Régulation du net : toujours les bonnes vieilles méthodes...

Paris, le 12 février 2007. Communiqué de presse

À l'approche des élections, sous couvert de protection de l'enfance, un projet de décret du gouvernement étonne en détrônant la co-régulation au profit d'une commission administrative verrouillée aux pouvoirs extensibles. L'APRIL, membre du conseil d'orientation du Forum des Droits sur Internet, visé par ce projet, dénonce un gigantesque retour en arrière sur le plan conceptuel, le gouvernement semblant confondre internet et minitel, co-régulation et ORTF.

Le 31 janvier 2007, Philippe Bas, Ministre délégué à la Famille, a annoncé la création d'une Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne, officiellement destinée à classer les contenus accessibles depuis les téléphones mobiles (« tous publics », « déconseillé aux moins de douze ans »...) [1]

Le 7 février, la Ligue ODEBI divulguait un projet de décret « créant la Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne », visant un champ d'application bien plus large que la protection de l'enfance et les contenus des services multimédia mobiles.[2]

Le gouvernement souhaite créer une nouvelle structure administrative dont les membres seront nommés par le Premier ministre. Elle aura un rôle important dans la régulation de l'internet, puisqu'elle pourra attribuer ou retirer des labels (i.e. « label famille », « label confiance », « label citoyen », « label presse »,...) aux fournisseurs d'accès, hébergeurs et éditeurs de services en ligne, en fonction de recommandations « déontologiques » qu'elle aura elle-même rédigées. Elle sera donc en mesure de faire peser de nouvelles contraintes sur les acteurs de l'internet sans que ces contraintes n'aient été adoptées par voie législative ou réglementaire.

Malgré l'importance de la structure ainsi créée, aucune consultation large n'a eu lieu, notamment des associations d'utilisateurs ou des acteurs potentiellement sous la coupe de cette nouvelle Commission. Le conseil d'orientation du Forum des Droits sur Internet (FDI) n'a, par exemple, pas été consulté par le gouvernement sur ce projet qui pourtant le concerne puisqu'il y est mentionné.

Au regard des enjeux, l'APRIL, membre du conseil d'orientation du FDI, qui a déjà exprimé publiquement des inquiétudes sur ce dossier [3], a décidé de rendre public ce jour l'avis qu'elle a communiqué à la présidente du FDI. [4]

L'APRIL, qui a voté le 13/10/2006 en Conseil d'orientation la recommandation du FDI relative à l'établissement d'une classification des contenus multimédia accessibles depuis les téléphones mobiles, en vue de protéger les mineurs, y critique le fait que le champ d'intervention de la commission proposée par le gouvernement soit extensible bien au-delà de la stricte protection de l'enfance, qui est ici instrumentalisée, et que le projet vise in fine tous les acteurs français de l'internet.

Pour l'APRIL, ce projet « montre une volonté de reprise en main par l'État de la régulation de l'internet compte tenu notamment de la présence massive au sein de la nouvelle commission des représentants des pouvoirs publics dans cette commission, et du fait que les 14 personnalités qualifiées y siégeant sont désignées exclusivement par arrêté du Premier ministre, pour cinq ans, transformant donc ces nominations en choix politique, et encore plus si elles ont lieu à proximité d'élections nationales. (...) Par ailleurs, les quatre ''représentants'' des professionnels et des usagers siégeant au sein du comité des différends chargé d'interpréter les recommandations et éventuellement de sanctionner les professionnels ne les respectant pas, seront nommés par un second arrêté, parmi les membres déjà nommés par le premier arrêté, ce qui constitue un deuxième filtre politique particulièrement sensible, puisque ce comité sera chargé, en quelque sorte, de rendre une forme de justice. »

Le projet de décret « doit être signé et publié dans les prochains jours », comme le mentionne le courriel envoyé par le FDI à ses membres vendredi pour leur demander de communiquer un avis le plus rapidement possible sur ce projet en prévision du prochain conseil d'orientation du FDI qui se tiendra mardi prochain.

L'APRIL appelle les candidats à la présidentielle 2007 ou leur entourage à prendre position publiquement sur ce projet.

Références

[1] Discours de Phillipe Bas : http://www.famille.gouv.fr/discours/33_070131.pdf

[2] Projet de décret : http://odebi.org/docs/Projetdecretcommissiondeontologie.pdf

[3] PCINpact : Déontologie : vers l'instauration d'un ordre moral du Net : http://www.pcinpact.com/actu/news/34561-internet-filtrage-commission-deontologie-lab.htm

[4] Avis de l'APRIL : /files/documents/position-april-commission-deontologie.pdf

II- Complément

01net : Polémique autour de la régulation de l'Internet français (http://www.01net.com/editorial/341006/legislation/polemique-autour-de-la-regulation-de-l-internet-francais). Extrait :

« L'articulation de fonctionnement entre le FDI et cette nouvelle structure n'est pas claire », reconnaît une porte-parole du FDI, qui indique par ailleurs que le FDI n'a été consulté que de manière informelle sur la question (pour la rédaction du projet de décret, ndlr). Et si nouvelle structure il y a, il faudra veiller à ce que le fonctionnement de celle-ci n'ait pas pour conséquence de « fragiliser la concertation multi-acteurs » autour du Net, c'est-à-dire de remettre en cause les mécanismes de dialogue mis en place au fil des ans par le FDI.

« On risque, bel et bien, d'assister à une reprise en main du dossier Internet par le monde politique et les cabinets ministériels », note un observateur proche du dossier. « En l'an 2000, Internet ne faisait clairement pas partie de la communication politique. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Maintenant que les grands textes de loi sur la société de l'information sont entrés en vigueur, on peaufine les détails et, dans cette optique, le rôle du FDI pourrait ne plus être aussi central » .

À propos de l'APRIL

Pionnière du logiciel libre en France, l'APRIL est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du logiciel libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'APRIL est le partenaire privilégié pour la promotion et la défense du logiciel libre.

Dans le cadre de la campagne présidentielle 2007 l'APRIL a lancé le 30 janvier l'initiative Candidats.fr qui vise à inscrire le logiciel comme thème de la campagne électorale. Pour que chacun puisse s'exprimer et faire son choix en conscience, l'APRIL a communiqué aux candidats à l'élection présidentielle une synthèse-questionnaire et une liste de propositions concrètes. L'objectif est de permettre aux candidats de développer leur vision et de s'engager sur des thèmes en débat dans la communauté. Leurs réponses et engagements éventuels seront mis en ligne au fur et à mesure de leur réception. Fin février, une démarche similaire sera lancée pour les législatives.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, nous contacter par notre formulaire de contact ou par téléphone au 01 46 49 25 15.

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