Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 28 mai 2019

Bannière de l'émission

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 mai 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Noémie Bergez - Laurence Comparat - Pierre Levy - Vincent Calame - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 28 mai 2019
Durée : 1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast
Page des références utiles concernant cette émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et retrouvez-nous ainsi sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 28 mai 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’association est april.org, vous pouvez y trouver d’ores et déjà une page consacrée à cette émission avec liens et références utiles, détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission. N’hésitez pas à nous faire également des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Je vous souhaite une excellente écoute.

Voici maintenant le programme de cette émission.
Nous allons commencer dans quelques minutes, même dans quelques secondes, par la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune.
D’ici une quinzaine de minutes, notre sujet principal portera sur les collectivités et le logiciel libre avec les villes de Grenoble et de Paris.
En fin d’émission nous aurons la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique In code we trust de Noémie Bergez, le RGPD

Frédéric Couchet : Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique In code we trust, « Dans le code nous croyons », on pourrait traduire ça en français, de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune.
Bonjour Noémie.

Noémie Bergez : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Le sujet de la chronique du jour va porter sur le RGPD, Règlement général sur la protection des données.

Noémie Bergez : Effectivement. Aujourd’hui nous fêtons les un an du règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, le RGPD.
En vrai ce n’est pas vraiment son anniversaire car même si le RGPD est applicable depuis le 25 mai 2018, c’est un texte qui est connu, publié depuis le 27 avril 2016.
Le RGPD c’est un règlement de près de 90 pages, 99 articles, qui a pour objet de régir, d’appliquer, de définir les règles relatives à la protection des données à caractère personnel.
Ce règlement abroge une directive du 24 octobre 1995 et il a pour objectif d’unifier le droit sur la protection des données dans l’ensemble de l’Union européenne. Au préalable, la directive de 95, il faut le rappeler, nécessitait une transposition dans chaque État, donc ça a pu mettre un petit peu de temps pour être transposé ; on s’est rendu compte que les règles n’étaient pas applicables de la même manière, donc le règlement vise à uniformiser ces règles. D’ailleurs je rappelle qu’en France il a fallu attendre 2004 pour que la directive de 95 soit transposée, ce qui démontre bien que c’était plus facile d’imposer dans le cadre d’un règlement cette protection des données à caractère personnel.

Le RGPD apporte des définitions sur ce qu’est une donnée à caractère personnel, ce qu’est un traitement de données à caractère personnel, qui sont les acteurs du traitement des données à caractère personnel, entre responsable du traitement, sous-traitant. Je rappelle que le responsable du traitement c’est celui qui détermine les moyens et les finalités du traitement. Le sous-traitant c’est celui qui exécute, sous les instructions du responsable du traitement, un traitement. On a les personnes concernées, ce sont toutes les personnes dont les données à caractère personnel sont utilisées, donc moi, lorsque mon nom, mon prénom, mon numéro de téléphone peuvent être utilisés, je suis ce qu’on appelle une personne concernée.

Le règlement va définir à la fois les règles applicables et il va aussi encadrer les conditions dans lesquelles les traitements de données à caractère personnel vont intervenir.
On a également, dans ce règlement, des règles spécifiques pour les mineurs. On a aussi des règles qui viennent déterminer les conditions des transferts de données vers les pays tiers et on a aussi tout un ensemble de règles sur les autorités qui sont là pour contrôler la manière dont on va traiter les données à caractère personnel, donc on a une autorité de contrôle locale, en France c’est la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Au niveau européen on a également la création d’un Comité européen de la protection des données qui a remplacé le Groupe 29 [Groupe de travail article 29] qui était un groupe de travail qui fournissait des avis qui sont très importants pour comprendre, en fait, cette matière. Et aujourd’hui on a des lignes directrices du Comité européen de la protection des données qui viennent illustrer, expliquer les règles applicables dans cette matière.

Ce qu’il faut noter également c’est la question des sanctions qui a été abordée de manière très franche dans ce règlement, puisque aujourd’hui la CNIL peut prononcer un certain nombre de sanctions, qui vont notamment du rappel à l’ordre, à l’injonction, à l’interdiction temporaire ou définitive de procéder à un traitement, suspendre des flux de données, ordonner à des responsables de traitement de satisfaire à des demandes d’exercice de droit de personnes concernées. Donc lorsque je contacte un organisme pour exercer mes droits, la CNIL peut ordonner à cet organisme d’y répondre et prononcer des sanctions, des amendes administratives. C’est là où on en a beaucoup entendu parler puisque les amendes administratives sont aujourd’hui définies, elles sont précisées. Elles peuvent s’élever jusqu’à 10 millions d’euros pour une entreprise ou alors jusqu’à 2% de son chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent lorsqu’il y a, par exemple, une violation des obligations incombant au responsable du traitement. Mais les sanctions peuvent être encore plus élevées, c’est-à-dire qu’elles peuvent atteindre jusqu’à 20 millions d’euros ou, dans le cadre d’une entreprise, jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent lorsque, par exemple, on va se retrouver dans le cadre d’une violation à un principe de base d’un traitement, lorsqu’on va avoir une violation des droits dont bénéficient les personnes concernées, une violation, par exemple aussi, d’un transfert, des règles de transfert de données.

Pour l’année 2019, je pense que la sanction qu’on peut retenir c’est celle qui a été prononcée par la CNIL le 21 janvier 2019 à l’encontre de Google, qui l'a condamnée à une sanction de 50 millions d’euros pour un manquement à la transparence, un manquement à l’information et une absence de consentement valable pour la personnalisation de la publicité. En fait, la CNIL a considéré que le traitement pour la publicité qui avait été mis en œuvre, de personnalisation de la publicité, n’avait pas de base légale, il aurait dû nécessiter un consentement de la personne concernée.

Ce qu’il faut noter également, puisqu’on arrive un peu à un premier bilan d’application du RGPD, c’est que la CNIL, en 2019, a constaté qu’il y avait quand même une augmentation de 30 % des plaintes en France : on arrive à 11 900 plaintes sur cette année [sur la période mai 2018 à mai 2019, Note de l'orateur]. Au niveau européen c’est 144 376 plaintes qui ont été portées relativement à des plaintes sur la protection des données à caractère personnel.

Pour 2019, la CNIL a diffusé les lignes thématiques sur lesquelles elle va vraiment concentrer ses moyens.
On a tout d’abord la première ligne thématique qui va être le respect des droits des personnes puisqu’elle a constaté que sur 2018 il y avait eu à peu près 73 plaintes qui avaient été reçues et qui portaient sur le non-respect de l’exercice d’un droit, donc une violation d’un droit d’une personne concernée. Là elle veut s’assurer que les organismes, en fait, assurent une véritable application des droits dont disposent les personnes concernées, que ce soit des droits qui étaient existants avant le RGPD ou des nouveaux droits.
Elle va également apporter une vigilance particulière au traitement des données des mineurs. Elle indique sur son site que c’est un public vulnérable, qui nécessite donc une protection particulière, notamment au regard des diverses problématiques liées aux réseaux sociaux ou également à la mise en œuvre de traitements biométriques dans les écoles. Donc c’est une deuxième ligne pour la CNIL.
Et enfin, le troisième point qui est un point assez intéressant, qui concerne la répartition des responsabilités entre le responsable du traitement et le sous-traitant, puisqu’il est vrai qu’on a vraiment dans le RGPD une définition des acteurs en deux parties, c’est-à-dire soit on est responsable du traitement, soit on est sous-traitant. Il y a une troisième possibilité c’est d’être responsables conjoints du traitement lorsqu’on traite des données à caractère personnel. On se rend compte, en pratique, que ce n’est pas toujours évident de délimiter le rôle de chacun, donc c’est pour ça, je pense, que la CNIL va essayer d’apporter un peu des précisions pour encadrer les qualifications de chacun, notamment dans un point de vue contractuel parce que c’est souvent dans les contrats qu’on retrouve, un peu, des difficultés de qualification.
Évidemment il n’y a pas que ces trois thématiques qui sont abordées par la CNIL puisqu’elle continue à poursuivre ses missions diverses et qu’elle est toujours saisie sur les réclamations, les signalements, elle mène les enquêtes qu’il faut.

Dans le RGPD, pour en revenir un peu au RGPD, on a également constaté un renforcement des conditions du consentement. Il y a de nouveaux droits qui sont prévus pour les personnes concernées, notamment un droit à la portabilité.
On note également de nouvelles règles applicables pour la protection des données, notamment un process de notification à la CNIL sous un délai assez court qui est de 72 heures après la prise de connaissance d’une violation.
On a également cette notion de Délégué à la protection des données qui est apparue dans le RGPD, qui vient en renforcement de ce qu’on appelait avant le correspondant informatique et libertés, qui était préexistant au RGPD. Là on a vraiment renforcé la responsabilité des organismes pour prévoir qu’au sein de cet organisme on peut désigner une personne qui est chargée de vérifier la mise en conformité de l’organisme avec le règlement et qui va vraiment avoir un rôle en totale indépendance vis-à-vis de son employeur pour prendre les mesures qui s’imposent, pour s’assurer que le RGPD est bien respecté et que la protection des données est effective. Il faut savoir que depuis l’entrée en vigueur du RGPD, la CNIL a noté 19 000 Délégués à la protection des données qui ont été enregistrés sur son site, donc qui ont été désignés par plus de 53 000 organismes.

Le RGPD a prévu également la réalisation d’études d’impact qui sont nécessaires lorsqu’on veut mettre en œuvre un traitement qui peut avoir des conséquences, qui peut engendrer des risques pour les droits des personnes concernées, donc le fait de réaliser vraimentun travail en interne pour vérifier si ce traitement ne va pas entraîner trop de conséquences trop lourdes. On veut vraiment s’assurer que le responsable du traitement qui met en œuvre un traitement de données à caractère personnel va prendre conscience et va réfléchir aux conséquences de ce traitement de données à caractère personnel.

