependant, on peut émettre des doutes sur la capacité de l'État et du gouvernement à mettre en pratique ses propres propositions, à faire respecter dans ses services le droit existant, ou à adopter des mesures progressistes lorsqu'elles sont proposées. L'article 1 de la proposition socialiste, qui a pour fondement la déclaration des droits de l'homme de 1789, sera-t'il appliqué efficacement ? D'autres propositions similaires ont été faites par le passé, notamment dans le rapport Baquiast de 1998 [2]. Or l'État utilise toujours massivement des standards de communication propriétaires, y compris dans sa communication avec les citoyens. L'article 2 correspond à une version amoindrie de la proposition de loi des sénateurs Laffitte/Trégouët/Cabanel [3]. Cet article, tout comme la proposition des trois sénateurs, pourrait être mis en pratique immédiatement pour peu que les responsables de collectivités locales et l'Etat prennent une attitude responsable en matière d'équipement informatique. Or, on sait que son examen au parlement a été rejeté par le Garde des Sceaux récemment. Il nous semble également que l'article 2 de la proposition socialiste s'apparente à l'article 12 du Code des Marchés Publics [4], puisque la section technique de la Commission centrale des marchés a le pouvoir, voire le devoir, d'imposer l'utilisation de standards lors de la définition du cahier des charges d'un marché public.

Concernant l'article 2 et l'accès au code source des logiciels pour les services de l'Etat, nous nous étonnons qu'il ne soit pas fait mention des aspects pratiques (notamment concernant la nécessité d'un droit à la modification par les service de l'Etat des sources des logiciels qu'ils utilisent, au-delà d'une simple accessibilité en consultation).

Il nous semble également que le Code des Marchés permet de faire bénéficier l'administration cliente d'un droit à la maintenance des programmes, qui s'apparente à un droit de modification du code source. Ces dispositions ne sont pourtant que très rarement appliquées. Une responsabilisation des acteurs plus importante, et une simple directive gouvernementale suffiraient donc pour obtenir le même résultat dans ce domaine.

L'article 3, instaurant le droit à la compatibilité logicielle, ne fait apparemment que reprendre exactement ce que dit déjà la loi. En effet, l'intéropérabilité est garantie par la directive européenne de 1991, retranscrite dans le droit français par la modification du Code de la Propriété Intellectuelle [5]. Cet article n'apporte donc rien de vraiment nouveau, mais a sans doute le mérite de mettre en lumière le fait que les règlements en matière de droit à l'interopérabilité ne sont pas appliqués par les gouvernements, et les offices de propriété intellectuelle, l'Office Européen des Brevets notamment.

Actuellement, en Europe, les brevets sur les programmes d'ordinateurs en tant que tels sont interdits. Le cas des brevets est exemplaire, tant la brevetabilité des logiciels met en danger le droit à réaliser des systèmes logiciels compatibles.

Ainsi, une directive européenne, préparée dans le but d'éliminer toute ambiguïté quand à la brevetabilité des inventions impliquant des logiciels, propose malheureusement une révision de l'article 52.2c de la Convention de Munich qui exclut précisément les programmes d'ordinateurs de la liste des inventions non brevetable (voir [6] à ce sujet). Or lors de la Conférence Intergouvernementale des Etats membres de la Convention de Munich en juin 1999, le Secrétaire d'Etat à l'Industrie Christian Pierret déclarait: « ... Il convient cependant d'aborder ce dossier avec la plus grande prudence sur le fond, et d'estimer précisément l'impact économique qu'aurait sur l'industrie du logiciel une modification, notamment en ce qui concerne les logiciels libre.» Cependant, des pressions puissantes poussent à changer cette position en Europe, sans réelle étude sur les impacts économiques, et les dangers concernant l'innovation. Plus grave, l'office chargé de faire appliquer la loi, l'Office Européen des Brevets, viole régulièrement la loi en acceptant des brevets sur des programmes d'ordinateurs en tant que tel. Qu'en est-il aujourd'hui des déclarations d'intentions du secrétaire d'Etat ? L'article 3 de la présente proposition garantirait en tout cas explicitement l'un des droits essentiels mis en péril par la brevetabilité des logiciels.

Pour rappel, Le Premier Ministre, dans un discours fondateur prononcé à Hourtin le 25 août 1997 [7], fit connaître à tous que le gouvernement faisait du passage de la France dans la société de l'information l'une de ses priorités politiques. L'action gouvernementale s'articulant autour de priorités dont notamment la réforme des services publics et de l'administration. Un ensemble de mesures techniques ont déjà été prises. Il reste à présent à donner un véritable aspect citoyen à cette action.

