Loi Avia contre la haine sur Internet - Décryptualité du 18 mai 2020
Titre : Décryptualité du 18 mai 2020 - Loi Avia contre la haine sur internet
Intervenant·e·s : Nolwenn - Nico - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 18 mai 2020
Durée : 14 min
Écouter ou enregistrer le podcast
Revue de presse pour la semaine 20 de l'année 2020
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : No Hate, We The Net - Licence Creative Commons Attribution 3.0.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
La loi Avia fraîchement votée fait grincer des dents et fait l'objet de nombreuses contestations.
Transcription
Voix off de Luc : Décryptualité.
Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.
Luc : Semaine 20. Émission tous à distance puisque, à part Nolwenn et Nico qui sont au même endroit, on est séparés, mais ça ne nous empêche pas de faire le podcast de cette semaine et on va commencer, comme d’habitude, avec notre sommaire de la revue de presse.
Nolwenn : Sciencepost, « La médecine open source peut-elle nous aider à nous préparer aux prochaines pandémies ? », un article de Yohan Demeure.
Manu : Un article d’actualité, le covid bien sûr, et le fait que quand on cherche des solutions, des vaccins contre les éventuelles futures pandémies, eh bien le Libre, l’open source, ça peut être très utile.
Nolwenn : Le Monde Informatique, « Open Source : utilisateurs ou contributeurs qui sont les plus importants ? », un article de Matt Asay.
Manu : Je trouve que c’est un sujet très intéressant, de fond, parce qu’effectivement, quand on produit du logiciel libre, on ne le produit pas forcément pour des utilisateurs externes à soi-même et c’est intéressant en soi. J’aime beaucoup, allez jeter un œil.
Nolwenn : ITforBusiness, « Etalab publie sa liste 2020 des logiciels libres recommandés aux organismes publics ? », un article de Laurent Delattre.
Manu : Ça reparle du référentiel d’interopérabilité des logiciels libres, c’est quelque chose d’assez intéressant parce que les administrations se mettent au goût du jour et utilisent des bons logiciels.
Nolwenn : 01net., « Health Data Hub : nos données de santé vont-elles être livrées aux Américains ? », un article de Marion Simon-Rainaud.
Manu : C’est une problématique assez intéressante, la vie privée des Français est en jeu parce que toutes les données qui sont médicalement remontées en ce moment peuvent terminer aux États-Unis et c’est problématique parce que les États-Unis ont des lois assez agressives sur le sujet, donc on ne sait pas exactement ce qui va en ressortir. Mediapart a aussi fait des choses là-dessus et il y a une lettre qui est en train d’être montée pour essayer de se battre contre ça.
Nolwenn : Pour le prochain article, je m’excuse auprès des auditeurs pour mon accent. ZDNet, « Linux not Windows: Why Munich is shifting back from Microsoft to open source – again », un article de Cathrin Schaer.
Luc : C’est pas si mal !
Manu : Là aussi on a déjà abordé le sujet la semaine dernière et je pense qu’on l’abordera à nouveau parce que Munich faisait beaucoup de logiciel libre, suite à un changement de la majorité qui avait bougé, eh bien là ils repassent encore une fois, suite à un mouvement de majorité, au logiciel libre. C’est plutôt sympa au final, même si ça fait un peu yo-yo, c’est bizarre.
Nolwenn : ZDNet, « La fondation Eclipse migre vers l'Europe et s'installe à Bruxelles », un article de Thierry Noisette.
Manu : Eclipse c’est un logiciel et une fondation qui sont très orientés développeur. C’est très important dans le monde du logiciel libre, notamment autour de l’écosystème Java. Donc le fait que ça migre vers Bruxelles c’est intéressant, c’est rigolo aussi. Ils en appellent du fait que l’Europe est très intéressée par les logiciels libres et c’est attractif pour eux. C’est plutôt sympa, on va suivre parce que c’est une fondation de droit belge donc sûrement des bizarreries qu’il faudra qu’on regarde un petit peu.
Nolwenn : Journal du Net, « L'innersource : quand l'open source inspire l'excellence en matière de transformation numérique », un article de Alain Helaïli.
Manu : Ça parle effectivement des entreprises et du fait qu’en ce moment et depuis déjà quelques années, du Libre il percole des nouvelles méthodologies, des nouvelles manières de travailler qui transforment les entreprises. C’est plutôt sympa. Le terme « innersourceme » me paraît un peu nouveau, je ne l’avais pas encore vu apparaître.