C’est vrai qu’en France ce RGPD est d’application immédiate. On entend souvent, aussi, parler de la loi informatique et libertés. Il faut que savoir que les deux, le règlement et la loi, s’appliquent de manière conjointe, l’un n’est pas plus fort que l’autre en termes d’application. La loi informatique et libertés qui date du 6 janvier 1978 a quand même été modifiée en juin 2018, justement pour intégrer et se mettre en conformité elle-même avec le RGPD. On a une ordonnance du 12 décembre 2018, dont on attend l’entrée en vigueur, qui devrait intervenir en juin, et qui va s’appliquer en même temps que le nouveau décret d’application de la loi informatique et libertés.

Au niveau de l’ensemble de ces règles, il est clair qu’il faut que chaque personne qui traite des données à caractère personnel veille à ce que ces traitements soient conformes au RGPD et à la loi informatique et libertés qui, normalement, s’orientent dans le même sens, évidemment.
En interne on doit réfléchir à l’identification de ces traitements, faire ce qu’on appelle une cartographie.
On doit vérifier que les mentions d’information des personnes concernées sont bien présentes, vérifier qu’il y a bien des process dans les entreprises lorsqu’une personne concernée les contacte par exemple pour une demande de modification, pour une demande de suppression, que ça ce soit bien exécuté.
On met à jour ces contrats, évidemment.
On prépare le fameux registre des activités de traitement qui est prévu par le RGPD, qui permet de conserver une visibilité sur ces traitements. Ce registre, en fait, est un formulaire qu’on complète en indiquant quels types de traitements on met en œuvre, quelles sont les personnes qui sont concernées, combien de temps on conserve les données à caractère personnel, quels sont les types de données à caractère personnel qui sont collectés.

On peut également faire une feuille de route, parce que c’est vrai que ce n’est pas toujours évident dans les entreprises d’intégrer toutes ces règles, donc faire une feuille de route, dérouler des étapes pour ensuite transmettre aussi l’information à ses équipes pour être opérationnelles, parce que c’est important que l’information soit diffusée.
Et puis également se former parce que c’est important. Aujourd’hui c’est une matière qui est incontournable dans une entreprise au même titre que la comptabilité, que les règles de facturation. Une entreprise doit faire le nécessaire pour s’assurer que les données sont conservées de manière conforme au RGPD, qu’elles sont traitées de manière conforme au RGPD et à la législation, donc pour cela il faut se former. Ça peut être dans le cadre de formations internes pour l’entreprise. Nous par exemple, en tant que cabinet d’avocat, il nous arrive de donner des formations à nos clients quand on les a aidés dans le cadre de la mise en conformité. Ça peut être également des formations, comment dire, plus universitaires. On a de plus en plus d’universités qui forment à ces matières-là qui sont assez nouvelles, en fait. Je pense notamment au CNAM qui délivre un certificat de Délégué à la protection des données. J’en parle parce que c'est vrai que je l’ai suivi et j’ai trouvé que c’était très abouti comme formation. On a également, pour ceux qui n’ont pas forcément le temps d’aller suivre 80 heures de cours, des MOOC qui sont ces cours en ligne accessibles, dont on a entendu parler dans la chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet du 7 mai dernier, notamment le FUN-MOOC sur le RGPD est aujourd’hui disponible et il est, je crois, encore possible de s’y inscrire. J’invite tout le monde à le suivre.

Frédéric Couchet : Eh bien merci Noémie. Beaucoup de termes ont été employés : Délégué à la protection des données, responsable des traitements, registre des traitements. Évidemment toutes les références sont sur le site de l’April : le site de la CNIL, des informations sur le RGPD, la formation au CNAM dont tu as parlé, FUN-MOOC dont tu as parlé et merci pour la référence croisée avec l’émission précédente sur les MOOC et Jean-Christophe Becquet.
J’encourage évidemment toutes les personnes à s’intéresser à ce sujet si ce n’est pas déjà fait. Il est clair que certaines n’ont pas encore commencé. C’est un travail important. Au sein de l’April on a fait un certain nombre d’actions qui sont nécessaires parce que le traitement des données à caractère personnel est très important.
C’était la chronique In code we trust de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Je te remercie Noémie, on se voit le mois prochain et bonne journée.

Noémie Bergez : Merci. Également.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale, nous allons écouter Acrylic par Foglake et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Acrylic par Foglake.

Voix off : Cause Commune 93.1

Collectivités et logiciel libre

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Acrylic par Foglake, musique disponible sous licence Creative Commons Attribution, que vous pouvez donc utiliser librement.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Passons maintenant au sujet suivant. Nous allons poursuivre avec notre sujet principal qui va porter sur les collectivités et le logiciel libre avec nos invités aujourd’hui. Tout d’abord Laurence Comparat, qui est adjointe données publiques, logiciels libres et Administration générale de la ville de Grenoble. Normalement Laurence est avec nous par téléphone. Bonjour Laurence.

Laurence Comparat : Bonjour.

Frédéric Couchet : Parfait. Notre deuxième invité est Pierre Levy de la Direction des Systèmes d’Information et du Numérique de la mairie de Paris, notamment en charge de la maintenance et de l'évolution de la plate-forme Lutece dont on va parler dans le cours de l’émission. Bonjour Pierre.
Déjà première petite question rapide : une petite présentation individuelle de votre parcours. On va commencer par Laurence.

Laurence Comparat : Je suis effectivement adjointe au maire de Grenoble, comme tu l’as dit Fred, en charge de beaucoup de choses et en particulier de l’utilisation et de la diffusion des logiciels libres au sein de notre collectivité. Je suis élue depuis 2014. Par ailleurs, à titre professionnel, je travaille à l’université, je travaille sur les systèmes d’information et les référentiels d’identité.

Frédéric Couchet : Merci Laurence. Et toi Pierre ?

Pierre Levy : Moi j’ai une formation d’ingénieur génie civil. Je travaille à la mairie de Paris depuis un certain temps et je m’occupe depuis à peu près une vingtaine d’années du développement des applications spécifiques de la mairie de Paris, tout ce qui est développement spécifique.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est une première émission sur le thème des collectivités et du logiciel libre ; nous aurons évidemment l’occasion d’en refaire pour rentrer dans le détail de certains points et avec d’autres collectivités. Là l’idée c’était de réunir deux collectivités déjà pour aborder un petit peu les raisons pour lesquelles ces deux collectivités, la ville de Paris et la ville de Grenoble, ont choisi d’investir et d’utiliser des logiciels libres, avec un retour d’expérience en interne sur des sujets avec des axes un petit peu variés ; mais vraiment c’est une première émission, donc ne vous inquiétez pas, on en refera d’autres. J’aurais envie de dire, première question : quelque part pourquoi une collectivité, en 2019 ou même avant, choisit soit d’utiliser partiellement des logiciels libres, soit de donner la priorité aux logiciels libres, voire d’investir dans le développement de logiciels libres. Laurence Comparat pour la ville de Grenoble.

Laurence Comparat : Il y a des raisons éminemment politiques, forcément.
Le logiciel libre c’est un logiciel sur lequel on a la main. On peut modifier le code, on peut aller voir comment il fonctionne. Il n’est pas fourni clefs en main dans une boîte noire par une grande entreprise qui, en général, est à l’autre bout de la planète. Donc c’est quelque chose qui est vertueux en termes d’ouverture, de partage de la connaissance. Vous pouvez l’améliorer, vous pouvez participer à élaborer collectivement cet outil-là. Il y a une philosophie derrière qui nous parle à nous, politiquement, au sein de notre équipe municipale. Il y a aussi le fait que quand on investit de l’argent public dans notre informatique on trouve ça plus intéressant de faire appel à des boîtes de formation, à des développeurs locaux, à des gens qui vont nous accompagner, qui sont sur notre territoire, qui vont embaucher des gens localement, qui vont faire vivre l’économie locale, plutôt que d’envoyer l’argent de l’impôt de nos concitoyennes et concitoyens à l’autre bout du monde, chez des entreprises qui plus est, en général, ont élevé l’évasion fiscale au rang des beaux-arts. Il y a cette dimension-là et il y a aussi une dimension d’exemplarité dans une collectivité publique. On équipe par exemple des écoles, en tant que municipalité : quel monde numérique on prépare pour les futurs citoyens et citoyennes de demain ? Avec quel monde numérique on les met en contact à l’école ? Voilà ! C’est aussi important pour nous, en tant qu’acteur politique, de nous poser ces questions-là et d’avoir une réponse politique. Une réponse qui va rester opérationnelle. Évidemment il faut que les gens puissent continuer à travailler ! Mais il y a à la base une volonté politique.

Frédéric Couchet : D’accord. Merci Laurence. Côté mairie de Paris ou côté DSI, Direction des systèmes d’information de la mairie de Paris, quelles sont les raisons de cet investissement dont on va parler juste après ? Pierre Levy de la mairie de Paris.

Pierre Levy : Ce qu’il faut dire, peut-être, c’est que la ville de Paris a été assez pionnière dans le domaine puisque dès 2001, en fait avec l’arrivée de Bertrand Delanoë, il y a eu une volonté des politiques de mettre en place du logiciel libre à la mairie et ça été un peu la naissance du projet Lutece où l’équipe municipale, tous les adjoints de cabinet avec leurs conseillers techniques sont venus voir la DSI pour demander une plate-forme pour les mairies d’arrondissement, une plate-forme qui devait être entièrement basée sur des logiciels libres. Donc la volonté politique était très forte. En fait dès 2000, si on se replace un petit peu à l’époque, 2001 c’est la publication du rapport Carcenac sur l’administration électronique et qui indiquait que le logiciel libre offrait vraiment des potentialités très vertueuses pour l’administration. C’est aussi, par exemple à l’époque, la création de l’ADULLACT qui est l’Association des développeurs et utilisateurs de logiciel libre dans les collectivités territoriales.

Frédéric Couchet : Et dans l’administration.

