Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 2 juillet 2019

Bannière de l'émission

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 2 juillet 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Noémie Bergez - Véronique Bonnet - François Poulain - Antoine Bardelli - Isabella Vanni - Vincent Calame - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 2 juillet 2019
Durée : 1 h 30 min
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l'accord de Olivier Grieco.
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, utilisez votre navigateur web, rendez-vous sur le site de la radio, causecommune.fm, cliquez sur « chat » et ainsi retrouvez-nous sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 2 juillet 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April.
Le site web de l’April est april.org et vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles, les détails sur les pauses musicales et toute autre information utile en complément de l’émission, mais également les moyens de nous contacter pour nous faire des retours, pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Je vous souhaite une excellente écoute.

Voici maintenant le programme de l’émission, émission un peu spéciale constituée de sujets courts, chroniques et une interview.
Nous aurons successivement la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez sur le Règlement général sur la protection des données, le RGPD ; la chronique « Le libre fait sa comm’ » d’Isabella Vanni pour le projet Bénévalibre ; la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème « En quoi l’open source perd de vue l’éthique du logiciel libre » ; une interview d’Antoine Bardelli sur son expérience professionnelle sur les outils libres pour l’image et enfin, la seconde partie très attendue de la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame sur la migration vers le logiciel libre de la FPH. Nous saurons si la quête de la sainte liberté a réussi à la FPH.
À la réalisation aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred.

Frédéric Couchet : On va, bien sûr, vous proposer un petit quiz comme à chaque émission. Je vous donnerai les réponses en cours d’émission Vous pouvez proposer des réponses sur le salon web de la radio, sur les réseaux sociaux que nous fréquentons.
Première question : lors de l’émission du 25 juin, nous avons parlé de bureautique libre et de LibreOffice. La question est : comment s’appelle l’association francophone de promotion et de défense de la bureautique libre et notamment de LibreOffice ?
Deuxième question : en mai 2019, le 7 mai, Isabella Vanni a interviewé Antoine Bardelli, qui sera à nouveau interviewé aujourd’hui, sur la genèse d’un projet de sensibilisation de l’April. Quel est cet outil de communication ? Je vous aide, il est constitué de panneaux, huit panneaux actuellement.

Tout de suite place au premier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique de Noémie Bergez « In code we trust » sur le RGPD

Frédéric Couchet : Évoquer le code à la main une règle de droit ou un procès en lien avec les œuvres, les données, les logiciels ou les technologies, c’est la chronique « In code we trust », « Dans le code nous croyons », de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune. Bonjour Noémie.

Noémie Bergez : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : Le sujet du jour c’est le RGPD, Règlement général sur la protection des données.

Noémie Bergez : Effectivement. Nous allons revenir un peu sur les grandes notions du Règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, donc le RGPD. Nous avions évoqué, lors d’une précédente chronique, un certain nombre d’éléments sur ce Règlement et il me semblait intéressant d’approfondir certaines notions, notamment de revoir un peu les définitions qui sont contenues dans le Règlement.
Le Règlement comporte 26 définitions, donc des définitions qui concernent l’objet, des définitions qui concernent les acteurs et des définitions qui concernent les conditions du traitement.

Sur l’objet, ce Règlement porte sur les données à caractère personnel.
On trouve évidemment, dans le RGPD, une définition de la donnée à caractère personnel ou, autre terme pour désigner ces données, ce sont les données personnelles. Toutes ces données ce sont des informations qui se rapportent à une personne physique, à l’inverse d’une personne morale, qui sont identifiées ou identifiables. Ça peut être une identification directe ou indirecte, notamment par référence à un identifiant – un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne ou un ou plusieurs éléments spécifiques propres à l’identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, cultuelle ou sociale. Donc une définition extrêmement large.
On va trouver, de manière assez classique dans les données à caractère personnel, le nom, le prénom, la photographie, l’empreinte, une adresse postale, une adresse mail, puisque dès lors que l’adresse mail comporte un nom qui permet d’identifier une personne physique on est en présence d’une donnée à caractère personnel, un numéro de téléphone, un numéro de sécurité sociale, mais également une adresse IP ; ça c’est un point qui est intéressant parce que c’est vrai qu’en France il y avait eu un débat pour savoir si l’adresse IP était ou non une donnée à caractère personnel et la Cour de cassation avait tranché. Aujourd’hui il n’y a plus de discussion possible.
Au sein des données à caractère personnel, le RGPD va diviser certaines données qui sont un peu spécifiques : on va avoir des données génétiques, des données biométriques et des données concernant la santé. Ces trois sous-catégories de données ont en elles-mêmes des caractéristiques spécifiques qui font qu’elles sont intégrées dans la définition des données à caractère personnel, mais elles ont parfois une réglementation propre.

  • Donc on va avoir les données génétiques qui sont des données relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises d’une personne physique. En fait, elles donnent des informations uniques sur la physiologie ou l’état de santé d’une personne physique, notamment elles résultent d’une analyse d’un échantillon biologique de la personne physique en question.
  • On va avoir les données biométriques qui, elles, sont des données qui résultent d’un traitement technique spécifique, relatives aux caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales d’une personne physique, donc elles permettent ou confirment son identification unique. L’exemple des données biométriques à caractère personnel va être les empreintes digitales : elles ont comme particularité d’être uniques et permanentes.
  • On a une troisième sous-catégorie, les données qui concernent la santé. On va avoir dans cette catégorie toutes les données qui sont relatives à la santé physique mais également mentale d’une personne physique. Il faut également noter que ça concerne aussi les prestations de services de soins de santé qui peuvent révéler des informations sur l’état de santé d’une personne.

L’objet du Règlement est bien défini dans le cadre de la donnée à caractère personnel.

