Plus de brevets, moins de démocratie : le retour du brevet de l'Union au Parlement européen

La question des brevets est de retour sur la scène européenne avec l'examen jeudi 20 janvier 2011 par la commission JURI1 d'un projet de coopération renforcée. Un tel projet permettrait à quelques pays de décider seuls d'un futur brevet unitaire qui échapperait à tout contrôle démocratique. Un tel projet fait courir un grand risque de dérives comme une réintroduction de la brevetabilité des logiciels.

La mise en place d'une coopération renforcée2 sur le brevet unitaire3 est avancée en réponse à la complexité apparente des négociations : la question du multilinguisme est en effet un des points de questionnement de ce dossier depuis 19994. Cependant cela n'explique pas la précipitation dans laquelle ce projet est discuté : alors que la question est débattue depuis plus de 10 ans, les délais prévus pour l'adoption sous-entendent une urgence pourtant inexistante.

Les porteurs du projet5 semblent vouloir agir avant que la CJUE6, pourtant régulièrement consultée, ne puisse rendre son avis sur le sujet. Alors que l'avis fuité des Avocats généraux de la CJUE s'oppose au projet7, l'April s'inquiète de cette tentative de passage en force du texte, qui ne laisse le temps ni aux parlementaires de s'informer ni à la société civile de réagir publiquement.

Le risque est d'autant plus grand que le texte proposé s'articule autour d'une structure semblable à celle de l'Office Européen des Brevets (OEB), bien que ce soit deux organisations indépendantes8. Celui-ci a en effet accordé de nombreux brevets illégaux, dont certains sur des logiciels. Ses dérives ont d'ailleurs été dénoncées à de multiples reprises, au point que la Grande chambre de l'OEB elle-même a appelé le législateur à reprendre la main. Mettre en place une structure semblable, sans même tenter de remédier aux dérives pourtant connues et identifiées, et en supprimant tout contrôle, représente le réel danger pour l'innovation aujourd'hui.

Pour plus d'information, la Foundation for a Free Information Infrastructure a également publié une lettre ouverte aux parlementaires européens (en anglais).

  • 1. Commission des affaires juridiques du Parlement européen.
  • 2. Le texte soumis au vote est disponible sur le site du Parlement européen.
  • 3. Le brevet unitaire, ou brevet de l'Union Européenne, est un projet ancien de titre unique sur l'ensemble de l'Union Européenne. À l'heure actuelle, le droit des brevets en Europe est régi par la Convention sur le brevet européen, accord international auquel ont adhéré les pays membres de l'Union Européenne, ainsi que d'autres États. Chaque brevet européen accordé est ensuite décliné en brevets nationaux selon les demandes faites par le déposant, qui paye une redevance dans chaque état signataire de la Convention où il veut que son brevet soit valide. Le projet de brevet unitaire reviendrait en revanche à ce qu'un seul brevet soit immédiatement valable dans tous les pays de l'Union.
  • 4. Selon le traité de Lisbonne, aujourd'hui, la mise en place d'un brevet de l'UE exigerait l'unanimité du Conseil et une approbation du Parlement européen pour résoudre la question de la langue du brevet.
  • 5. Le rapporteur du projet est Klaus-Heiner Lehne, qui s'est déjà distingué sur les brevets logiciels.
  • 6. Cour de Justice de l'Union Européenne.
  • 7. L'opposition des Avocats généraux se base principalement sur l'absence de contrôle par un tribunal indépendant : les seules voies de recours actuellement envisagées seraient internes à l'organisation.
  • 8. Un projet d'unification des deux structures a été évoqué, mais représente une réelle complexité juridique, l'Union Européenne et la Convention Européenne des Brevets étant des traités différents et ne regroupant pas les mêmes pays.