Pierre Levy : Et dans l’administration, le « A » de ADULLACT. Donc il y a eu un gros engouement pour le logiciel libre à l’époque et, en fait, cette volonté était très politique. Ça rejoint un autre phénomène que Richard Stallman appelle l’open source, qu’il distingue du logiciel libre, qui est un petit peu le côté technique du logiciel libre, c’est-à-dire le partage du code comme moyen technique de développer.
Du point de vue technique, je dirais que moi j’étais plus passé du côté de l’open source et les élus plus du côté logiciel libre et c’est un peu cette alchimie entre la partie technique et la volonté politique qui permet de créer des projets tels que Lutece.

Frédéric Couchet : D’accord. On va évidemment expliquer après ce qu’est Lutece. On va revenir aussi sur le projet des écoles à Grenoble.
Je préciserais juste que ce n’est pas Richard Stallman qui appelle ça open source, c’est l’Open Source Initiative, en 1998, qui a créé ce terme-là. Ce qui est intéressant dans ce que tu dis et ce que dit aussi Laurence, c’est une rencontre à la fois entre une volonté politique, une décision politique qui est plutôt, on va dire, le logiciel libre en tant qu’enjeu de société et une rencontre avec des techniciens ou des techniciennes qui sont plus, effectivement, dans l’aspect pratique qu’on pourrait mettre dans le terme open source. C’est peut-être ce qu’on peut dire.
Dans cette introduction j’ai retenu quand même quelques termes : quelque part c’est le développement d’un tissu économique et social local, on entend aussi les questions de mutualisation, de souveraineté ; de créer aussi, de participer à la formation de citoyens et citoyennes dans un monde numérique qui ne sera pas uniquement piloté par les GAFAM, c’est un petit peu ce qui disait tout à l’heure Laurence Comparat. Quand tu parlais des GAFAM, donc Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft et les autres géants du Net, c’est vraiment ce côté social et politique pour l’avenir ?

Laurence Comparat : Complètement. En tant que collectivité locale on a aussi un enjeu à être maîtres de ce qui se passe chez nous. Avec nos outils informatiques on va gérer des données personnelles, pour faire le lien avec la chronique qui a précédé, on va accompagner le service public, fournir du service public. On doit avoir la main là-dessus. On a une responsabilité. Il y a un enjeu à avoir cette souveraineté numérique et le logiciel libre, l’open source, suivant la porte d’entrée qu’on va choisir, est clairement un moyen au service de cette souveraineté.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une deuxième question. J’ai l’impression que dans vos deux cas le projet est soutenu politiquement et, à la fois aussi, techniquement. C’est-à-dire que c’est une rencontre entre un projet politique et une DSI, Direction des systèmes d’information, ce qui n’est pas forcément toujours le cas : des fois ça peut être une volonté politique qui n’est pas suivie par la partie technique et des fois ce sont plutôt des gens de la technique qui voudraient faire du logiciel libre et que le politique ne suit pas. Si je comprends bien dans vos propos, en tout cas Laurence notamment – alors Grenoble c’est plus récent, c’est 2014 si je me souviens bien, c’est la nouvelle mandature municipale – il y avait un projet politique, qui est piloté au niveau politique avec l’aide de la direction informatique ou en tout cas des services informatiques ; c’est un mix des deux en fait ?

Laurence Comparat : On a même renforcé l’équipe informatique avec des compétences en logiciel libre, parce qu’effectivement c’était aussi une nouveauté dans la commande politique, donc il a fallu renforcer la compétence des équipes. On a recruté un technicien spécialisé pour nous aider en particulier sur l’informatique dans les écoles, nos agents se sont formés. On a recruté une cheffe de projet pour la bascule vers la suite bureautique LibreOffice, qui permet d’avoir un traitement de texte, un tableur, un gestionnaire de diaporama, enfin des outils assez classiques qu’on utilise un peu tous et toutes au quotidien quand on fait de l’informatique. Il y a des outils libres, notamment LibreOffice qui est le plus connu d’entre eux, et on est en train d’accompagner nos agentes et nos agents sur ce nouvel outil, donc on a recruté spécifiquement une personne pour ça.

Frédéric Couchet : D’accord. On va en parler juste après.
Pierre, le projet Lutece dont on va parler aussi, qu’on va présenter évidemment, mais je reviens sur l’historique. Tu parlais des années 2000, à l’époque le maire de Paris c’était Bertrand Delanoë, aujourd’hui la maire de Paris c’est Anne Hidalgo, j’ai l’impression que ce soutien politique ou plutôt c’est une question il existe toujours voire il s’est même renforcé ? Est-ce qu’il y a encore ce soutien important finalement près de 18 ou 19 ans, presque 20 ans plus tard en fait ?

Pierre Levy : Oui, tout à fait. Il a pris différentes formes. Par exemple, lors de la deuxième mandature de Delanoë, on a eu Jean-Louis Missika qui a créé l’Open World Forum qui est devenu aujourd’hui le Paris Open Source Summit et la ville de Paris est toujours très active dans le sponsoring de cet événement. Avec la mandature de Anne Hidalgo on a eu la chance d’avoir comme élu Emmanuel Grégoire qui est vraiment très au fait de ces sujets et qui porte beaucoup le sujet. D’ailleurs il avait fait un discours aux 20 ans de l’April, donc c’est quelqu’un qui nous a donné la chance, qui a fait adhérer la ville de Paris à l’April d’ailleurs, ainsi qu’à OW2 qui est une fondation européenne de logiciels open source et dans laquelle Lutece a pris toute sa part.
Donc on a effectivement la chance d’avoir un très bon support politique sur ce sujet-là. J’irais même plus loin, c’est-à-dire que le support doit être à tous les niveaux de la chaîne. C’est-à-dire qu’il doit être à la fois au niveau politique, au niveau du secrétariat général, au niveau de la direction et au niveau des équipes techniques. Je dirais qu’il y a presque quatre maillons et je dois dire qu’aujourd’hui on a la chance, depuis deux-trois ans, d’avoir un petit peu tous ces maillons qui sont alignés et qui nous permettent de bien développer les services numériques de la ville.

Frédéric Couchet : Comme on dit les planètes sont alignées ! J’en profite pour préciser que Grenoble est aussi membre de l’April, d’ailleurs depuis la même période à peu près, depuis 2015 de mémoire, ce qui me fait penser que tout à l’heure j’aurai peut-être une petite question justement sur l’implication ou l’investissement des collectivités dans des structures telles que l’April ou, comme tu l’as dit, des groupes de développement comme OW2 ou même l’ADULLACT ; au-delà des actions simplementen local, c’est important cette participation dans l’environnent du logiciel libre.
Laurence, est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur cette partie introduction avant qu’on passe un petit peu aux exemples concrets ? Je vais indiquer les sujets éventuellement pour les personnes qui nous écoutent : on va notamment évoquer la migration vers LibreOffice à Grenoble, la partie école aussi à Grenoble et évidemment on va rentrer dans le détail de Lutece à Paris. Mais sur cette première partie est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ? Laurence.

Laurence Comparat : Simplement dire que la ville de Grenoble a récemment rejoint la coalition des villes pour les droits numériques, Cities Coalition for Digital Rights, c’est in French in the text, qui est un regroupement de villes à l’international – on y retrouve Amsterdam, Barcelone, New-York – et qui souhaitent réfléchir, justement, aux responsabilités qu’ont les villes dans ce monde numérique avec l’enjeu que les droits humains soient respectés dans le monde numérique comme ils devraient l’être également dans le monde réel avec tous les guillemets de rigueur ; le numérique est tout ce qu’il y a de plus réel. C’est aussi cette même idée de philosophie où le numérique est dans nos vies et les valeurs qu’on porte d’une manière générale on doit les porter aussi dans le numérique.

Frédéric Couchet : Merci pour cette précision. Pierre est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cette partie introductive ?

Pierre Levy : Non.

Frédéric Couchet : Non ! OK ! Très bien, on va passer à la suite. Laurence Comparat a cité, a parlé de LibreOffice, donc la migration vers LibreOffice au niveau de la ville de Grenoble. Elle a parlé aussi des écoles. Pierre a parlé de Lutece. On va commencer un petit peu à détailler ces projets en termes de retours d’expérience pour encourager aussi d’autres collectivités. Je rappelle que l’an prochain, en 2020, il y a les élections municipales, je parle aux gens du logiciel libre et autres, c’est aussi l’occasion d’encourager des listes candidates à mettre dans leur programme le logiciel libre comme c’était le cas dans la ville de Grenoble avec la liste de laquelle faisait partie Laurence Comparat ; c’est aussi leur donner des idées d’action, parce qu’il y a des actions qui sont ou moins plus simples et d’autres qui peuvent prendre plus de temps.
On va peut-être commencer par LibreOffice parce que c’est un logiciel que sans doute beaucoup de gens utilisent sans savoir forcément que c’est un logiciel libre. Laurence Comparat, la ville de Grenoble a décidé, si j’ai bien suivi, la migration des postes de travail des personnes qui travaillent dans la collectivité à LibreOffice, donc la suite bureautique libre.