Après, se pose la question de comment encadre-t-on le traitement de ces données à caractère personnel, donc c’est tout l’objet du RGPD. Le traitement d’une donnée à caractère personnel est lui aussi défini. C’est toute opération, tout ensemble d’opérations qui sont effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés. On a, par exemple, la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la structuration, la conservation, l’extraction, la consultation. C’est une définition qui est extrêmement large, le traitement est extrêmement large. En réalité, toute opération de la collecte jusqu’à l’effacement ou la destruction de la donnée est une opération de traitement.

On a également une définition dans le RGPD du fichier. Un fichier c’est un ensemble structuré de données à caractère personnel.

On a, autre aspect du RGPD, des définitions qui concernent les personnes, les acteurs-mêmes de ces traitements.
En tout premier lieu, je dirais, la personne principale, celle qu’on désigne comme étant la personne concernée, les personnes concernées, ce sont celles dont les données à caractère personnel sont traitées.
Ensuite va venir ce qu’on appelle le responsable du traitement. Le responsable du traitement c’est la personne physique ou morale qui va, en fait, déterminer les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel. Généralement, quand on parle de responsable du traitement, on évoque aussi la notion de sous-traitant. Le sous-traitant, à l’inverse du responsable du traitement, c’est celui qui va traiter des données à caractère personnel pour le compte d’un responsable du traitement. On a vraiment cette relation de sous-traitance et le RGPD prévoit que cette relation-là doit être encadrée.
On a un troisième acteur, c’est le destinataire. C’est tout simplement la personne physique ou morale qui va recevoir communication des données à caractère personnel.
On a aussi une notion qui est définie dans le RGPD, c’est le tiers. C’est vrai que parfois les distinctions ne sont pas évidentes entre destinataire, tiers. En réalité, le tiers c’est la personne physique ou morale qui est autorisée à traiter les données à caractère personnel qu’il va recevoir de la part du responsable du traitement ou du sous-traitant. À la différence, en fait, du destinataire, c’est que là c’est vraiment dans le cadre de la relation qu’il va avoir sous la responsabilité du responsable du traitement, donc ça va être vraiment en lien avec soit le responsable du traitement, soit le sous-traitant.
Enfin on a un autre acteur qui est défini dans le RGPD c’est l’autorité de contrôle. Cette autorité de contrôle est dans chaque État membre, c’est-à-dire que chacun des pays de l’Union européenne a désigné une autorité de contrôle – en France notre autorité de contrôle est la Commission nationale de l’informatique et des libertés –, donc c’est l’autorité qui va avoir un certain nombre de compétences pour surveiller, pour contrôler, pour apporter des informations dans cette matière.
Et on a enfin un autre acteur, qui n’est pas défini tel quel dans le RGPD, mais qui a une grande importance dans cette matière, c’est le délégué à la protection des données, le Data Protection Officer, le DPO, dont le statut est réglementé à l’article 37. C’est vrai qu'on entend beaucoup parler du délégué à la protection des données puisque c’est vraiment l’une des nouveautés du RGPD. Avant, en France, on avait les correspondants informatique et libertés, mais là, le RGPD confie au délégué à la protection des données un véritable statut avec des missions très importantes. Généralement on désigne un délégué à la protection des données sur la base de ses qualités professionnelles et, en particulier, de ses connaissances spécialisées du droit et des pratiques en matière de protection des données et de sa capacité à accomplir ces missions. Le délégué à la protection des données peut être soit un membre du personnel du responsable du traitement ou du sous-traitant – donc il est rattaché soit au responsable du traitement ou du sous-traitant – et, généralement, il peut aussi exercer ses missions sur la base d’un contrat de service. Donc on peut tout à fait faire appel à une société, un cabinet d’avocats par exemple, pour exercer les missions d’un délégué à la protection des données. Le délégué à la protection des données doit être déclaré auprès de la CNIL.

Ce sont toujours un peu les mêmes acteurs qui reviennent. Sur ces acteurs-là, généralement, on trouve beaucoup d’éléments, de définitions, d’explications sur le site de la CNIL pour bien comprendre, en fait, quel est le rôle de chacun. Il est important de ne pas se tromper et de savoir que lorsqu’on agit de telle façon sur des données à caractère personnel on est responsable du traitement ou nous sommes sous-traitants, et de bien veiller à ce qu’on ait désigné un délégué à la protection des données lorsque c’est nécessaire parce que, encore une fois il y trois conditions pour qu’un délégué à la protection des données soit désigné :

  • soit on se trouve dans le cadre d’un traitement qui est opéré par une autorité publique ;
  • soit les activités du responsable du traitement ou du sous-traitant consistent en des opérations de traitement qui, de par leur nature, de leur portée, de leur finalité, vont exiger un suivi régulier, systématique, à grande échelle des personnes concernées, donc ça justifie qu’on ait quelqu’un de compétent qui s’occupe de ce sujet ;
  • ou alors, troisième condition, les activités du responsable du traitement ou du sous-traitant vont consister en des traitements à grande échelle de catégories particulières de données, donc ce sont vraiment des données d’infraction ou des données sensibles.

Ce sont ces trois conditions qui imposent la désignation d’un délégué à la protection des données. Évidemment, c’est facultatif dans les autres cas mais rien n'oblige une société qui ne répondrait pas à ces critères de désigner un délégué à la protection des données.

