[liberation.fr] Web storming
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Notre mission, c’est d’aider les entreprises à capter les meilleures idées dans le monde et à les utiliser pour définir des solutions stratégiques prioritaires.» Anil Rathi, le patron d’IdeaCrossing, n’est pas peu fier de compter parmi ses clients des grandes entreprises comme Hilton, American Express, Harley Davidson ou Daimler Benz. Les bonnes idées, c’est sa spécialité. Sa petite entreprise de dix salariés, basée à Cleveland, les trouve sur Internet. Elles proviennent d’un réseau de plus de 2000 étudiants et de 88 diplomés en économie.
Exploiter la matière grise des blogs, forums, et autres expressions du Web comme source d’innovation, c’est le crédo d’IdeaCrossing, mais aussi de bien d’autres entreprises comme NineSigma ou Marketocracy. En anglais, on appelle ça le crowdsourcing . Le principe : une foule d’internautes répond à un concours ou une proposition émise par le crowdsourcer sur un thème défini. Ce dernier rassemble et stocke les bonnes idées ou informations en offrant une récompense aux heureux élus. Puis il les revend plus cher à des particuliers, des entreprises ou des investisseurs qui en ont fait la demande. Cela a l’avantage de la simplicité.
La ressource utilisée pour le crowdsourcing peut prendre des formes plus ou moins élaborées : internautes sollicités au hasard, panel constitué au fil du temps par des crowdsourcers spécialisés, sites et forums dédiés à l’accouchement d’idées d’internautes ou encore communautés d’internautes décidant d’exploiter le filon. Ainsi celle de Cambrian House. Forte de 64 000 personnes, elle est sur le point de lancer Vencorps, un site web sur lequel des investisseurs et capital risqueurs évalueront des idées de création d’entreprise. Cambrian récompensera l’internaute ayant proposé le meilleur projet en lui offrant des parts de Vencorps.
Bénéfice. Le modèle d’inspiration de ce nouveau service, c’est l’encyclopédie Wikipedia sur Internet. Rédigée par des milliers d’internautes, elle est régulièrement mise à jour et offre une mine d’informations. Simplement, ce modèle participatif est appliqué au domaine des idées commerciales et innovantes. Et le tour est joué. Pour les entreprises qui font la chasse aux coûts, c’est tout bénéfice. S’adresser à des internautes de talent, plutôt qu’à des professionnels aux tarifs élevés, leur permet de ramener des compétences à moindre frais et parfois même gratuitement ! Certes, toute idée émise par une foule virtuelle n’est pas nécessairement bonne. Mais si elle est nouvelle et formulée par de nombreuses personnes, c’est qu’elle a de bonnes chances d’être déjà socialement reçue, et donc commercialement peu risquée.
L’un des pionniers du genre, la plateforme InnoCentive, a ainsi permis à Ed Melcarek, internaute et chercheur, âgé de 57 ans, de gagner une prime de 25 000 dollars en aidant l’unité de recherche et développement de Colgate-Palmolive à trouver une nouvelle formule de dentifrice. Dans le même esprit, YourEncore utilise un réseau de 4 000 chercheurs à la retraite prêts à retrouver des connaissances oubliées ou résoudre les colles posées par ses clients Procter et Gamble ou Boeing. Comme pour IdeaCrossing, les contributeurs qui ont été retenus cèdent leurs droits de propriété intellectuelle contre des royalties, de l’argent ou un emploi. «Le contributeur doit même signer un engagement qui couvre tout conflit d’intérêts, de confidentialité et de cession de droits», précise Brad Lawson, patron de YourEncore.
Avenir radieux. La France n’est pas en reste. La start-up grenobloise Crowdspirit a ouvert sa «boîte à idées» sur son site, en septembre 2007. Elle permet à des inventeurs indépendants ou bidouilleurs avertis qui ont du temps libre d’exposer leurs trouvailles de produits électroniques. Les internautes les commentent, les notent et les complètent. Ensuite, «c’est aux industriels qui ont repéré certaines inventions de contacter les inventeurs et de gérer cela entre eux», explique Lionel David, le fondateur de Crowdspirit. Les internautes reçoivent, en fonction de leur prestation, des «points» donnant droit à un ou plusieurs produits. Après évaluation des coûts de développement, si un nombre suffisant de promesses d’achat permettent de rentabiliser le produit, celui-ci est proposé à la vente.