Laurence Comparat : Tout à fait. C’est un projet qui a démarré il y a à peu près un an maintenant. On s’est donné trois ans pour le mener au bout. Ce sont des projets de longue haleine, évidemment c’est proportionnel à la taille de la collectivité. Ça concerne la ville de Grenoble et son centre communal d’action sociale. Il y a à peu près 3500 agents et agentes dans ces deux collectivités. Tout le monde ne travaille pas au quotidien sur un ordinateur. Les agents de la propreté urbaine, des espaces verts, de la cantine, etc., ne sont pas derrière un bureau comme d’autres agents des marchés publics ou de l’accueil de l’état-civil, donc ça ne concerne pas forcément toutes ces personnes au quotidien, mais ça fait quand même beaucoup de monde. Donc c’est un projet politique. Une fois qu’on a posé une volonté politique, l’intendance suivra comme on dit, eh bien non ! Il faut donner à l’intendance les moyens de suivre. Il faut effectivement que la direction générale, comme c’est le cas à Paris, appuie la démarche et puis, je l’ai dit, nous avons recruté une cheffe de projet qui accompagne les services dans ce changement.
L’objectif c’est, d’une part, de s’assurer que cette bascule est possible, c’est-à-dire que les gens vont pouvoir continuer à travailler en changeant d’outil. Est-ce que leur logiciel de comptabilité va marcher avec ? Est-ce que le logiciel RH [ ressources humaines] va marcher avec ? Est-ce que les modèles de documents qu’ils s’étaient faits vont marcher avec ? On a cette responsabilité-là que l’institution continue à fonctionner : on rend du service public derrière donc il faut que ça suive. Et puis c’est aussi l’opportunité, je dirais aussi et surtout, l’opportunité de transformer l’institution. L’idée ce n’est pas « je prends ce que je faisais avec ma suite bureautique dont je tairais le nom et paf ! je transforme ça sous du LibreOffice et je continue tout pareil qu’avant. » Non ! J’en profite pour réinterroger mon organisation. Est-ce que les modèles de documents que j’utilise sont toujours à jour ? Je vais en profiter pour les transformer en écriture inclusive. Je vais peut-être me rendre compte qu’il y a des gens qui galèrent un petit peu au quotidien, ils ont des bouts de tableur dans un coin, des bouts de fichier dans un autre, ils ont du mal à partager tout ça entre les personnes qui doivent travailler dessus. Quand je dis qu’ils bricolent ce n’est pas du tout une critique, ils arrivent à travailler, mais on va se rendre compte que leurs conditions de travail ne sont peut-être pas optimales et que ce n’est peut-être pas mettre à jour la suite bureautique qu’il faut faire, mais se poser la question de leur fournir un logiciel métier pour leur faciliter la vie.
C’est vraiment un projet de transformation, donc ça nécessite beaucoup d’accompagnement et beaucoup de temps de travail à comprendre le métier des services, ce qu’ils font au quotidien, où est-ce que ça coince, où est-ce que ça marche super bien et il ne faut surtout pas y toucher, etc.
Ce n’est pas du tout un projet technique. Il y a une dimension technique évidemment, mais c’est un projet organisationnel.

Frédéric Couchet : C’est très intéressant parce que c’est un point essentiel. Souvent, quand on parle de migration, on pense que c’est une migration technique alors qu’en fait l’essentiel, comme tu le dis, c’est l’organisationnel. Je précise, quand tu parles de la cheffe de projet LibreOffice, que le 18 juin 2019 on fait une émission justement sur LibreOffice et on va la convier à intervenir pour faire un petit point.

Laurence Comparat : Excellente idée !

Frédéric Couchet : Avec d’autres personnes de l’association qui s’appelle La Mouette qui fait la promotion et le développement de LibreOffice en France, donc le 18 juin.
Ce qui est intéressant là-dedans c’est que c’est un projet un global. Quand tu dis qu’en plus il y a effectivement une réflexion sur les documents qui existent, sur les procédures, etc. Voilà, c’est un projet global avec, en plus, un investissement parce qu’il y une cheffe de projet qui a été embauchée. Don déjà c’est un premier conseil, en tout cas quelque chose qui est essentiel pour les collectivités ou même les structures type entreprise qui voudraient migrer vers un outil tel que LibreOffice, c’est qu’il ne faut pas oublier l’humain et d’ailleurs c’est peut-être l’humain qui est le plus important là-dedans, sans aucun doute, au-delà du logiciel.

Laurence Comparat : Tout à fait. La formation des agentes et des agents est fondamentale.

Frédéric Couchet : Est-de qu’il y a eu des résistances, justement, de la part du personnel ? Parce que souvent il y a quelques outils, dans l’informatique, que les gens n’aiment pas forcément trop changer dont l’outil bureautique parce que c’est un outil de production très important. Est-ce qu’il y a eu une résistance ou est-ce que ça été, finalement, vu comme quelque chose de très positif ?

Laurence Comparat : On en est vraiment dans cette phase où notre cheffe de projet fait la tournée des popotes, prend beaucoup de temps à être à l’écoute des services, à tester les documents, les modèles de documents qu’elle va mettre à leur disposition, comprendre où ça coince, pourquoi, quel est leur objectif métier, etc. Donc il y a vraiment beaucoup d’énergie qui est mise autour de ça et avec, ce que je disais, on repère des pistes d’amélioration. Donc ça lève énormément d’inquiétude, ça rassure beaucoup. Ça améliore et surtout ça ne dégrade pas, je dirais que c’est sur la cerise sur le gâteau, mais on a besoin de garder le gâteau.
D’ailleurs sur les conseils de Stéphanie, notre cheffe de projet, on a mis le temps nécessaire sur cette phase d’analyse, d’audit, de tests, d’accompagnement, de présence et ça paye vraiment. C’est-à-dire que, pour l’instant, c’est quelque chose qui se passe bien. Ce n’est pas simple, ce n’est jamais simple quand on arrive, on va voir les gens et on leur dit « on va bousculer votre travail au quotidien » ; on a tous et toutes nos habitudes, on n’aime pas forcément être bousculé, mais ça offre une perspective d’amélioration, de fluidité. Expliquer aussi pourquoi. OK, l’élu a dit : « C’est vers là qu’il faut aller. » L'employé peut dire « elle est gentille mais ce n’est pas elle qui fait le boulot », ce qui est tout à fait vrai. Donc prendre le temps de bien regarder le quotidien, le boulot quotidien, et se donner les moyens que ça va suivre, ça c’est vraiment fondamental. Là on est vraiment dans cette phase et pour l’instant, le fait de prendre ce temps-là fait que ça se passe bien.

Frédéric Couchet : C’est un point essentiel parce que, finalement, vous partez des besoins des personnes et l’outil, même s’il a été choisi pour les raisons qu’on a pu évoquer, l’essentiel c’est de partir des besoins des personnes, d’adapter, de prendre son temps. On note qu’une migration ça ne se passe pas du jour au lendemain, on n’installe pas LibreOffice à la place de Microsoft Office, il y a un temps d’évaluation dont tu parles et qui est assez important.

Laurence Comparat : Et qui va être payant parce qu’on investit aussi sur la durée quand on améliore les processus, quand on fluidifie les choses, etc., on n’est pas juste en train de changer d’outil. On interroge l’institution et on améliore l’institution donc le service public au final.

Frédéric Couchet : Est-ce que pour l’instant il y a eu, on va dire, des personnes test qui ont déjà utilisé LibreOffice ou est-ce que vous êtes encore dans la phase d’accompagnement, d’évaluation des besoins ?

Laurence Comparat : On est encore dans la phase d’audit. On va passer à la phase de formation. Il y a un moment où on va dire « tel service ça y est, on vous a vu, tous vos documents sont prêts, on a bien calé. On va vous supprimer votre ancien outil et on va basculer sur le nouveau, donc on vous forme. On ne va pas non plus vous lâcher sans parachute ! » Il faut retrouver ses marques : comment je fais pour imprimer, comment je fais pour faire ceci, cela. Ce temps de formation est aussi prévu.

Frédéric Couchet : D’accord. On va passer à un sujet assez différent, on va revenir un peu sur Paris, on reviendra sur LibreOffice, notamment dans la partie sur les difficultés potentielles et, tu en as déjà un petit peu parlé, l’adhérence aux outils métiers propriétaires, c’est un problème historique dans les outils de bureautique et dans les cas de migration.
On va parler un petit côté Paris, c’est un sujet totalement différent parce qu’on va parler de Lutece. Le défi pour Pierre Lévy va être d’expliquer simplement ce qu’est Lutece. Est-ce que tu peux nous présenter en quelques mots ce qu’est Lutece, cette plate-forme Lutece ?

Pierre Levy : D’accord. Au début je vous ai raconté un petit peu le début de Lutèce. C’était une plate-forme, un CMS, un outil de gestion de contenu, on peut le rapprocher un petit peu des outils tels que Drupal ou WordPress et puis, au fil des années, c’est devenu un framework, un cadre de développement pour nos applications métiers et pour nos services numériques.
Aujourd’hui il y a des outils qui permettent de générer du code, il y a tout un outillage autour qui permet de réaliser assez rapidement des applications. À titre d’exemple, quand Anne Hidalgo est arrivée à la tête de la mairie elle a voulu mettre en place très rapidement un budget participatif et l’outil a dû être développé en deux mois pour ouvrir en septembre. La plate-forme nous a permis de développer très rapidement ce service.
Aujourd’hui c’est un outil, une plate-forme qui nous permet de développer un petit peu n’importe quel type d’application web de manière, je dirais, sécurisée et rapide.

Frédéric Couchet : Pour prendre un exemple, paris.fr, le site paris.fr c’est Lutece ou pas ?

Pierre Levy : Le site paris.fr, non, ce n’est pas Lutece.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas Lutèce.

Laurence Comparat : Raté !

Pierre Levy : Raté ! Non !

Frédéric Couchet : Je n’habite pas Paris, j’habite Saint-Denis.

Pierre Levy : Le site éditorial, en fait, est réalisé par la direction de la com’, ce n’est pas Lutece. Par contre l’ensemble des services numériques qui sont sur paris.fr, que ça soit les demandes d’actes d’état-civil, les cartes citoyennes, enfin tous les services numériques sont en Lutece.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc je n’étais pas trop loin. Ce n’est pas la partie éditoriale, on va dire, c’est la partie services numériques donc le plus essentiel pour les habitants et les habitantes de Paris. Comme tu l’as dit tout à l’heure Lutece a commencé en 2000 ou 2001, la ville de Paris a été la première collectivité à libérer un outil interne sous licence libre.

Pierre Levy : Tout à fait. C’est le Conseil de Paris, en septembre 2002, qui a voté le reversement dans le Libre du code de Lutece.

Frédéric Couchet : On peut noter que depuis Lutece poursuit son développement, grandit avec chaque nouveau service numérique de la ville qui est basé, quelque part finalement, si je compris bien, sur Lutece et c’est un développement de nouveaux services à chaque fois.