Il existe enfin une troisième catégorie de définitions qui vont concerner, en fait, toutes les conditions du traitement. On va avoir, par exemple, une définition du consentement de la personne concernée, on va avoir des définitions sur le profilage, sur la pseudonymisation, qui sont vraiment très précisément définies dans le RGPD.
On a également une définition de la violation de données à caractère personnel. Là c’est une violation de sécurité qui entraîne de manière accidentelle ou illicite une destruction, une perte, une altération, une divulgation non autorisée de données à caractère personnel.
Et enfin on a la définition, c’est une définition on va dire indirecte, en tout cas c’est le RGPD qui instaure cette nouvelle notion de la tenue d’un registre par le responsable du traitement ou le sous-traitant. Ces personnes ont, dans certains cas, l’obligation de tenir un registre. Il existe un modèle qui est disponible sur le site de la CNIL. Dans ce registre on intègre un certain nombre d’informations, notamment des informations sur le responsable du traitement ou le sous-traitant, sur la finalité du traitement, la description des catégories de personnes, tout ce qui va concerner, en fait, le traitement en lui-même et les données des personnes qui sont visées par ce traitement. Le registre n’est obligatoire que pour les sociétés de plus de 250 employés sauf si, dans les sociétés de moins de 250 employés, le traitement qui est opéré est susceptible de comporter un risque pour les droits des personnes concernées, s’il n’est pas occasionnel ou s’il porte sur des catégories particulières, comme on l’a vu, donc des condamnations, des données sensibles.

Ce sont un peu les grandes notions qui sont définies dans le RGPD. Aujourd’hui, la protection des données est une matière à part entière qu’il ne faut pas délaisser et qu’il est important de maîtriser.

Frédéric Couchet : Merci Noémie. On va repréciser, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, que ce RGPD s’applique à tout le monde en fait, et pas simplement aux grandes entreprises. Contrairement à ce qu’on pense, le responsable du traitement ça peut être une entreprise, une association, une collectivité. Donc n’hésitez pas à vous renseigner sur le site de la CNIL. Il y a aussi des transcriptions qui ont été faites récemment de conférences dans lesquelles on abordait le RGPD, donc sur april.org. Et si vous avez besoin, comme dit, vous pouvez vous rapprocher de professionnels et, je vais faire un peu de pub, notamment évidemment du cabinet Dune, dune.fr., où Noémie Bergez est notamment spécialiste du RGPD.
Merci Noémie. Bonne journée.

Noémie Bergez : Merci Fred.

Frédéric Couchet : Et je te souhaite aussi un bel été parce qu’on ne se retrouvera qu’à la rentrée.

Noémie Bergez : Également.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une petite pause musicale. Nous allons écouter A Foolish Game par Snowflake.

Pause musicale : A Foolish Game par Snowflake.

Chronique d'Isabella Vanni « Le libre fait sa comm' » avec François Poulain au sujet du projet Bénévalibre

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter A Foolish Game par Snowflake, musique disponible sous licence Creative Commons Attribution, vous retrouvez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons maintenant changer de sujet.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Parler d’actions de type sensibilisation menées par l’April, annoncer des événements libristes à venir avec éventuellement des interviews des personnes qui organisent ces événements, c’est la chronique « Le libre fait sa comm’ » de ma collègue Isabella Vanni qui est coordinatrice vie associative et responsable projets de l’April. Bonjour Isabella.

Isabella Vanni : Bonjour.

Frédéric Couchet : La chronique du jour est consacrée au projet Bénévalibre avec, notamment, l’interview téléphonique de François Poulain qui travaille pour la société Cliss XXI. C’est à vous.

Isabella Vanni : Bonjour. Est-ce que François est en ligne ?

François Poulain : Oui, je t’entends parfaitement.

Isabella Vanni : Super. Aujourd’hui j’ai souhaité parler du projet Bénévalibre, je crois qu’on n’a pas encore eu l’occasion d’en parler dans l’émission Libre à vous !. C’est un projet de développement logiciel, logiciel libre, vous devez le savoir, vous ne pouvez pas le savoir, mais évidemment…

Frédéric Couchet : On s’en doute !

Isabella Vanni : On s’en doute bien, merci Fred. C’est un projet dont l’April est partenaire opérationnel. C’est un projet qui est porté par un comité régional d’associations de jeunesse et d’éducation populaire. En fait, c’est un projet dont le but est de développer un logiciel libre qui facilite la gestion et la valorisation du bénévolat dans les associations et, en particulier, dans les très petites associations qui n’ont pas forcément de compétences informatiques en interne. À l’origine du projet il y a un collectif d’associations. Si on veut, c’est un logiciel qui est voulu par des associations et fait pour des associations. Aujourd’hui on a avec nous François Poulain qui est développeur de ce logiciel pour la société Cliss XXI, donc on va voir avec lui un peu plus en détail en quoi consiste ce logiciel.
Déjà, Cliss XXI c’est une Scic, une société coopérative d’intérêt collectif. Est-ce que tu pourrais nous rappeler rapidement ce qui caractérise une Scic ?

François Poulain : Une Scic c’est une coopérative, mais elle a la particularité de faire du sociétariat multiple. Si vous voulez, quand on est une association par exemple, une association c’est un objet d’intérêt général, mais, comment dire, elle n’associe pas les salariés au CA en général ; les administrateurs, les dirigeants d’une association sont en général bénévoles. Dans le cas des coopératives classiques, en général les gens qui dirigent l'entreprise ce sont les salariés et uniquement les salariés.
La Scic offre une forme un peu hybride, à mi-chemin entre l’association et la coopérative qui permet, par exemple, d’associer autour de la direction de l’association des bénévoles, des salariés, éventuellement des partenaires – ça peut être des gens qui sont intéressés : par exemple si la Scic a une activité sur le territoire, ça peut être des élus du territoire qui sont intéressés – on peut avoir des bénéficiaires autour du conseil d’administration.
Dans le cas particulier de Cliss XXI, à la direction on mélange des bénévoles, des salariés, des bénéficiaires, des usagers de nos services.