Le sujet de la semaine ? De quoi voulez-vous parler ?
Luc : L’ide c’était de parler de la loi Avia1 qui en plein dans l’actualité.
Nolwenn : Encore !
Luc : Elle a été votée la semaine dernière, mais, malgré ça, il y a pas mal de remous autour de ça. En premier lieu à cause de Laetitia Avia elle-même, parce que ce n’est pas la députée la moins contestée. Elle avait déjà une affaire de longue date où elle avait mordu un chauffeur de taxi suite à une altercation affreuse et, tout récemment, il y a des histoires qui sortent : un certain nombre de ses anciens assistants parlementaires l’accusent de racisme, de sexisme, d’homophobie et de tout plein de choses de ce type-là. Elle les attaque pour diffamation ; ils l’attaquent pour harcèlement, donc une affaire un peu compliquée, qui est anecdotique par rapport au sujet, si ce n’est que cette loi parle de haine sur Internet et que les accusations dont elle fait l’objet font bizarrement écho à ce sujet. On ne va pas se pencher là-dessus, mais je trouve ça plutôt rigolo.
Nico : On va quand même rappeler un peu le départ de la loi Avia. Ça fait suite à 2018/2019 où il y a eu beaucoup d’histoires de harcèlement sur Internet avec aussi pas mal d’affaires, MeToo ou autres, qui sont arrivées là. Il y a eu des espèces de raids organisés envers certaines personnes qui se sont retrouvées harcelées sur les réseaux sociaux. Les politiques se sont un peu emparés du sujet avec leur fameux motto comme quoi c’est le Far West sur Internet, qu’il n’y a pas de loi et que n’importe qui peut faire ce qu’il veut, il y a anonymat. Donc ils ont sorti cette loi qui, en résumant assez rapidement, impose aux plateformes des outils de censure, de modération, de possibilités de rapports et autres pour essayer de civiliser l’Internet du Far West.
C’est assez bordélique, en fait, comme loi, parce que ça touche vraiment beaucoup de sujets comme d’habitude sur ce genre de thème. On a vu aussi tout ce qui est l’aspect sécuritaire, terrorisme, pédopornographie, radicalisation sur Internet, qu’ils ont aussi essayé de faire passer dedans. Ça touche à des lois européennes, à des anciennes lois françaises, la LCEN [loi pour la confiance dans l'économie numérique] a été aussi un peu amendée pour permettre ça. Alors qu’en fait ce n’est pas du tout ce qui est demandé sur le terrain puisque ce qui est demandé sur le terrain ce sont des gens pour enquêter, c’est de l’encre pour les stylos, plein d’outils comme ça.
Luc : On peut rappeler qu’il y a quoi, un an peut-être, un an ou deux, il y avait une affaire qui avait fait pas mal de bruit avec une journalise qui s’appelle Nadia Daam qui avait été harcelée par un gros paquet d’imbéciles et, effectivement, ça semble s’être calmé le jour où la police en a chopé deux, les a envoyés devant un tribunal. Le harcèlement touche plein de gens, y compris des gens qui ne sont pas journalistes et qui n’ont pas un carnet d’adresses bien long et effectivement sont fort dépourvus dans ce genre de circonstance.
Manu : Il me semble que c’était même remonté au niveau politique et que les médias avaient accusé les hommes politiques de ne pas prendre le sujet à bras le corps, de ne pas s’en emparer. Justement il y avait un côté « faites quelque chose quoi ! »
Nico : Cette loi est vraiment faite comme ça. On le dit toujours, les politiques ne pouvaient pas ne rien faire. Ils ont préféré sortir une loi un peu d’exception comme on a trop l’habitude qu’ils sortent depuis une dizaine d’années. Ils ont fait une loi sur mesure pour réagir aux demandes populaires en faisant tout et n’importe quoi et ce texte-là est quasiment inapplicable en pratique avec des dérives assez monstrueuses. Donc toutes les associations sont un peu vent debout contre cette loi, des saisines du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État, de la CJUE [Cour de justice de l'Union européenne] sont en cours pour essayer de faire reculer ce texte de loi.