Pierre Levy : Tout à fait. On a des services je dirais assez génériques. On a notamment un service de prise de rendez-vous que je conseille vraiment à toutes les collectivités parce qu’il apporte un service très intéressant. Il est utilisé, par exemple, pour les demandes d’urbanisme, pour les vaccinations, les demandes de rendez-vous avec les directrices de crèche ; il est utilisé à plein d’usages différents, il est vraiment très facile à réutiliser pour d’autres collectivités et on a aussi plein de services beaucoup plus spécifiques à Paris.

Frédéric Couchet : Tout à l’heure en introduction à un moment on parlait de mutualisation, je crois bien, et aussi de réutilisation, c’est un mot très fort dans le domaine du logiciel libre, ça veut dire que d’autres collectivités utilisent Lutece pour leurs propres services numériques ?

Pierre Levy : L’idée, quand le Conseil de Paris a voté cette libération, c’est que ce logiciel puisse servir à un maximum d’autres collectivités. D’ailleurs Grenoble a été utilisateur de Lutece de 2002 à 2005. L’idée c’est de partager pour pouvoir bénéficier de contributions externes, pour que les coûts de développement soient aussi partagés entre toutes les entités. Aujourd’hui on commence à travailler de manière très productive avec la ville de Lyon notamment, on travaille sur des projets communs. Ils utilisent des modules que nous avons développés et nous on est en passe d’utiliser des modèles qu’eux ont développé. L’idée du partage est de vraiment pouvoir récupérer des contributions, que ça soit de l’utilisation, des retours d’utilisation, des tests ou carrément des modules, du code. Ça c’est vraiment l’idée qu’il y a derrière. Aujourd’hui, force est de constater que c’est relativement difficile de construire cette dynamique de partage et de mutualisation pour un certain nombre de raisons que je pourrai développer.

Frédéric Couchet : On abordera ce problème de mutualisation après la pause musicale parce que c’est effectivement important. Je voulais demander à Laurence Comparat, est-ce que, au niveau de la ville de Grenoble – c’est beaucoup plus récent parce que, je le répète, l’équipe municipale n’est là que depuis 2014 à Grenoble – est-ce qu’il y a déjà des projets de libération d’outils internes utilisés par la ville de Grenoble ? Est-ce qu’il y a des projets de libération de tels outils ?

Laurence Comparat : On n’en est pas vraiment à développer nos outils. Par contre on a déjà rendu à la communauté PrimTux. PrimTux est un outil conçu spécialement pour les écoles, qui est basé sur Linux, donc un système d’exploitation – c’est l’équivalent de Windows, c’est l’équivalent de Mac OS mais c’est en Libre – avec une configuration dédiée à l’utilisation des élèves, du CP au CM2, qui a été conçu par des informaticiens et des enseignants et enseignantes du primaire. On l’a installé dans nos écoles avec un environnement intégralement libre : dans nos écoles on a aussi des serveurs qui gèrent les accès des élèves et des enseignants au poste, qui filtrent le contenu internet puisqu’on a la responsabilité de ne pas exposer un public mineur à tout et n’importe quoi. De base, PrimTux ne permettait pas de travailler avec nos serveurs, donc on a travaillé avec une entreprise locale, ce qui je disais tout à l’heure, on fait appel aux compétences du territoire, pour faire le développement qui permet à PrimTux de dialoguer avec les serveurs EOLE qui sont aussi une solution libre. Ce développement-là on l’a reversé à la communauté et il est maintenant disponible, de base, avec PrimTux. On sait qu’il y a déjà au moins une commune qui l’a déployé pour ses écoles, dont j’ai mangé le nom à ma grande honte.

Frédéric Couchet : On va essayer de le retrouver. On va revenir sur le sujet, on va poursuivre le sujet école et aussi mutualisation après une petite pause musicale qui va nous servir de respiration. Nous allons écouter Nakturnal par Kellee Maize et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Nakturnal par Kellee Maize.

Voix off : Cause Commune 93.1

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Nakturnal par Kellee Maize. C’est en licence libre les références sont sur le site de l’April, april.org
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous !, sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm et puis même en Île-de-France vous pouvez écouter sur causecommune.fm, en fait.

Nous allons poursuivre la discussion sur le thème des collectivités et le logiciel libre, toujours avec nos invités du jour Laurence Comparat, adjointe données publiques, logiciels libres et Administration générale de la ville de Grenoble et Pierre Levy de la Direction des Systèmes d’Information et du Numérique de la mairie de Paris, notamment en charge de la maintenance et de l’évolution de la plate-forme Lutece.

Juste avant la pause musicale Laurence Comparat nous parlait un petit peu de PrimTux qui est une distribution pour les écoles basée sur un système libre GNU/Linux. Est-ce que tu peux rentrer un petit peu plus dans le détail, en tout cas expliquer ce qu’il est possible de faire dans les écoles avec cette distribution qui s’appelle PrimTux ?

Laurence Comparat : On a choisi cette solution-là. Au début on s’était dit « on va mettre un environnement Linux de base, avec un LibreOffice, un accès Internet, etc. », et on s’est rendu compte que c’était un petit pauvret, quand même, pour les écoles. Et coup de bol, il y a un magnifique environnement, j'allais dire clefs en main, conçu par et pour les enseignants et les enseignantes du primaire qui permet de proposer un environnement adapté aux élèves. C’est-à-dire que vous allez vous connecter à l’ordinateur en disant « je suis en CP-CE1, je suis en CE2, je suis en CM1 », et vous aller avoir une interface qui va être adaptée au fait que vous ne savez peut-être pas encore très bien lire et écrire parce que vous êtes en CP, donc il va y avoir des gros boutons, des icônes un peu plus rigolotes ; évidemment, le programme de maths que vous pourrez faire suivant que vous vous connectez en tant que CP ou CM2 ne sera pas le même. Et ça pour toutes les matières avec énormément d’outils dans les différentes matières, adaptés aux programmes. Voilà. Un environnement qui facilite le travail des enseignantes et enseignants.
La difficulté que nous avons en tant que collectivité par rapport à ça c’est que nous ne sommes pas l’employeur des enseignantes et enseignants. Donc tout ce travail d’accompagnement dont je parlais, que nous pouvons faire en tant qu’employeur auprès de nos agents et de nos agentes quand on passe à LibreOffice à la ville de Grenoble et au CCAS [centre communal d'action sociale], ça n’est pas à nous de le faire dans l'Éducation nationale. C’est l’Éducation nationale qui a la charge de la formation des enseignantes et des enseignants et, le moins qu’on puisse dire, c’est que la formation au numérique est quand même un peu le parent pauvre. Donc malheureusement nous, ce qu’on constate – mais quel que soit l’environnement qui est mis à disposition – c’est que souvent les enseignantes et les enseignants sont un peu tout seuls face au numérique à l’école. Nous on leur a fourni le mode d’emploi. On leur a expliqué LibreOffice, voilà comment vous en servir ; pour vous connecter à Internet dans cet environnement, voilà ce que vous faites. Voila la liste des applications pédagogiques qui sont fournies. Si vous en trouvez des super intéressantes on peut les ajouter facilement, il n’y a aucun de souci. Par contre, nous ne sommes ni compétents, ni légitimes à leur dire « par rapport au programme de sciences naturelles voila un super scénario pédagogique à dérouler ». On est un petit peu « le cul entre deux chaises », entre guillemets, sur ces questions-là : on met des moyens à disposition, mais nous ne sommes pas censés former les gens qui vont s’en servir au final.

Frédéric Couchet : C’est intéressant ce que tu dis parce que très récemment, dans le débat pour une école de la confiance, notamment au Sénat, il y a eu un amendement, si je me souviens bien c’est de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, pour renforcer la formation des enseignants et des enseignantes dans les nouvelles écoles, dont je n’ai pas retenu le nom parce que ça a encore changé de nom [INSPE, Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation]. Je vous invite à aller sur le site de l’April, april.org, il y a la vidéo et on a fait la transcription parce que, au cours de la discussion sur la formation de ces personnes, il y a eu la question du logiciel libre, de la priorité au logiciel libre.
Évidemment, dans le domaine des écoles, les collectivités, comme tu le dis, vous n’êtes pas en charge effectivement de la formation des personnels. Vous dépendez un peu de ce que fait l’Éducation nationale et malheureusement, depuis des années, les gouvernements passent mais les accords de partenariat avec Microsoft et autres, Google, Cisco et compagnie, perdurent alors qu’évidemment, avec énormément de volonté, comme tu dis, il y a des outils logiciel libre qui existent aujourd’hui, qui sont largement utilisables par des enfants que ce soit en primaire ou au collège et ensuite après.

Laurence Comparat : Tout à fait. Là c’est vrai qu’on est un petit peu face à un nœud. On a le nœud des logiciels propriétaires, contrairement aux consignes de l’État, d’ailleurs, qui invite à favoriser l’utilisation des logiciels libres. On enferme l’école et, encore une fois, l’école c’est un lieu de formation, un lieu où on prépare, quand même, l’avenir de la nation, pour ne pas dire plus largement. C’est encore extrêmement verrouillé et puis il y a, effectivement, des difficultés de formation. Nous avons essayé de négocier avec l’inspection de l’Éducation nationale, en disant « écoutez, nous on est en train de bouleverser un peu les conditions de travail de vos employés, il faudrait qu’on travaille ensemble, il faudrait que vous dégagiez du temps pour qu’ils soient formés ». Et l’inspectrice nous a dit que c’était compliqué puisque les enseignantes et les enseignants avaient droit à 18 heures de formation annuelle dont 9 heures de maths et 9 heures de français obligatoires.
Le numérique, quel que soit l’environnement, on voit bien que c’est le parent pauvre !

Frédéric Couchet : Exactement. Comme je le disais, ça ne va peut-être pas forcément changer avec le gouvernement actuel et les projets. En tout cas j’invite les gens à regarder quand même un petit peu ce qui se passe dans le projet de loi école de la confiance et les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat parce qu’on voit quand même certains politiques qui sont de plus en plus investis pour essayer de pousser les logiciels libres et pour une vraie formation des élèves et aussi des équipes enseignantes parce que ça va, évidemment, ensemble.