Isabella Vanni : J’ai posé cette question parce que, comme j’ai dit, c’est un projet qui était voulu par des associations et fait pour des associations, mais le choix de Cliss XXI a aussi du sens dans cette démarche, du fait de votre gouvernance, justement.
On peut aller un peu plus en détail sur le projet en question, donc sur ce logiciel. Quelles sont les principales fonctionnalités que propose le logiciel Bénévalibre ?

François Poulain : L’idée, aujourd’hui, c’est de permettre aux associations de collecter les actions de bénévolat pour pouvoir les mesurer et ensuite, éventuellement, les valoriser ou faire des statistiques, etc. Nous, ce qu’on a mis en avant, c’est la simplicité d’usage qui fait que librement, spontanément, quelqu’un puisse enregistrer une association sans passer par un parcours administratif compliqué. Et, de la même façon, il faut que quelqu’un puisse, par exemple, voir les associations sur la plateforme, s’engager pour une association et déclarer du bénévolat pour l’association, pareil, sans avoir à passer par un parcours administratif compliqué.
L’idée c’est vraiment d’avoir le plus possible de simplicité au niveau de ces détails-là.
C’est une des raisons qui a conduit au développement d’une application spécifique plutôt qu’à essayer de tordre un petit peu un logiciel qui aurait fait l’affaire, parce que, le point vraiment très important du cahier des charges, c’est de rendre les choses aussi simples que, par exemple, remplir un sondage Framadate ou que créer, par exemple, un pad sur Framapad. L’idée c’est vraiment de réduire le plus possible le coût d’engagement pour que ce genre de choses ne soit pas vécu, comment dire, comme un truc administratif en plus à charge des gens. L’idée c’est plutôt d’essayer de rendre service aux gens et de rendre service aux organisations.

Isabella Vanni : C’est très bien résumé. En fait, comme tu dis, le défi est de proposer un outil très simple d’utilisation, presque aussi simple que le papier et le crayon, parce que la plupart des petites associations, quand elles souhaitent collecter et noter les heures de bénévolat, eh bien elles ont un papier et un crayon. Ça ne permet pas, par exemple, de traiter les données, de faire justement des statistiques, etc. et il doit aussi pouvoir être utilisé par des bénévoles qui ne sont pas forcément à l’aise avec les outils informatiques. C’était vraiment, comme tu disais, un point fondamental dans le cahier des charges. Personnellement je fais partie du copil du projet, j’ai testé l’application et je peux témoigner du fait qu’elle est effectivement très simple et très intuitive à utiliser.

Frédéric Couchet : Le copil c’est le comité de pilotage, je suppose.

Isabella Vanni : Comité de pilotage. Merci.
Sous quelle licence sera diffusé ce logiciel ? On sait que c’est un logiciel libre, est-ce qu’il y a une licence spécifique qui a été choisie ?

François Poulain : Nous, en fait, on n’a pas vraiment effectué ce choix, peut-être qu’il faudrait qu’on en discute. Par défaut tous nos logiciels, en fait, sont en licence Affero GPL version 3 ou ultérieure. Donc actuellement le logiciel, sur la plateforme de développement, on va dire qu'est divulgué sous cette licence-là.

Isabella Vanni : C’est quoi la particularité de cette licence par rapport à une licence libre comme la GNU GPL, pour parler d’une licence libre classique, utilisée ?

François Poulain : L’Affero GPL c’est une version, on va dire, un petit peu dérivée de la GNU GPL. Elle intègre à peu près toutes les clauses de la GNU GPL en termes de liberté et de réciprocité. Par contre, elle intègre une petite particularité supplémentaire c’est que, en termes de réciprocité, si on a des usagers qui sont, par le biais d’un réseau, utilisateurs de l’application, ils doivent pouvoir accéder aux sources de l’application. Quand on parle de services en ligne, la GPL date, enfin le contexte dans lequel elle a été écrite date un peu et elle a un petit peu un trou en termes de réciprocité, c’est qu’elle permet tout à fait aux gens de prendre un programme sous GPL, d’offrir un service en ligne et de ne pas diffuser le logiciel du service qui est offert. Donc c’est ce trou-là, on va dire, qu’essaye de résoudre l’Affero GPL qui existe depuis au moins dix ans, moi je la connais depuis au moins dix ans, sachant que ce n’est pas parfait. Il y a probablement des trous juridiques qui existent dans la solution mise en œuvre, mais c’est, à ce jour, la meilleure licence qu’on connaisse sur ce sujet-là.

Isabella Vanni : Si je peux reformuler, tu me diras si c’est exact, ça veut dire que n’importe qui, particulier, structure, etc., peut reprendre le logiciel, ce service, peut l’héberger sur son serveur, donc créer une instance comme on dit, peut faire des modifications, mais il aura l’obligation de rendre visibles ces modifications. Donc n’importe qui pourra voir quelles sont les contributions qu’il a faites sur le logiciel. Est-ce que c’est exact ?

François Poulain : Oui c’est tout à fait bien reformulé.

Isabella Vanni : Ah ! Je suis très fière de moi ! Et qui hébergera la première instance ? Qui hébergera le premier service ? Parce que c’est un service en ligne donc, il faut un serveur pour l’héberger. Il faut déjà trouver le serveur, donc avoir un serveur chez soi ou le louer, puis il s’agit de le maintenir, etc. Qui hébergera la première instance ?

François Poulain : Aujourd’hui on a une instance qui existe, qui est hébergée à l’URL benevalibre.org, qui est sur les machines de Cliss XXI, là en l’occurrence c’est une machine qui est physiquement présente chez OVH. Là on est un petit peu, on va dire, en phase de tests, consolidation, etc. L’idée c’est qu’à partir de septembre on va chercher à passer dans une seconde phase qui va être une phase d’essaimage en s’appuyant, par exemple, sur des chatons, en s’appuyant sur Framasoft. Framasoft fait partie des organisations qui étaient présentes au comité de pilotage, qui sont intéressées par ce genre de choses, donc il faudra qu’on voie avec eux comment on organise ça. Ce sont les deux axes privilégiés aujourd’hui.

