Logiciel Libre dans le « Dictionnaire politique d'Internet et du numérique »

Le journal La Tribune a publié le 2 mai 2010 un ouvrage collectif intitulé « Dictionnaire politique d'Internet et du numérique » (108 pages, disponible en version PDF ou copie locale en PDF). Frédéric Couchet, délégué général de l'April, a participé à cet ouvrage et a écrit l'entrée sur le Logiciel Libre (page 72).

Voici la copie de l'entrée sur le Logiciel Libre.

Logiciel libre

« Logiciel Libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d'exécuter, de copier, de distribuer, d'étudier, de modifier et d'améliorer le logiciel par opposition à un logiciel dit « propriétaire » ou « privateur ». Le Logiciel Libre est présent au cœur de l'infrastructure d'Internet : le serveur Apache fait tourner plus de 55% du web, et sur le poste de travail : Firefox, OpenOffice et GNU/Linux sont de plus en plus utilisés, notamment dans les administrations. Formalisé au début des années 80, le Logiciel Libre a en fait toujours existé dans les pratiques des développeurs et prend racine dans le modèle de la recherche scientifique (publication, transparence, revue par les pairs).

Le modèle du Logiciel Libre n'est pas une préoccupation réservée aux seules considérations techniques et aux seuls informaticiens. Bien au contraire, les principes sous-jacents qui mettent en avant le bien commun sur l'appropriation exclusive, trouvent sans aucun doute toute leur pertinence dans de nombreux autres domaines tels que la production et la diffusion des savoirs ainsi que tout ce qui touche à la création en général. Le Logiciel Libre abolit les frontières existant entre les communautés de producteurs de logiciels (éditeurs, développeurs etc) et les communautés d'utilisateurs.

Le Logiciel Libre est ainsi un enjeu de société, contribuant à la diffusion et au partage de la connaissance, encourageant la solidarité et la coopération entre développeurs et utilisateurs de logiciel libre et respectueux des libertés fondamentales des utilisateurs et de leurs données personnelles.

C'est également un enjeu économique. Le Logiciel Libre permet le développement d'une économie dynamique dite de « coopétition » (mutualisation des coûts de recherche et développement, concurrence sur les services autour de briques génériques). La création de valeur est déterminée par la qualité des développements de l'éditeur/concepteur mais aussi par les utilisateurs et clients. Ces derniers peuvent devenir des acteurs de leurs projets logiciels plutôt que subir le calendrier unique et les pratiques de l'éditeur de solutions propriétaires (ou privatives). En permettant ainsi à chacun, de s'impliquer dans son évolution, le Logiciel Libre est un accélérateur d'innovation. L'Europe, avec plus de 50% des développeurs de logiciel libre actifs dans le monde, est aux avant poste. Selon une étude de la société Red Hat, la France serait championne pour l'activité dans le domaine du logiciel libre, les États-Unis devant se contenter de la neuvième place.

Le Logiciel Libre est aussi une opportunité unique de réduire la fracture numérique notamment dans les pays en développement et un facteur de développement durable. De simple consommateur de technologie, l'utilisateur devient acteur.

Le Logiciel Libre est également un enjeu stratégique : outil de souveraineté nationale, de politique industrielle et d'indépendance technologique, de pérennité des données et de maîtrise des finances publiques.

Mais de nombreuses menaces pèsent sur le Logiciel Libre, comme sur d'autres biens communs informationnels. Citons notamment les tentatives d'appropriation exclusive de la connaissance (brevets logiciels), les extensions abusives du droit d'auteur créant un contrôle des usages privés (DRM ou « menottes numériques »), la vente liée ordinateurs-logiciels pratique déloyale pour le consommateur et un frein à la diffusion du Logiciel Libre chez le grand public.

La croissance d'Internet et celle du logiciel libre sont intimement liées. Internet a permis, par la mise en connexion de chacun avec tout le monde, de modifier les règles du jeu, d'éliminer le vieux modèle de production centralisateur au profit d'une production coopérative et d'une diffusion massive.

Sans un réseau Internet libre et ouvert, le Logiciel Libre n'aurait pas pu se développer pour constituer aujourd'hui un phénomène de société à part entière ; cette liberté demeure plus que jamais nécessaire à l'élaboration collaborative de projets par des contributeurs du monde entier.

Les logiciels libres représentent selon le Plan France Numérique 2012 « un potentiel économique et industriel considérable », ses modèles économiques sont éprouvés et novateurs, les utilisateurs sont demandeurs et conscients de leur importance sociale. Les pouvoirs publics doivent mettre en place une politique publique en faveur du logiciel libre, de l'interopérabilité et des standards ouverts, socles d'une société de l'information ouverte.

Frédéric Couchet, April