Laurence Comparat : Tout à fait.

Frédéric Couchet : D’ailleurs je pense qu’on fera relativement bientôt un sujet sur l’éducation, le logiciel libre et l’informatique, peut-être avant la pause estivale ou juste à la rentrée, nous verrons.
Je vais revenir sur Paris et Lutece. J’ai l’impression que Lutece est quand même un sucess story, quelque part, vue la durée. Tout à l’heure Pierre Levy de la Direction informatique de la ville de Paris parlait de la réutilisation par d’autres collectivités qui, je suppose, sont accompagnées, comme à Grenoble, par des prestataires locaux pour les aider. Pierre Levy, est-ce vous avez une idée, au niveau de la mairie, de combien d’autres collectivités réutilisent Lutece pour leurs propres besoins ? Est-ce que ce ne sont que des collectivités françaises ou est-ce qu’il y a des collectivités étrangères par exemple ?

Pierre Levy : Une réponse très simple c’est, je dirais, trop peu pour l’instant vu les potentialités que peut apporter la plate-forme et vu le fait que toutes les collectivités ont quasiment les mêmes besoins. Aujourd’hui je dirais le Libre, mais il n’y a pas que Lutece, les autres plates-formes comme openMairie ou Publik, etc., ne sont pas assez diffusées, pas assez utilisées pour l’instant par rapport aux potentialités qu’elles offrent. Un sujet qui me tient à cœur parce que je dirais que j’ai un petit peu une vision, depuis plus d’une quinzaine d’années, sur l’évolution des plates-formes open source en France, c’est le fait qu’aujourd’hui il y a un regain pour l’open source ; on peut le voir.

Frédéric Couchet : Pour l’open source, pour le logiciel libre ou pour les deux ?

Pierre Levy : Pour les deux.

Frédéric Couchet : Pour les deux. D’accord.

Pierre Levy : Pour les deux et notamment pour la fonction de développeur. Je crois que c’est une excellente chose. Il y a une dizaine d’années, à l’école, à tous les étudiants qu’on recevait, on leur expliquait que le développement n’avait pas d’avenir, que ça serait fait par des générateurs ou off-shore en Inde ou, etc., donc il ne s’agissait pas d’investir dans cette direction. Il a fallu que Xavier Niel, notamment avec l’École 42, fasse prendre conscience à tout le monde que les développeurs étaient fondamentaux dans le développement de l’économie numérique et qu’il fallait plus de développeurs.

Frédéric Couchet : Et plus de développeuses aussi, c’est important.

Pierre Levy : Et de développeuses, tout à fait. D’ailleurs dans mon équipe j’ai des développeuses.

Frédéric Couchet : C’est pour ça que je le dis, en plus!

Laurence Comparat : Super. Bravo !

Pierre Levy : Une personne qui travaille sur Lutece depuis très longtemps avec moi, Isabelle. Il est important que cette fonction de développeur soit redevenue à la mode, on le sent bien depuis quelques années, donc ça a redonné forcément un goût à l’open source puisque tous les développeurs, aujourd’hui, travaillent avec des briques open source, quasiment. Par contre, on est dans une nouvelle phase où faire du logiciel libre, en fait, c’est publier son code sur une plate-forme telle que GitHub, sauf que c’est loin d’être suffisant. Le message que j’essaye de faire passer un petit peu dans le milieu des collectivités c’est que c’est très bien de faire des logiciels, de les reverser, mais vraiment, pour qu’un logiciel ait une chance de survivre, et je suis bien placé pour le savoir, il y a beaucoup d’autres critères qui sont très importants comme la gestion de la sécurité, comme les tests, la documentation, la maintenabilité, l’exploitabilité. Donc, si tout le monde reverse son code de manière un petit peu anarchique, ça ne sert pas forcément le système parce que, du coup, on n’arrive plus à choisir. On peut tomber sur des logiciels qui ne sont pas suffisamment de bonne qualité, donc aller dans des déceptions. Aujourd’hui mon message serait plutôt d’essayer de contribuer aux plates-formes existantes, en fonction de ses affinités en termes technologiques, si on est plutôt Python, PHP, JavaScript ou Java.

Frédéric Couchet : Ce sont des langages de programmation, pour être plus précis.

Pierre Levy : Ce sont des langages de programmation. Lutece, par exemple, utilise le langage Java. En fonction de ces affinités-là, des compétences internes, etc., je pense qu’on servirait mieux la réutilisation et la mutualisation si les gens participaient, contribuaient, s’associaient sur des plates-formes comme ça. Je tiens vraiment à saluer Lyon, Marseille, Nice aussi avec qui on travaille un petit peu en ce moment, de rentrer dans des logiques comme ça. On espère que ça va permettre de consolider, en fait, des communs logiciels qui puissent être vraiment à disposition de tous et réutilisés par toutes les collectivités.

Frédéric Couchet : Et en rajoutant un peu d’éthique là-dedans on arrive au logiciel libre. On passe de l’open source au logiciel libre.

Pierre Levy : Oui. Je suis désolé Frédéric !

Frédéric Couchet : On a eu des discussions.

Laurence Comparat : Le running gag.

Pierre Levy : Remplacez dans mon discours open source par logiciel libre.

Frédéric Couchet : Je précise qu’on a eu la discussion avant la prise d’antenne. Je taquine un peu Pierre.
Je surveille l’heure parce que le temps presse, en fait, sur ce sujet passionnant.
Je voulais revenir sur une difficulté qui a été évoquée tout à l’heure par Laurence Comparat quand elle parlait de LibreOffice et d’une difficulté qu’on connaît, depuis très longtemps, qui est l’adhérence de la suite bureautique, Microsoft Office pour ne pas la nommer, aux outils métiers propriétaires. Est-ce que c’est le principal défi cette adhérence, cette dépendance, on va plutôt employer le terme dépendance, est-ce que c’est la principale difficulté, quand on fait un projet de migration vers LibreOffice, au-delà de l’humain dont on a parlé tout à l’heure ? Est-ce que d’un point de vue technique c’est la principale difficulté ?

Laurence Comparat : C’est effectivement la deuxième difficulté. Il y a l’aspect changement et puis il y a le côté « est-ce que je vais pouvoir le faire ? » Est-ce que les logiciels métiers que j’ai, est-ce que mon logiciel de comptabilité, mon logiciel de gestion des ressources humaines, mon logiciel de la gestion des cantines, de la gestion de piscines, etc., est-ce que ça va marcher si j’ai besoin de gérer des documents de type courrier, tableur, etc. ? Est-ce que ça va marcher si je n’utilise plus la suite que tu n’as pas nommée ? Eh bien il y a des cas où on est coincés ! Il n’y en a pas beaucoup, mais il y a quand même des moments où des éditeurs logiciels nous fournissent des outils qui ne fonctionnent que dans une configuration donnée : ça ne va marcher que avec Windows, que avec Microsoft Office, et ça ramène à cette question de la souveraineté que je soulevais tout à l’heure.
Moi, en tant que collectivité publique, je dépense de l’argent public, ça veut dire qu’il y a des moments où, en fait, je n’ai pas le choix de ce que je vais mettre en place dans ma collectivité pour rendre le service public. Ça pose une question de fond quand même ! Il y a une absence de liberté alors qu’il y a une offre, par ailleurs, potentiellement, et du coup eh bien voilà ! Je ne vais non plus empêcher mes agents et mes agentes de travailler, je ne vais pas mettre en danger le fait de rendre mes missions de service public ou de remplir mes obligations réglementaires, donc ça peut être un vrai frein. Et là on a un souci. Les éditeurs cèdent à la facilité en fait ! 99, 100 % de leurs clients sont dans la configuration que tout le monde considère comme étant la seule disponible. À force de la voir, on baigne tellement dedans, on n’imagine pas que ça puisse être autre chose ! Alors qu’en fait si, ça pourrait être autre chose. Oui ça a un coût peut-être de se dire « il faut que mon outil puisse marcher à la fois sous Windows, à la fois sous Mac, à la fois sous Linux, avec tel outil, etc. » Mais ça veut aussi dire que dans la philosophie de la façon dont je le développe, il faut peut-être que je pense à développer des outils qui sont indépendants du système qui va être utilisé. Aujourd’hui avec les CMS, les outils web dont nous parlait Pierre, on fait énormément de choses. Quand on fait du Web on n’est pas dépendants du système. Est-ce que vraiment j’ai besoin d’appeler des documents qui sont extérieurs ? Est-ce que ce n’est pas plutôt mon outil qui va me générer un format PDF, par exemple, qu'ensuite je vais l’envoyer par mail à mes correspondants.
Il y a des logiques dans la façon de concevoir les outils qui sont en elles-mêmes bloquantes derrière.
Au-delà du fait que c’est exaspérant sur le principe, c’est très important quand on se lance dans cette démarche. Et nous, c’est une des deux choses qu’on a faites au préalable, c’est cet audit-là de dire est-ce qu’il y a des endroits où on va être coincés ? Parce que se dire si je veux changer ma suite bureautique, il faut que je change mon logiciel de comptabilité, ça change les données du problème !

Frédéric Couchet : Ça nous fait penser, pour ne pas faire croire que c’est moi qui y ai pensé je précise que c’est mon collègue en régie qui me signale : pour cet enfermement je dirais, Laurence Comparat, qu’on devrait t’envoyer parler aux gens du ministère des Armées qui vivent un enfermement depuis maintenant 2008 avec l’Open Bar Microsoft/Défense, dont le renouvellement a été calculé sur quatre ans, qui est une durée qui n’est sans doute pas suffisante pour permettre, justement, de se libérer de cet enfermement-là. Donc il n’y a pas que dans l’Éducation nationale, il n’y a pas que dans les entreprises, il n’y a pas dans que les collectivités, il y a aussi, malheureusement, des structures qui ont pourtant des moyens, le ministère de la Défense. On peut espérer que bientôt ils s’en libéreront, qu’ils arriveront à des solutions logiciel libre.