Isabella Vanni : C’est bien que tu aies rappelé que Framasoft fait effectivement partie du copil, c’est l’un des partenaires opérationnels et il était intéressé à ce projet parce que les chatons, les hébergeurs autonomes, transparents, ouverts, neutres et solidaires pourraient, effectivement, proposer le service Bénévalibre parmi les autres services offerts. Donc ça permet de décentraliser le service et d’éviter l’effet monopolisation qu’on combat.

François Poulain : Tout à fait. Au-delà de ça, Framasoft est engagée dans l’éducation populaire et c’est un projet qui est né autour d’organismes de l’éducation populaire, en particulier le Crajep de Bourgogne Franche-Comté. Autre chose aussi, Framasoft, pour ses besoins propres, a un petit outil de collecte de bénévolat, je pense que ça peut les intéresser d’utiliser Bénévalibre dans le futur.

Isabella Vanni : Tout à fait. Je pense qu’on a fait à peu près le tour des questions que je voulais poser. Fred voulait peut-être poser une question ?

Frédéric Couchet : Non, je n’ai pas de question à poser. Peut-être des précisions : comme cela a été un petit peu dit, là c’est une phase de tests, le projet n’est pas encore en phase, on va dire, de production. Les associations qui voudraient éventuellement faire des tests ou des retours, quand vous vous connectez sur le site benevalibre n’hésitez pas à faire un retour à Cliss XXI, au porteur du projet. Et deuxième point, quand même simplement saluer aussi le travail important qui a été mené par Laurent Costy, membre du conseil d’administration de l’April et qui faisait partie de la Crajep Bourgogne Franche-Comté, une association d’éducation populaire, je ne me souviens plus exactement de la signification de l’acronyme Crajep.

Isabella Vanni : Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire.

Frédéric Couchet : Merci Isa. Parfait. Laurent a vraiment été le porteur de ce projet depuis de nombreuses années. C’était les seuls points que je souhaitais ajouter.

Isabella Vanni : Parmi les objectifs de l’April il y a la promotion du logiciel libre auprès de publics différents dont les associations et c’est pour cette raison que le groupe de travail Libre Association a été créé. Laurent, justement, est animateur de ce groupe qui est, entre autres, à l’initiative de ce projet.
François, merci beaucoup d’avoir été avec nous. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaites rajouter, une question que je ne t’ai pas posée mais à laquelle tu aurais aimé répondre ?

François Poulain : Non. Je veux juste rappeler que si ça intéresse des gens le projet est sur benevalibre.org. Ça c’est le site figuratif avec un lien vers l’application. Et puis les discussions sont bienvenues, par exemple sur libreassociation@april.org.

Isabella Vanni : On mettra toutes les références sur la page dédiée à l’émission d’aujourd’hui. Merci encore d’avoir été avec nous, François.

François Poulain : Merci.

Isabella Vanni : Au revoir.

Frédéric Couchet : C’était la chronique « Le libre fait sa comm’ » consacrée au projet Bénévalibre avec François Poulain et Isabella Vanni. Merci Isabella. Bonne journée.

Isabella Vanni : De même. Merci à vous.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Helios par Ramos et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Helios par Ramos.

Chronique de Vénorique Bonnet « Partager est bon » au sujet du texte « En quoi l’open source perd de vue l’éthique du logiciel libre »

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Helios par Ramos, disponible sous licence Creative Commons Attribution. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons aborder le sujet suivant.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Une lecture d’informations et de mise en perspective de la philosophie GNU, projet fondateur du logiciel libre, c’est la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie, membre du conseil d’administration de l’April. Pour cette nouvelle chronique, Véronique commente de nouveau un texte de Richard Stallman intitulé « En quoi l’open source perd de vue l’éthique du logiciel libre », chronique enregistrée il y a quelques jours. On se retrouve juste après.

Frédéric Couchet : Aujourd’hui je suis avec Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April pour sa chronique « Partager est bon ». Bonjour Véronique.

Véronique Bonnet : Bonjour Fred.

Frédéric Couchet : De quel texte de Richard Stallman vas-tu nous parler aujourd’hui ?

Véronique Bonnet : Je vais parler d’un texte qui a été traduit en français par « En quoi l’open source perd de vue l’éthique du logiciel libre ». Ce texte a été intégré à la philosophie GNU en 2016. Le titre initial est très percutant Why open source misses the point, alors misses the point c’est-à-dire « est à côté de la plaque », ne voit pas à quel point la finalité du logiciel libre est essentielle, c’est la liberté.

Pourquoi ce texte est-il très important dans la philosophie GNU ? Parce qu’il répond à la fonction de la philosophie GNU qui allait au fond des définitions, puisqu’il faut éviter les malentendus, parce que les malentendus se poursuivent et ont tendance à se pérenniser malheureusement, donc il faut les lever.

C’est vrai qu’il m’est arrivé récemment d’interroger un député. Je lui avais demandé quelle était la place de l’informatique libre dans la recherche en Europe et lui m’avait répondu : « Ah oui, l’informatique ouverte ! » C’est vrai que c’était quand même assez énervant de la part d’un représentant du peuple français. Je pense donc que ce texte-là, travaillé aujourd’hui, permet de bien faire la différence entre ce que c’est que de parler d’un code source ouvert et ce que c’est que de parler d’un projet qui est un projet collectif, qui est un projet humaniste et qui vise la liberté.