Quelles sont les chances de voir cette proposition mise aux votes ? On peut s'étonner de la prudence du gouvernement à appliquer des lois déjà existantes, à ne pas mettre à l'ordre du jour des propositions de lois minimalistes. Et le député Le Déaut explique lui-même dans Libération du 26/04/2000 « Par cette initiative, nous cherchons surtout à attirer l'attention des pouvoirs publics sur un vrai problème. » [8]. Or puisque cette proposition reprend justement des règlements qui existent déjà par ailleurs, nous considérons qu'elle devrait donc être votable sans aucun obstacle de taille. Espérons qu'un débat parlementaire pourra avoir lieu dans les meilleurs délais, et remercions ces députés de tenter à nouveau d'attirer l'attention des pouvoirs publics.

Quelle protection des libertés du public apporte cette nouvelle proposition de loi ?

En effet, l'article 2 ne semble s'appliquer qu'au secteur public, alors que, selon l'intitulé de la loi présenté dans le rappel des motifs, l'objectif est d'établir une loi « tendant à renforcer les libertés et la sécurité du consommateur et à améliorer la concurrence dans la société de l'information ». Dans sa rédaction actuelle, quelles garanties réelles cette proposition de loi s'efforce-t-elle de mettre en oeuvre en la matière pour les citoyens ou les entreprises privées (si ce n'est par effet de 'contagion' lié à l'effet prescripteur des services de l'état) ?

Nous regrettons ainsi que l'obligation de fourniture des codes sources (et un droit de modification associé) ne soit pas élargie à l'ensemble du marché du logiciel commercial, tout en conservant les prérogatives des auteurs ou éditeurs définies par le Code de la Propriété Intellectuelle.

Au moment où la classe politique fait des propositions allant dans le sens d'une société de l'information plus citoyenne, et à quelques semaines du vote du PAGSI, quel est le choix de société qui nous attend ?

En ce qui nous concerne, nous tenons à rappeler notre attachement à l'adoption la plus large par le secteur public, mais aussi par les acteurs privés, de solutions basées sur des Logiciels Libres, qui nous semblent les mieux à même de garantir les libertés essentielles réclamées par nos députés et sénateurs. Les logiciels libres garantissent par nature l'ouverture des protocoles et la conformité des objectifs aux besoins. On peut douter qu'il en soit réellement de même de logiciels propriétaires, mais à sources ouverts, qui chercheraient à contourner la présente proposition de loi par un recours à des standards pseudo-ouverts, ou une publication des sources limitée à certaines entités seulement, sans que le public ait réellement des garanties en la matière.

Nous appelons les trois députés socialistes à renforcer leur proposition de loi, en imposant l'usage des logiciels libres dans l'administration, en imposant la divulgation des codes sources de tous les logiciels, en imposant la publication des formats et standards de communication de tous les logiciels et en intégrant à leur proposition une agence des logiciels libres chargée du financement de la recherche en informatique libre dans les universités et dans les établissements publics.

Vivement une mobilisation républicaine afin de replacer au centre des préoccupations l'intérêt du public et le caractère universel du savoir et de l'information. Le rôle de l'État reste indispensable pour le développement d'une société de l'information citoyenne, mais les français doivent rester vigilants et se mobiliser pour traduire dans les faits un discours ambitieux.

Références

[1] http://www.assemblee-nationale.fr/11/propositions/pion2437.asp
[2] http://www.admiroutes.asso.fr
[3] http://www.senat.fr/grp/rdse/page/forum/texteloi.html
[4] http://www.finances.gouv.fr/reglementation/CMP/
[5] http://www.legifrance.gouv.fr/
[6] http://www.freepatents.org/
[7] http://www.premier-ministre.gouv.fr/PM/D250897.HTM
[8] http://www.liberation.fr/microsoft/actu/20000426merx.html

APRIL

L'APRIL, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre, créée en 1996, est composée de professionnels de différentes sociétés ou administrations, de chercheurs et d'étudiants. Elle a pour objectif de sensibiliser les entreprises, les administrations et les particuliers sur les risques des solutions propriétaires et fermées, et de les informer des potentialités offertes par les logiciels libres et les solutions basées sur des standards ouverts.

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