Laurence Comparat : La gendarmerie y est arrivée !

Frédéric Couchet : Exactement. Ce qui est intéressant dans ce qu’on présente aujourd’hui avec Paris et Grenoble ce sont des exemples où ça fonctionne et effectivement, comme tu le dis, la gendarmerie. Mais pareil, comme Grenoble, la gendarmerie a pris le temps, a fait un plan de migration sur de longues années avec un accompagnement, une formation.
D’ailleurs ça me fait penser, une de mes dernières questions à tous les deux parce que là on a parlé, on va dire de difficultés ou de points de blocage et, évidemment, la dépendance aux outils métier propriétaires est un point de dépendance très fort. Quel levier, même si on en a déjà un petit parlé, mais quel levier vous conseilleriez à des collectivités qui voudraient mettre en œuvre des projets de logiciels libres pour que ça se passe bien ? On va commencer par Pierre.

Pierre Levy : Effectivement il faut sensibiliser, je dirais, un petit peu tous les acteurs, que ça soit les élus, les opérationnels, les agents, etc. Les sensibiliser, leur faire comprendre un petit peu les enjeux civiques qu’il y a derrière le logiciel libre, c’est déjà une très grosse étape.

Frédéric Couchet : Laurence.

Laurence Comparat : Tout à fait. On l’a déjà dit, mais l’idée, vraiment, ce sont des projets de grande ampleur. Ce n’est pas anodin, c’est du changement, ça prend du temps, ça demande des moyens. Ça ne va pas aller aussi vite qu’on le souhaiterait, mais si on veut l’installer de manière solide il faut se donner le temps et il faut, ce que vient de dire Pierre, expliquer pourquoi on le fait : il y a des valeurs derrière, il y a des envies. Et puis mettre en avant, aussi, les opportunités que ça va susciter. Comme je vais voir tous mes services parce que tout le monde va être concerné, j’en profite pour creuser d’autres choses. J’en profite pour leur dire « au quotidien qu’est-ce qui vous enquiquine ? Tiens, on va en profiter pour travailler dessus ». Vraiment avoir une perspective globale. S’en saisir aussi comme prétexte pour être dans l’amélioration des conditions de travail, du service rendu. Donc vraiment avoir une perspective de moyen-long terme. Une perspective qui ne soit pas une perspective technique. Ne pas minimiser la dimension technique, il y a un travail technique à fournir, les équipes informatiques sont forcément mobilisées, mais ça n’est pas que ça.
Si on dit que c’est un projet d’institution et de transformation de l’institution au service des valeurs et des valeurs du service public, on pose déjà des choses qui sont solides et on prend le temps de le faire tranquillement.

Frédéric Couchet : Ça me paraît excellent. Ce n’est pas encore la conclusion parce que je vois que Pierre me regarde. Tu voulais ajouter quelque chose sur cette partie-là ?

Pierre Levy : Je suis tout à fait d’accord. Je rajouterais même pour la partie développpeur c’est que, je le vois avec mon équipe, les gens sont vraiment très investis dans le fait de développer du logiciel libre. Ça donne un plus sur la qualité, sur la motivation, sur l’investissement qui est vraiment indéniable.

Frédéric Couchet : Je précise, parce que tu parles de développeurs, donc aussi de développeuses, que j’encourage les personnes qui nous écoutent à réécouter l’émission du 14 mai 2019 qui était consacrée aux métiers du développement logiciel libre avec Emmanuel Raviart et Katia Aresti, développeur et développeuse logiciel libre, qui ont expliqué pourquoi c’est très bien de faire du développement et pas simplement uniquement dans les premières années de sa carrière d’informaticien ou d’informaticienne parce que Kata Aresti et Emmanuel Raviart sont développeur et développeuse depuis de longues années. C’est l’émission du 14 mai, disponible en podcast sur le site de l’April, april.org.
En conclusion j’aimerais vous demander un petit peu est-ce que vous avez une actualité autour du logiciel libre ou des projets ? On va commencer par Pierre comme ça on laissera la parole à Laurence pour conclure.

Pierre Levy : En termes d’actualité, on va organiser un forum [Open Source City Forum], début juin, où on va réunir des grandes personnalités de l’open source américaine notamment, comme le président de la Fondation Linux, Fondation Eclipse, des gens de Code For America, pour essayer de réfléchir avec eux sur comment essayer de faire prendre un petit peu les plates-formes open source dans les villes et notamment les villes américaines puisque ça fait deux ans qu’on travaille avec Baltimore et Blumberg sur des expérimentations et sur la possibilité de redéployer la plate-forme Lutece, par exemple, aux États-Unis. Ça c’est début juin.
On est en short list pour le prix Sharing and Reuse de la Commission européenne.

Frédéric Couchet : Partage et réutilisation.

Pierre Levy : Partage et réutilisation. Ce sont des prix, il y a 80 candidats. Aujourd’hui il y a 16 nominés en short list et on est deux produits français en short list, c’est OpenFisca qui est un moteur de calcul d’aide sociale qui est fait par le ministère des Finances et Lutece. Les résultats auront lieu le 12 juin, je crois.

Frédéric Couchet : Écoute Pierre, on croise les doigts et on annoncera ça dans l’émission de l’April.

Pierre Levy : Nous aussi.

[Rires]

Frédéric Couchet : Laurence, les actualités côté Grenoble ?

Laurence Comparat : Actualités pas spécialement. On est plus dans les phases où on monte en puissance. L’ensemble des écoles de Grenoble seront toutes passées, intégralement, en logiciel libre à la rentrée après plusieurs années de travail. On a bien conscience qu’on a un peu bousculé tout le monde, en particulier les équipes pédagogiques. Une des choses qu’il nous reste à faire et avec mon collègue Fabien Malbet, adjoint aux écoles, on porte vraiment ce projet-là tous les deux : on souhaite voir, en lien avec l’Éducation nationale, pour se rapprocher des éditeurs des manuels scolaires numériques, parce qu'un des points de tension, cette dépendance au logiciel propriétaire, on l’a aussi sur les manuels scolaires. Ce que nous font remonter les équipes pédagogiques c’est que le manuel numérique qu’elles ont acheté eh bien il ne tourne plus sous Linux parce que ça n’a pas été conçu pour. Donc là on se dit qu’on a peut-être aussi un travail politique à faire pour nous rapprocher des éditeurs pour qu’ils fournissent leurs supers outils utilisables par tout le monde.

Frédéric Couchet : Cette annonce de migration est très bien et je ne peux que appuyer ce que tu viens de dire.
Avant qu’on se dise au revoir, je voudrais quand même repréciser une chose parce que c’est important. Tout à l’heure Pierre Levy a indiqué qu’Emmanuel Grégoire qui est premier adjoint à la mairie de Paris, avait été présent aux 20 ans de l’April, donc à la soirée à Paris puisque, évidemment, on l’a invité. Je tiens à dire que Laurence Comparat est venue récemment à l’AG de notre association qui a eu lieu à Saint-Denis en mars 2019. Donc au-delà de leurs investissements dans les collectivités, Paris et Grenoble, sont aussi investies au sein notamment de l’April et d’autres structures et je vous en remercie.
Je vais vous souhaiter une bonne journée. Bonne journée Laurence et puis à bientôt.

Laurence Comparat : Merci beaucoup. À bientôt.

Pierre Levy : Merci. À bientôt.

Frédéric Couchet : À bientôt Pierre.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons vous proposer un petit quiz avant la pause musicale. Vous aurez le temps de la pause pour proposer des réponses soit sur le salon web de la radio, je rappelle causecommune.fm ou via les réseaux sociaux, donc le compte @aprilorg sur Twitter ou @aprilorg@pouet.april.org sur Mastodon.
Première question : que signifie le sigle THSF ? Je répète que signifie le sigle THSF ?
Deuxième question : dans l’émission de la semaine dernière, donc mardi 21 mai 2019, un des intervenants travaille pour la société 24ème. Mais d’où vient ce nom 24ème ? Vous avez le temps de la pause musicale pour chercher soit dans la transcription sur le site de l’April, april.org, soit dans vos souvenirs.
Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Sur la terre par Sucrepop [Hérésie Danse par Dag-z, NdT].

Pause musicale : Hérésie Danse par Dag-z.

Voix off : Cause Commune 93.1.

Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, « Dis, tu ne connaîtrais pas un logiciel libre ? »

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Sucrepop Sur la terre et c’est évidemment disponible en licence libre, les références sont sur le site de l’April.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Avant la pause musicale j’avais posé deux questions. Je répondrai à la première question tout à l’heure dans les annonces, mais pour la deuxième question qui était sur l’entreprise dont le nom est 24ème, lors de la dernière émission, l’explication est la suivante : cette personne faisait partie d’une équipe de développeurs, vraiment des développeurs, quatre garçons qui étaient au quatrième étage, donc on les appelait « les gars du quatrième ». Il se trouve que ces personnes travaillaient essentiellement pour des viticulteurs, donc des projets « vin », du coup ça a fait «vin quatrième ». Il se trouve que c’est aussi l’inverse de 42. J’invite les personnes qui ne savent pas ce qu’est 42 à lire le Guide du voyageur galactique et elles comprendront que 42 est un élément central de ce livre.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant avec la chronique de Vincent Calame, bénévole à l’April, qui m’a dit une phrase qu’on entend très souvent : « Dis, tu ne connaîtrais pas un logiciel libre ? » Phrase que nous entendons effectivement tous très souvent et que tu as entendue encore récemment, donc ça t’a donné l’idée de cette chronique du jour Vincent.