«La force de tels réseaux provient de la diversité des profils intellectuels qu’ils recrutent, affirme Karim Lakhani, professeur à Harvard, qui a étudié le phénomène. Les réseaux les plus efficaces sont ceux qui tissent la plus large gamme d’informations, de connaissances et d’expériences.» Selon ce dernier, le mécanisme permet d’intégrer «l’expertise qui se trouve à la périphérie. On assiste à la naissance d’un nouveau type de compétition, le savoir 'qualifié' de la foule contre celui de l’expert et du professionnel». Ce phénomène, en train de s’organiser en véritable marché, pourrait progressivement concurrencer l’économie traditionnelle. Quand on sait que plus d’un milliard d’individus utilisent aujourd’hui le réseau en ligne, impossible de passer à côté du potentiel que représente cette «foule solitaire» pour l’avenir du commerce et des échanges. D’ici à 2015, pratiquement tous les réseaux fixes de communication et de diffusion seront fédérés sur la Toile. Pour les directions de marketing, cela ressemble à un avenir radieux. «Le libre-échange des idées sera la grande idée du siècle», souligne Denis Ettighoffer, auteur de Netbrain (Editions Dunod).
L’engouement pour les sites participatifs de partage d’idées et de projets est voué à s’emballer, l’augmentation massive du nombre d’internautes dans les pays émergents laissant entrevoir un marché considérable. Avec Internet, de plus en plus d’amateurs sont capables de réaliser et de vendre des choses qui étaient autrefois la chasse gardée de professionnels. Autodidactes, étudiants qualifiés ayant du mal à trouver un emploi ou seniors qui ont besoin d’un complément de ressources, le crowdsourcing permet d’avoir une activité d’appoint, qui échappe d’ailleurs au fisc grâce au système du micropaiement sur Internet... Ou simplement d’avoir une activité tout court, bénévole. «Le caractère inédit du crowdsourcing, c’est non seulement son ampleur économique mais aussi son impact sociétal»,soutient Jeff Howe, journaliste au magazine Wired, qui publiera, en juillet prochain, un livre sur le crowdsourcing aux Editions Crown Books.
Esclavage. A l’exemple de YouTube dont les ressources (des vidéos) sont produites par une foule virtuelle d’amateurs non rémunérés, de nombreuses start-up de la nouvelle économie reposent sur l’exploitation du bénévolat de millions d’internautes. «Ce phénomène qu’on pourrait, dans un futur proche, qualifier d’'intérim 2.0', tend à se généraliser. Il concurrence progressivement l’économie dite traditionnelle», fait observer Jeff Howe. Ce dernier montre que ce qui était un épiphénomène, cantonné dans le monde du logiciel libre (open source), est en train de conquérir l’attention du monde des affaires. Du coup, certains pronostiquent la disparition des experts et artisans à plus ou moins court terme. Un avant-gout du côté de l’image : on peut acheter une photo d’amateur chez le crowdsourcer iStockphoto pour le dixième du prix d’une photo fournie par une agence ou un photographe professionnel. Les «photo-internautes» ne gagnent même pas de quoi financer leurs appareils photo ou les licences de mise à jour des logiciels, alors que les revenus d’iStockphoto augmentent de 14 % par mois.
Le phénomène provoquera-t-il l’appauvrissement généralisé des idées individuelles, la créativité personnelle ayant le plus grand mal à rivaliser avec la masse des tendances, résultats de goûts collectifs qui sont dans l’air du temps ? Les détracteurs du crowdsourcing parlent déja de madsourcing ou de stupidsourcing. Ils dénoncent une nouvelle forme d’esclavage, une nouvelle place de marché du pauvre, la pire, puisque les esclaves sont volontaires pour réaliser des petites tâches pour quelques centimes. »
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