Position de l'April sur la surveillance généralisée
Le scandale cristallisé autour de Prism, qui a révélé l'ampleur des écoutes généralisées commises par les États-Unis et certains de ses alliés sur les communications de tous les citoyens, a rappelé à la fois que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits humains ainsi que l'importance de maîtriser et de contrôler son système informatique. Comme nous l'indiquions déjà suite aux révélations d'Edward Snowden, la surveillance de masse devient de plus en plus le fait non pas d'un seul État mais des États, aidés en cela directement ou indirectement par de grandes entreprises. Et le problème ne fait que commencer ! Demain, une NSA chinoise aura certainement supplanté la NSA américaine, et un constat s'impose : les responsables politiques n’ont pas su tirer les leçons de ce scandale planétaire.
Au contraire, prétextant de l’actualité et du contexte géopolitique, la France a une nouvelle fois accumulé des lois liberticides, avec la loi de programmation militaire en décembre 2014, la loi sur le renseignement en juin 2015 et celle sur la surveillance internationale en octobre 2015. Et la prochaine ne se fera sans doute pas attendre longtemps. Nous devons mettre un frein, voire faire cesser cette compulsion obscène qui consiste à mettre un œil derrière chaque trou de serrure numérique. Ces lois correspondent à une logique de contrôle social au service de la vision d'une société docile parfaitement incarnée par Manuel Valls quand par exemple il se plaignait en mai 2015 de l'intolérable pression de la société civile lors des discussions sur la loi de surveillance. Elles confirment aussi la mise en place d’une société panoptique, où chaque citoyen est sous surveillance permanente et où la liberté d’opinion devient indésirable, voire parasitaire.
L'April comprend ainsi la surveillance comme un outil supplémentaire pour l'asservissement politique, culturel et économique. En effet, l'appareil de surveillance généralisée forme une nouvelle oligarchie dont l'avènement est largement dénoncé par la société civile, bien au-delà des sujets informatiques. Il accompagne le renforcement d'un modèle réactionnaire qui maintient l'immobilisme social, environnemental et économique au bénéfice d'une minorité. Il ne faudra pas longtemps pour que l'exercice des quelques libertés informatiques restantes devienne une intolérable infraction à la surveillance, justement parce qu'elles peuvent faire la différence et permettre aux citoyens de réfléchir, d'échanger, de construire et de contester l'ordre établi ; autrement dit, ces libertés permettent aux citoyens d'exercer leurs droits les plus élémentaires : maîtriser leur vie et essayer de se construire un avenir meilleur.
L'April s'est ainsi toujours opposée à la surveillance de masse en signant notamment les 13 Principes internationaux sur l’application des droits humains à la surveillance des communications (voir un résumé des 13 principes). Ces 13 principes, élaborés avec le concours d’un groupe d’experts internationaux, ont pour objectif de créer un cadre de référence pour la société civile, les entreprises et les États, afin que la législation et les pratiques en matière de surveillance en vigueur dans un pays respectent les libertés fondamentales. L'association s'est par ailleurs maintes fois mobilisée, aux côtés de La Quadrature du Net et d'autres organisations et personnes qui refusent de céder à la logique de surveillance généralisée, pour informer et agir sur les nombreux projets de loi étendant le spectre de la surveillance de masse.
L'April rappelle aussi régulièrement que cette surveillance de masse conduit de plus en plus à la remise en cause des grands principes de l'informatique libre : liberté de comprendre, liberté de faire évoluer un logiciel ou un matériel. Des algorithmes qui nous gouvernent aux « boîtes noires » en passant par l'introduction de portes dérobées dans les logiciels ou l’interdiction des modifications sous de faux prétextes sécuritaires, l'informatique devient un champ de bataille social, et l'expression « maîtriser son informatique ou être maîtrisé par elle » acquiert une signification inquiétante. Les logiciels libres, parce qu'ils peuvent être vérifiés et améliorés par tous, demeureront pour longtemps une brique de base nécessaire à la construction d'une informatique au service des utilisateurs, et non pas un outil au service de ceux qui souhaitent les asservir.