Vincent Calame : Oui tout à fait. Bonjour. C’est sûr que c’est une question qui est très agréable à entendre. Je dois juste expliquer un peu dans quel contexte je l’ai entendue : je travaille principalement pour la FPH, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, qui possède un bâtiment au 38 rue Saint Sabin. C’est une adresse qui est connue des libristes puisque nous y accueillons, tous les jeudis soir, les soirées de contribution au Libre de Parinux et également des événements de l’April.
Ce bâtiment héberge une dizaine de structures et chacune de ces structures est un peu libre de sa politique informatique. Évidemment, pour la structure pour laquelle je travaille, la FPH, on a basculé depuis belle lurette vers le logiciel libre, mais sinon nous n’imposons rien aux personnes hébergées.

Frédéric Couchet : Donc pas de prosélytisme en particulier en faveur du logiciel libre ?

Vincent Calame : Très peu parce que, par le passé, c'est vrai que je me suis un peu cassé les dents quand j’avais une démarche trop volontariste. Je préfère, en fait, prêcher par l’exemple. Ça ne m’empêche pas de rappeler, toujours, que Apple et Microsoft sont les deux premières capitalisations mondiales, sachant que souvent ces structures travaillent dans ces questions d’alternatives aux multinationales, donc c’est toujours bien de rappeler ces faits-là quand on utilise ce type d’ordinateur. Également quand quelqu’un vient avec un Mac, qu’il n’arrive pas à le brancher au vidéoprojecteur, j’en fais des gorges chaudes. Sinon, ce que je constate, c’est que l’action de sensibilisation a été faite, personne n’ignore que le logiciel libre existe. Maintenant je considère que c’est un peu aux gens de faire la démarche et mon bureau est ouvert si on a des questions à me poser.

Frédéric Couchet : Ton bureau est ouvert, d’où la question : « Dis Vincent, tu ne connaîtrais pas un logiciel libre ? ». De quel logiciel libre s’agit-il ?

Vincent Calame : C’est le premier point intéressant : on m’a posé récemment trois fois cette question et à chaque fois c’était sur le même sujet. C’était sur la question du partage de fichiers et notamment les alternatives aux solutions propriétaires que je vais citer, Google Drive, Dropbox et ainsi de suite, avec, à chaque fois, des motivations d’ordre technique puisque des problèmes de capacité – parce que ce sont évidemment des solutions gratuites au départ mais quand on commence à beaucoup les utiliser on atteint une saturation –, mais aussi, ce qui est encourageant, des questions éthiques sur la question du contrôle des données. Je vois vraiment, à mon petit niveau, que tout le travail de sensibilisation que font de nombreux acteurs du Libre porte ses fruits sur ces questions-là.

Frédéric Couchet : D’accord. On en parlera peut-être à la fin de la chronique. Quelle a été ta réponse ?

Vincent Calame : Pour moi c’est le deuxième point intéressant, je trouve que la réponse n’est pas simple. En fait, il y a dix ans, quand on posait cette question-là, la réponse était assez simple parce qu’on allait notamment sur Framasoft qui était, à l’époque, principalement un catalogue de logiciels libres, on regardait quel était le besoin auquel la personne voulait répondre, on lui disait de télécharger et voilà ! Ça s’installait plus ou moins facilement et le tour était joué.
Le problème, maintenant, c’est que ce n’est pas seulement une alternative à un logiciel, c’est carrément une alternative à un service. J’explique la différence. Dans notre cas de Google Drive et Dropbox, le logiciel libre qui permet d’avoir une alternative existe, c’est Nextcloud, simplement il ne s’agit pas seulement de l’installer sur son ordinateur, de le télécharger en un clic et c’est terminé. Pour utiliser Nextcloud, il faut avoir son propre serveur, l’installer sur son propre serveur ; ça c’est évidemment beaucoup plus compliqué que juste l’installer sur son bureau pour des gens qui n’ont pas assez de compétences techniques.

Frédéric Couchet : L’installer sur son ordinateur est-ce que c’est la seule solution ou est-ce qu’il existe d’autres solutions ?

Vincent Calame : Oui. Il existe heureusement d’autres solutions et c’est toute l’importance du mouvement des CHATONS qui a été beaucoup évoqué à cette antenne, qui va sans aucun doute continuer à être évoqué souvent, puisque beaucoup de structures n’ont pas ces moyens de mettre en place de tels services et il est important qu’il y ait des prestataires, des lieux, où elles peuvent disposer de ce type de services. D’ailleurs dans les trois cas où on m’a posé cette question, ce que j’ai fait, c’est que j’ai présenté Nextcloud et ensuite, surtout, j’ai accompagné les personnes sur le site des CHATONS pour essayer d’identifier des prestataires qui pouvaient répondre à leur besoin, voir en termes de capacité ce qu’ils proposaient et ainsi de suite.

Ce que trouve intéressant c’est qu’il y a dix ans, en fait, on avait tout un message qu’on passait auprès des gens c’est « libre ne veut pas dire gratuit », parce que, au fond, le principal argument il y a une dizaine d’années c’était justement ce côté « pas de licence à payer, on télécharge ». Ça c’était vrai, c’est toujours vrai dans le cas des logiciels qu’on installe sur son ordinateur.
Quand on est dans la question des services, il y a des services en ligne qui sont partagés par plusieurs utilisateurs, le problème maintenant c’est que la gratuité est du côté des services privateurs : gratuité de Dropbox, gratuité de Google Drive, gratuité de Facebook et ainsi de suite. Donc on est face à ce problème-là, en fait on n’a plus cet argument de gratuité et au contraire, maintenant, je suis obligé de dire « passer au logiciel libre ça va vous demander un budget ; c’était gratuit avant, ça va vous demander un budget ». Mais je pense que c’est aussi positif puisque la confusion liberté-gratuité effectivement posait problème, là c’est plutôt de dire que tout comme la démocratie a un coût, eh bien la liberté aussi a un coût. Je crois que c’est important de le rappeler et d’avoir cette démarche de dire que ça vaut la peine de faire l’investissement mais qu’il y aura des conséquences budgétaires indéniables. À chaque fois je ne cache pas à mes interlocuteurs cette dimension des choses.

Frédéric Couchet : De toute façon il ne faut évidemment pas cacher la réalité des choses. En tout cas je te remercie.
Tu as parlé des CHATONS. On va rappeler que c’est le Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, le site c’est chatons.org, chatons avec un « s », sur lequel vous allez trouver un certain nombre de structures qui proposent des services dont certains proposent des services de partage de fichiers. Je vais aussi en profiter pour faire un peu d’auto-pub pour le chaton de l’April qui s’appelle Chapril, donc chapril.org, parce que j’ai vu hier sur les listes internes que le prochain service qui serait mis en ligne serait un service de partage de fichiers, mais sans doute pas basé sur Nextcloud, qui fait beaucoup d’autres choses que ça, sans doute avec un outil qui ne fait que ça, qui le fait bien. C’est la première chose.
La deuxième chose : sur le webchat de la radio, donc sur le salon web, on me signale qu’il existe d’autres solutions alors individuelles ou en tout cas pour les gens qui veulent l’installer, c’est la Brique Internet et YunoHost. Vu le peu de temps qui nous reste j’encourage les gens à regarder sur Internet des informations sur la Brique Internet et YunoHost, mais on mettra aussi des références sur le site de l’April.
Écoute, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose Vincent ?

Vincent Calame : Là non. Je n’ai cité qu’un seul logiciel parce que parfois, le fait qu’il y ait une très grande diversité de choix est aussi une source de confusion pour les gens. Quand on te dit : « Tu ne connaîtrais pas un logiciel libre ? » et qu’on te répond : « En fait j’en connais dix ! », on a un peu un effet de trop d’abondance qui perturbe également. Les gens n’en connaissent qu’un seul. C’est vrai que j’avais cité Nextcloud parce que, en fait, c’est celui que j’utilise par ailleurs donc c’est pour ça que je l’ai cité, mais c’est sûr que au-delà de l’avantage du logiciel libre, c’est aussi cette diversité de choix.

Frédéric Couchet : Exactement. J’utilise aussi Nextcloud. Très récemment une partie de ma famille est partie loin et, pour échanger les photos, on a utilisé l’outil de partage de Nextcloud qui fonctionne très bien, à la fois sur ordinateur on va dire de bureau, et aussi sur téléphone mobile ce qui est aujourd’hui essentiel pour les gens.
Merci Vincent et puis on se retrouve le mois prochain.

Vincent Calame : Bien sûr.

Jingle basé sur Sometimes par Jahzzar.

Annonces

Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission, même très rapidement, je vais terminer par quelques annonces mais moins que prévu.
D’abord je vais corriger le nom de la musique qu’on a écoutée tout à l’heure. J’avais un doute quand je vous ai parlé de Sucrepop, eh bien pas du tout ! C’était Hérésie Danse par Dag-z. Je corrige parce que je me suis dit « tiens ce n’est pas le nom que j’avais en tête ». La correction est faite.

Tout à l’heure, dans le cadre du petit quiz, je vous demandais ce que signifie le sigle THFS. Je félicite @macousine, on va encore répéter que ce n’est pas cousine mais c’est quelqu’un dont le pseudo est @macousine sur le salon web de la radio, qui a trouvé ce qu’est THFS. Ça a lien un lien avec les annonces du jour, donc Toulouse Hacker Space Factory qui est un événement qui a lieu à Toulouse du jeudi 30 mai au dimanche 2 juin. Depuis 2010, la THSF est un rendez-vous autour des différentes facettes de la culture hacker, logiciels et matériels libres, Do It Yourself, réappropriation et détournement des technologies, art et science, défense des droits et libertés sur Internet. Beaucoup d’événements, beaucoup de sujets qui vont être traités en fin de semaine à Toulouse.
Si vous habitez Paris vous êtes les bienvenus à l’apéro de l’April vendredi soir 31 mai au local de l’April, les références sont sur le site de l’April.

Notre émission se termine. Je remercie toutes les personnes qui ont participé à l’émission. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
La prochaine aura lieu mardi 4 juin. Notre sujet principal sera consacré à nos amis de Framasoft.
Nous vous souhaitons de passer une agréable fin de journée. On se retrouve en direct mardi 4 juin et d’ici là portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.