Open Bar : La Défense persévère dans sa stratégie de la mauvaise foi
Dans la réponse à la question écrite n° 24267 de la Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam le ministère de la Défense annonçait l'existence d'un « bilan risques-opportunités », base rationnelle à la conclusion de l'Open Bar Microsoft. En réalité, pour l'administration, le fait du prince vaut analyse, confirmant que loin d'un choix rationnel et raisonné, l'Open Bar est bien une décision purement politique s'inscrivant dans d'opaques jeux de pouvoirs au mépris de l'intérêt général.
Suite à la déclaration du ministère de la Défense,
l'April avait demandé communication du « bilan risques-opportunités »
et des d'études « en termes d'évaluation des risques,
de recherche de mesures tendant à réduire les risques envisageables, ainsi que d'analyse des opportunités »
également mentionnées dans la réponse à la Sénatrice.
Retour de la Direction des affaires juridiques du ministère : toutes ces informations figurent (sic) dans un document qui nous avait été communiqué en juin 2013 !
Il s'agit de la fiche n°513 (n° 513/DEF/DGSIC/DA-AT, en PDF)
de mai 2008 du comité de pilotage en charge de l'évaluation du contrat Open Bar proposé par Microsoft.
Nous ne nourrissions pas particulièrement l'espoir de recevoir de l'administration
des éléments rationnels et tangibles justifiant le choix de l'Open Bar,
mais considérer cette fiche comme un « bilan risques-opportunités »
est un sophisme à peine dissimulé.
Replaçons ce document dans le contexte de sa rédaction (relire également notre rappel chronologique précédant la diffusion de l'émission Cash Investigation du 18 octobre 2016 sur l'Open Bar) :
- En juillet 2007, la direction générale des services d'information et de communication (DGSIC) mandate un comité de pilotage, ou comité directeur, présidé par le directeur adjoint de la DGSIC, M. Alain Dunaud - actuellement en charge des marché Défense pour le groupe Sopra Steria - pour étudier la proposition Open Bar de Microsoft.
- Ce comité charge un groupe de neuf experts militaires d'une analyse de risques construite autour de quatre scénarios. La conclusion du rapport des experts est la suivante : « compte-tenu des risques élevés et du surcoût par rapport à la situation actuelle, le groupe de travail déconseille la contractualisation sous forme de contrat global [l'Open Bar] sauf à le limiter au périmètre de la bureautique » (lettre n°184/DEF/DGSIC/SDAI du 18 janvier 2008 et son annexe).
- Le 15 février 2008, l'état-major des armées (EMA) remet à la DGSIC une note (n°305/DEF/EMA/EPI/PSIOC/NP, en PDF) où est expliqué sans aucun argument probant que de telles conclusions sont « partiales » et « difficilement vérifiables et exploitables ». L'EMA précise ensuite que « pour se conformer aux orientations ministérielles », il recommande de « poursuivre la démarche de contractualisation avec la société Microsoft », ignorant donc les risques soulevés par l'étude des experts.
- En mai 2008 enfin, le comité de pilotage signe la fiche n°513, présentée en janvier 2017 comme un « bilan risques-opportunités » par l'administration dans sa réponse à la question écrite d'une Sénatrice.
Analysons ensuite le contenu de cette fiche présentée par l'administration comme l'aboutissement des « travaux et réflexions conduits par la direction des systèmes d'information et de communication, préalablement à la signature de l'accord [Open Bar] » :
- Neuf risques, tirés du rapport, sont ainsi considérés « comme les plus dangereux », la dépendance ou le coût de sortie par exemple. Aucune mention, en revanche, des risques de « portes dérobées » ou de « perte de souveraineté nationale » pourtant clairement identifiés par les experts. Détails secondaires semble-t-il !
- Sont ensuite mentionnées quelques opportunités « évaluées » par le comité de pilotage comme la capacité de « rationaliser le patrimoine logiciel du ministère » Aucun des critères d'évaluation retenus n'est précisé.
- Enfin, ce même comité « estime » dans un très court paragraphe intitulé « bilan risques-opportunités » que les risques mentionnés s'éteindront par la conclusion du contrat, pourront « être gérés par des actions adéquates », ou n'augmenteront « pas sensiblement » avec ce modèle de contractualisation. De là à agir effectivement pour le développement d'une informatique maîtrisée et pérenne...
Lire ces différents documents est révélateur car ils montrent que le choix d'un contrat Open Bar fait bien suite à une décision politique visiblement prise antérieurement aux études sur la faisabilité et les risques. Et ces mêmes études - pourtant réalisées par les plus hautes autorités nationales concernant les armées et la Défense - ont été ignorées puisqu'elles ne correspondaient pas aux décisions déjà prises. En ce sens, la réponse du ministère participe de cette même stratégie de la mauvaise foi. Le rapport des experts est présenté comme « l'un des pans des travaux et des réflexions », pourtant ce document, avec le rapport très réservé du rapporteur à la commission des marchés publics, sont les seuls éléments rationnels connus du public.
Enfin, ultime illustration de la mauvaise foi caractérisant cette affaire,
le ministère annonçait en réponse à la question écrite de la Sénatrice
qu' « il convient d'observer que ce n'est pas le scénario
déconseillé par le groupe d'experts qui a été retenu, mais celui qualifié de "risqué" ».
La fiche n°513 mentionne pourtant clairement que l'accord porte sur
« la totalité du catalogue [Microsoft] à l'exception des jeux ».
Le rapport des experts précisant en outre que « le scénario 2
"offre Microsoft sur tout le catalogue" est déconseillée » et
« le scénario 3 "offre Microsoft adaptée sur le seul périmètre
bureautique (dit 90/10)" est risqué ».
La conclusion de ce syllogisme ne parait pourtant pas sujette à interprétation.
Le soi-disant « bilan » confirme donc l'incohérence du propos.
N'en déplaise au ministère de la Défense, les avis, évaluations et estimations sans fondement ne peuvent faire office d'études et encore moins de « bilan risques-opportunités ». Au vu de l'entêtement de la Grande Muette, la création d'une commission d'enquête parlementaire semble plus que jamais nécessaire, voire incontournable. L'April invite les prochains candidats à une mandature nationale à prendre position sur ce sujet capital de souveraineté numérique.