Pour le dire en un mot, c’est vrai que dans ce texte Richard montre que le free software vise un horizon qui est très éminent alors qu’en réalité, l’open source dit bien qu’elle ouvre son code, mais c’est un petit peu comme l’arbre qui cache la forêt, c’est un petit peu la partie qui est prise pour le tout et ceci est regrettable.
On pourrait dire, bien sûr, que dans les quatre libertés du free software, il y a la liberté d’utiliser le logiciel, il y a la liberté de l’étudier, et ça suppose que le code source soit ouvert, mais aussi et surtout la liberté de modifier, de redistribuer des copies modifiées ou non. Donc quand on dit, me semble-t-il, open et non pas free, au sens de l’autonomie, on est dans une posture qui est réductrice, parce que « ouvert » s’oppose seulement à « fermé », alors que « libre » s’oppose à « confisqué », « contraint », « imposé », dans le registre d’une servitude qui serait technologique.

Quelle est la perspective adoptée par Richard Stallman ? Comme d’habitude dans les textes qu’on a déjà eu l’occasion de commenter, il va du plus superficiel au plus important. Et dans cet article, je cite le début de l’article : « En 1998, une partie de la communauté du Libre a formé un groupe dissident et a commencé à faire campagne au nom de l’open source ». Ça c’est l’occasion du texte. En effet, on peut penser par exemple à Eric Raymond qui, en 1999, dans La Cathédrale et le Bazar, a réduit l’intérêt du logiciel libre à son efficacité en disant, par exemple, que plus le code était ouvert, plus il y avait d’utilisateurs, plus il y avait de rapports de bugs et qu’il y ait beaucoup de rapports de bugs permet de corriger, permet une réactivité qui aboutit à des logiciels puissants.

« Faire campagne », ça c’est le mot qui va déclencher l’analyse de Richard Stallman, c’est bien un alibi puisque, effectivement, comme on est dans un marketing, comme on veut familiariser les cadres au logiciel libre, on va mettre complètement de côté la question du bien et du mal, la question de ce qui est moral, de ce qui est respectueux de l’humain, pour parler simplement des avantages techniques, puisque les cadres, selon les promoteurs de ce groupe dissident, n’en ont rien à faire des idées de bien, des idées d’utile à l’humain, puisqu’on suppose d’eux, ce qui est certainement leur faire injure, qu’ils n’ont pas apprécié ces catégories métaphysiques, ces catégories philosophiques.
Donc l’alibi se présente comme intentionné – on fait attention à une cible, on ne va parler de liberté à des personnes qui n’en ont rien à faire, comme si elles n’en avaient rien à faire –, donc on va simplement garder du logiciel libre sa dimension technique pratique. On ne va pas du tout s’embarrasser de considérations éthiques dont on dit qu’elles pourraient lasser, qu’elles pourraient énerver. Donc la liberté, la dimension de l’autonomie, sont versées au magasin des antiquités. Il faut avancer, on n’en a plus rien à faire.

Le pédagogue qu’est Richard Stallman déroule dans son analyse à quel point il ne s’agit pas de parler d’hostilité, le véritable ennemi c’est le logiciel propriétaire, mais de manifester un regret que ce mouvement dissident oublie quand même l’essentiel, c’est-à-dire les valeurs.

D’abord un point qui est important mais non fondamental, Richard parle de différence pratique entre logiciel libre et open source. Je ne vais pas entrer dans des détails techniques, simplement il explique qu’on peut recompiler les codes sources libres pour en faire des exécutables, qui fonctionnent, mais qui sont non libres au sens où ils ne visent pas des idéaux, ils ne visent pas une autonomie. Ils visent à ce que ça marche, qu’il n’y a rien à dire précisément.
Deuxième phase qui est déjà un peu plus fondamentale, Richard entre dans des malentendus, des malentendus qui sont courants. Bien sûr on a dit que free en anglais était confus, était ambigu, je ne vais pas revenir là-dessus, mais Richard va montrer que open est plus ambigu encore. Parce que si on dit « ouvert » – c’est vrai que c’est pris au sens d’accessible – ça peut finir par désigner tout et n’importe quoi. Par exemple, on peut dire « ouvert » ce qui est sans licence, ce qui est participatif, ce qui est transparent, c’est-à-dire une chose qui n’a rien à voir avec une autre chose.
Avançant vers du encore plus fondamental Richard Stallman va montrer que des valeurs différentes peuvent amener à des conclusions similaires, parce qu’effectivement les acteurs du free software peuvent très bien écrire des codes très analogues par rapport aux codes des acteurs de l’open source, mais, pour autant, est-ce qu’on peut faire passer au second plan la question de la liberté ? Parce qu’un logiciel peut être puissant et fiable, mais être mauvais au sens de mauvais pour l’humain. Parce que si on ne suscite pas chez l’humain des droits à l’autonomie, c’est sûr qu’on entre dans des formes de résignation qui sont préjudiciables, qui sont graves. Bien sûr il peut y avoir efficacité, il peut y avoir ingéniosité, mais c’est au prix de l’oubli de la quête de l’autonomie, donc il y a ici une atteinte à l’humain.

Richard Stallman distingue très souvent deux sens du terme « bon » et deux sens du terme « mauvais ».
« Bon » ça peut vouloir dire apte, ça peut vouloir dire fonctionnel, mais ça peut aussi dire moral. Et il y a du fonctionnel qui se moque de la moralité.
« Mauvais » ça peut vouloir dire non fonctionnel, mais ça peut aussi dire néfaste pour une coexistence entre des êtres qui sont responsables, qui se font confiance et qui avancent ensemble.