Luc : Ça avait déjà commencé en novembre dernier puisque la Commission européenne avait critiqué très fortement le texte en disant qu’il posait beaucoup de problèmes, parce que justement, disproportionné à la liberté de circulation2 puisqu’il permet de bloquer très rapidement des contenus. Elle remettait également en cause la responsabilité des hébergeurs selon la loi LCEN qui est faite selon des directives européennes et également la surveillance généralisée puisqu’il y a des principes pour empêcher la réapparition de contenus dans la loi. Donc elle avait demandé à ce que ce projet de loi soit suspendu. C’est dire à quel point, en novembre dernier, elle avait confiance, elle était convaincue par le projet de loi de l’époque !
Manu : On peut peut-être remarquer et noter de quoi il s’agit exactement, c’est-à-dire c’est quoi l’outil qui veut être mis en place par cette loi ?
Nico : Un peu de tout, mais la plupart des outils tournent autour de la censure et de la modération des contenus. Pour résumer, si vous recevez une notification que ce soit d’un utilisateur, d’une autorité, de l’État, de la police ou, etc. qui dit « ce contenu-là est potentiellement harcelant ou autre », vous avez une heure, en tout cas des délais très courts – ça va osciller entre une heure, 24 heures et 7 jours en fonction des délais, mais globalement c’est moins d’une semaine – pour prendre une décision, est-ce que ce contenu est illicite ?, agir en conséquence et surtout, vous portez la responsabilité de votre choix. C’est-à-dire que si vous décidez de censurer et que la demande était abusive, c’est vous qui sautez ; si vous ne bloquez pas alors que la demande n’était pas abusive, eh bien c’est vous qui sautez aussi. Du coup les plateformes ne vont pas avoir trop d’autre choix que de tout bloquer préventivement parce que, au final, c’est moins risqué pour elles et ça peut donner lieu à plein de suspensions sans fondement.
Nolwenn : Que ce soit les plateformes, je veux bien, mais quand tu es un particulier ou une association, ça se passe comment?
Nico : Ça sera pareil. On attend les décrets, parce que c’est aussi le gros problème de cette loi, c’est ce qu’on appelle une loi molle c’est-à-dire qu'elle donne les grosses bases dans le texte de loi mais elle renvoie toutes subtilités dans les décrets d’application. En particulier à partir de combien de chiffre d'affaires ou d’utilisateurs voua allez être considérée comme une plateforme qui doit respecter cette loi-là, eh bien aujourd’hui on sait pas. On ne sait pas s’ils mettront un minimum de 1000 utilisateurs, 10 000 utilisateurs, est-ce que ce serait une entité commerciale, pas commerciale ? On n’en sait rien.
Nolwenn : Donc ce sera le juge qui tranchera ? Ah non, c’est la police ? C’est ça ?
Nico : Ce seront les décrets d’application qui seront décidés par le gouvernement parce que les décrets d’application n’ont pas besoin de passer devant l’Assemblée nationale ou le Sénat.
Manu : Il est possible que ça soit encore une loi anti-GAFAM qui veuille les contrôler, les bloquer, essayer d’organiser ce qui se passe chez eux.
Nico : Anti-GAFAM ou pas anti-GAFAM parce que la plupart du temps, quand on fait des lois anti-GAFAM, au contraire on a tendance à les arranger. Là, au contraire, ils risquent d’avoir la plus grosse puissance de frappe avec de l’intelligence artificielle, avec plus d’employés pour modérer, etc., donc réussir à respecter cette loi-là, voire à tout censurer dès qu’il y aura un signalement, pour eux ce sera très simple, alors qu’une association ne pourra pas forcément fonctionner comme ça.
Luc : Si le signalement tombe en plein milieu de la nuit et qu’on a une heure pour réagir, ce sera compliqué !
La semaine dernière, quelques jours avant le vote de la loi, un amendement a été passé qui a beaucoup fait jaser parce qu’il introduisait des dispositions spécifiques sur le terrorisme et la pédopornographie. Du coup, on n’est plus tellement dans le domaine de la haine sur Internet, on est dans des domaines qui ont déjà été l’objet de lois.
Manu : Donc en gros, dans ces directives, dans ces nouvelles dispositions, ils voulaient faire quoi ? Réduire là aussi à une heure de délai ?
Nico : Ils se sont rendu compte qu’il y avait une incompatibilité entre la LCEN et la nouvelle loi Avia, donc ils ont fait une espèce de spaghetti entre les deux pour arriver à homogénéiser le truc. Mais oui, sur les contenus terroristes et pédopornographiques, on a une heure pour réagir après la notification. Du coup c’est une homogénéisation et ils ont dû toucher la loi LCEN qui n’est pas d’un bon niveau juridique en termes de délais.