Je vais, en guise de conclusion, insister beaucoup sur le dernier point qui est fondamental, c’est ce que Richard Stallman appelle la crainte de la liberté, comme s’il était devenu malpoli ou incongru d’évoquer la liberté qui est la finalité essentielle du free software. Et là il se réfère à un argument qui est fallacieux, à nouveau un argument fallacieux de l’open source, qui dit que les personnes sont mal à l’aise avec la liberté. De même que tout à l’heure il était question de personnes mal à l’aise avec les questions de bien et de mal. Et là il y a une préconisation forte d’éviter d’entrer dans ce jeu. Il ne faut pas hésiter à choquer intellectuellement en mettant sur la table des notions qui n’ont absolument pas à passer à la trappe.
Dans la conclusion, Richard Stallman appelle à une jubilation, à une fierté. Je pense que tu connais, Fred, un film qui s’appelle Les Blues Brothers.

Frédéric Couchet : Comme beaucoup de gens je connais très bien.

Véronique Bonnet : Tu connais très bien. Dans ce film il y a un moment très joyeux où la chanson Freedom intervient. Et je dirais qu’il ne faut surtout pas, si on est militant du free software, faire profil bas, il faut être dans un tempo, il faut être dans un rythme, voilà la conclusion de Richard Stallman : « Nous devons leur dire que c’est du logiciel libre et qu’il te donne la liberté ». De manière générale, dire « logiciel libre » et non pas open source, c’est faire avancer la cause du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Eh bien merci Véronique, c’est une très belle conclusion. Évidemment, l’April utilise le terme « logiciel libre » depuis sa création et même après 1998 au moment où ce terme open source a été réutilisé puisqu’il existait déjà pour décrire autre chose, comme tu viens de le dire et comme l’explique très bien Richard dans ce texte qui est donc traduit en français, qui s’appelle « En quoi l’open source perd de vue l’éthique du logiciel libre ». Les références sont évidemment sur le site de l’April, april.org, et vous le retrouvez aussi sur le site du projet GNU, le projet fondateur du logiciel libre, donc gnu.org.
C’était la chronique de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et vice-présidente de l’April, chronique intitulée « Partager est bon ». Je te remercie Véronique et je te souhaite une belle journée.

Véronique Bonnet : Belle journée à toi Fred.

Frédéric Couchet : Merci.

Comme vous l’avez compris c’était une chronique enregistrée comme je viens de le dire.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale. Nous allons écouter Lovetheme par Daniel Bautista et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Lovetheme par Daniel Bautista

Interview de Antoine Bardelli au sujet des outils libres pour l'image dans le milieu professionnel

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Lovetheme par Daniel Bautista, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune sur 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Passons maintenant au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Sujet suivant : interview d’Antoine Bardelli qui est designer graphique, son site web c’est bardelli.fr avec deux « l » et également membre bénévole de l’April à laquelle il a apporté de nombreuses contributions graphiques. Avec Antoine nous allons parler de son expérience professionnelle sur les outils libres pour l’image.
Bonjour Antoine.

Antoine Bardelli : Bonjour.

Frédéric Couchet : D’abord j’ai envie de te demander qui es-tu ? Ton parcours ? Que fais-tu à titre professionnel et également à titre bénévole ?

Antoine Bardelli : Je suis designer graphique. Je suis adhérent et bénévole à l’April. J’ai été formé en école d’art, j’ai travaillé comme directeur artistique en agence de communication, agence web, pendant une quinzaine d’années. J’ai aussi été responsable de studio graphique quelques années et après je me suis mis à mon compte. À titre professionnel, je réalise des prestations de design graphique et de communication pour des clients institutionnels, des entreprises privées, des associations ; on fait des images de marque, des documents imprimés, des mises en page de rapports institutionnels, quelques sites web et un peu d’illustration. À titre bénévole, j’interviens essentiellement pour l’April depuis une dizaine d’années comme graphiste au sein du groupe Sensibilisation. J’interviens aussi ponctuellement pour quelques autres associations sur ma zone de résidence, Montpellier.

Frédéric Couchet : D’accord. Écoute c’est une belle introduction. Je vais en profiter pour répondre à la question du quiz, la deuxième question que j’ai posée en début d’émission. Dans une précédente émission Isabella Vanni t’avais interviewé sur la genèse d’un projet de sensibilisation à l’April et la question c’était : quel est cet outil de communication ? J’avais indiqué qu’il était constitué de huit panneaux. Cet outil de communication c’est l’Expolibre, le site c’est expolibre.org. Vous pouvez retrouver l’interview sur le site de l’April, donc april.org, dans les podcast de l’émission, c’est l’émission du 7 mai 2019. Ça c’était la réponse à la deuxième question du quiz.
On va revenir à l’interview. Dans le cadre de ton activité professionnelle, quels outils utilises-tu, libres ou pas libres. C’est justement l’intérêt aussi de voir un petit peu en fonction peut-être des besoins, des pratiques, des clients, quelle est la palette d’outils que tu utilises.

Antoine Bardelli : Dans ma profession, j’utilise beaucoup de logiciels, il y en a des libres et il y en a des propriétaires. Je vais peut-être présenter les logiciels libres que j’utilise et après je vais présenter un peu les logiciels propriétaires en fonction de ceux que j’utilise.
Il y a déjà Inskape qui est un logiciel de dessin vectoriel, qui est un logiciel libre. Il est tout particulièrement adapté au travail destiné au numérique, tel que le design web par exemple, et moi je l’utilise aussi un peu pour l’illustration. Ça c’est pour le dessin vectoriel.
J’utilise aussi, toujours en dessin vectoriel, le logiciel sK1 qui est un projet de logiciel vectoriel, mais qui prend en charge le CMJN [Cyan, Magenta, Jaune, Noir], c’est-à-dire la colorimétrie qui est utilisée en impression et il supporte beaucoup de formats d’import-export.
J’utilise aussi Daktable qui est un logiciel pour retoucher les chromies des photos, surtout la qualité globale des photographies. On peut aussi gérer des ensembles de photographies.
Après j’utilise Krita, tout ça ce sont des logiciels libres, pour tout ce qui touche au photomontage. C’est un logiciel qui a beaucoup évolué ces dernières années. Avant j’utilisais The Gimp, mais maintenant Krita supporte le CMJN nativement, ce qui explique mon choix de travailler avec ce logiciel plus précisément. Après, il y a des personnes qui utilisent aussi ce logiciel pour la peinture numérique avec une tablette, ce n’est pas mon cas.