Luc : À la suite de ça, un certain nombre de sénateurs du bord des Républicains ont émis une saisine du Conseil constitutionnel pour contester cette loi-là en s’appuyant sur le fait que le Conseil constitutionnel juge du respect de la Constitution mais également du niveau supérieur que sont les principes européens auxquels on s’est engagé à souscrire. Leur saisine dit, en gros, que la loi Avia sera incompatible avec le droit européen, notamment sur le principe que c’est au pays d’origine de celui qui fournit le service de faire respecter les lois. Ce n’est qu’une fois qu’on a constaté que le pays ne faisait pas son boulot, refusait de coopérer et laissait un certain nombre de choses illicites se passer sur le site, qu’on pouvait le bloquer. Du coup, le bloquer par défaut alors que c’est un site qui est à l’étranger, allait contre ce principe-là. Donc c’est une interprétation qui est contestable, semble-t-il, puisque ces principes-là avaient été établis plutôt pour des commerces et la copie privée. Après il y a d’autres sujets, notamment sur cette atteinte à la liberté d’expression pour les raisons qu’on a expliquées ; sur le fait que la menace d’amende qui est une amende pénale c’est un peu en mode amende de base : en gros, qu’on soit un GAFAM ou une petite association qui n’a juste pas vu ou qu’on soit de mauvaise foi, c’est un peu peine unique, du coup ça va contre le principe de proportionnalité des peines. C’est quelque chose qui a été émis aujourd’hui, qu’on enregistre mal.
Manu : On peut s’attendre à ce que l’Europe, peut-être, bloque aussi. Les sénateurs sont en première ligne en ce moment. L’Europe va peut-être trouver des moyens à ce genre demande, enfin de loi hyper-restrictive, notamment au nom de l’élaboration de règlements supérieurs qui devront s’appliquer en priorité.
Nico : On rappelle qu’il y a aussi une loi qui est justement en train d’être négociée au niveau européen et qui dit exactement ce que la loi Avia essaye de faire, donc on risque d’avoir des gros conflits entre la loi française et la loi européenne, du coup ça ne va pas du tout le faire. C’était une des critiques qui avait été faite par plusieurs députés pendant le vote de la loi en disant « on est en train de voter un truc qui est encore en train d’être décidé au niveau européen et il faudra qu’on revienne sur ce qu’on a voté. Il faudrait peut-être faire une bonne chose, attendre l’Europe avant de voter la nôtre. » Mais bon ! Ils ont voulu tirer au plus vite et on verra ce que ça donne.
Luc : Comme bien souvent sur ce genre de problématique on voit qu’on veut du traitement automatique, on veut de la censure, on veut bloquer plutôt que donner des moyens d’agir et mettre les gens face à leurs responsabilités. C’est une façon de faire qui est assez symptomatique, c’est un peu à chaque fois la même chose et ça ne marche pas manifestement.
Manu : C’est une problématique qui est constante : sur-censure, pas assez de censure, on veut bloquer, on veut contrôler, en gros c’est ça, ce sont les hommes politiques qui veulent contrôler Internet. Dans le passé ça ne s’est jamais bien passé, notamment parce qu’il y a des pays dans lesquels on peut exporter ses pages web, on peut exporter des contenus. Vraisemblablement là ils vont pouvoir attaquer Twitter, Facebook facilement, attaquer les petites associations mais pas les réseaux russes, les réseaux chinois qui, eux, vont pouvoir héberger des contenus sans problème pendant encore longtemps.
Nolwenn : Twitter et Facebook ça va les faire rigoler deux minutes. Ça va être bon, OK, on supprime.
Nico : C’est ça.
Nolwenn : Eux s’en foutent !
Nico : Ça sera peut-être être ça, parce que c’est vrai que leur censure est un peu molle de leur côté, mais bon.
Luc : La censure molle, c’est un concept intéressant !
Qu’est-ce qu’on fait ? On va continuer à se haïr abondamment jusqu’à lundi prochain.
Manu : On peu essayer. Je vous dis à la semaine prochaine.
Luc : On te déteste Manu.
Nico : Salut à tous.
Nolwenn : Bonne semaine.