Frédéric Couchet : Parce que Krita, si je me souviens bien, c’est avant tout un outil de dessin en fait. C’est ça ?

Antoine Bardelli : Oui. On peut faire de la peinture, mais il gère les calques, il va gérer les photomontages. On peut travailler avec des blocs qui se superposent, mettre du texte, des choses comme ça. Ça va largement au-delà de la chromie. Ce sont vraiment deux univers différents, on va dire, avec des fonctions qui sont plus élaborées sur Datktable que sur Krita, donc on peut utiliser les deux en fonction de ce qu’on a à faire. Et ça, ça permet de préparer tous les visuels qui vont être utilisés dans le design graphique, mais au final, quand je vais faire de la publication, j’utilise Scribus.
Scribus est un logiciel de PAO, qui permet de faire des mises en page, gérer des textes, de la typographie et surtout préparer des fichiers PDF conformes pour l’impression chez les imprimeurs. C’est un logiciel indispensable pour travailler dans la chaîne graphique. On ne peut pas faire de PAO libre sans ce logiciel, pratiquement.

Frédéric Couchet : La PAO c’est la Publication assistée par ordinateur.

Antoine Bardelli : Voilà, c’est ça. Ça ce sont les logiciels libres que j’utilise dans le cadre de mon activité, mais, en plus des logiciels propriétaires. Et ça c’est moi qui gère en fonction du projet : comment je vais m’organiser et quels logiciels je vais choisir pour faire le travail.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de parler de la partie logiciels propriétaires, là tu as cité quand même, si je ne trompe pas, six logiciels libres. On mettra évidemment les références sur le site de l’April, parce que, évidemment, ce sont des noms que les gens ne connaissent pas forcément et qu’on découvre. J’ai une petite question déjà, est-ce que ces logiciels sont tous ou pour la plupart multiplateformes, c’est-à-dire est-ce qu’ils sont disponibles sur différents environnements ?

Antoine Bardelli : Oui. Ces logiciels sont tous multiplateformes.

Frédéric Couchet : Ils sont tous multiplateformes. C’est important.

Antoine Bardelli : On peut travailler sous Linux, sous Macintosh, sous Windows. Pour les autres versions, Free BSD, des choses comme ça, je ne sais pas.

Frédéric Couchet : Mais déjà ils sont disponibles au moins sous système GNU/Linux, sous système entièrement libre, mais les gens peuvent aussi les utiliser sur la plateforme qu’ils utilisent habituellement, même si c’est une plateforme qui n’est pas libre.

Antoine Bardelli : Voilà, c’est ça.

Frédéric Couchet : Donc avec ces logiciels, ces logiciels libres, globalement tu arrives à traiter la plupart des demandes, y compris le point essentiel qui était sans doute problématique il y a quelques années, qui est la partie finale, c’est-à-dire l’impression, la chaîne d’impression, c’est-à-dire travailler avec des imprimeurs professionnels.

Antoine Bardelli : On peut tout faire. Maintenant il y a des projets qui ne sont pas toujours adaptés à des logiciels libres.

Frédéric Couchet : Alors fournis des exemples.

Antoine Bardelli : Ce qui se passe c’est qu’il y a plusieurs cas de figures : ça dépend du client, ça dépend du prestataire d’impression, ça dépend s’il va y avoir beaucoup d’échanges dans les logiciels, entre les logiciels on va dire, s’il y a des fonctions qui sont présentes pour réaliser telle ou telle tâche et surtout, la chose essentielle, c’est dans quel contexte on travaille : si on travaille avec des sous-traitants, si on travaille avec des clients qui vont vouloir les sources, si on travaille avec des clients qui vont eux-mêmes les passer à d’autres personnes, des sous-traitants en cascade par exemple. Par exemple, avec des agences c’est pratiquement impossible de travailler avec des logiciels libres, très clairement.

Frédéric Couchet : Parce que ces agences travaillent, je suppose, avec un logiciel d’Adobe.

Antoine Bardelli : Voilà ! En fait Adobe ou Adobe [prononcé Adobi, NdT] est l’acteur principal sur ce marché depuis pratiquement 20 ans. Il a des logiciels historiques très implantés sur la chaîne graphique, qui gèrent tout le processus, de la création jusqu’à l’impression. Les logiciels sont organisés en suite logicielle, ils ont des interfaces qui sont homogènes et les échanges de fichiers entre logiciels sont très bien pris en charge. Tous les logiciels supportent la CMJN. Malheureusement, les formats de fichier sont fermés.
Alors de l’autre côté, les logiciels libres, on peut avoir des fonctionnalités indispensables qui sont présentes, mais on peut avoir des fonctions facilitatrices qui ne le sont pas toujours, par exemple pour exporter facilement certains éléments ou pour faire des retouches très précises, etc. Donc ça dépend des logiciels.
Et puis il y a aussi une chose qui est particulière aux logiciels libres, c’est que ce sont différents projets portés par différentes structures. Ils n’ont pas un objectif commun de créer un processus de logiciels libres qui s’intègre dans la chaîne graphique. Chacun a sa stratégie, ses interfaces et, ce qu’il faut savoir, c’est qu’il faut bien connaître chaque logiciel pour pouvoir faire des échanges de fichiers entre les logiciels et anticiper tout ce qui va se produire pour la fin, c’est-à-dire pour livrer le fichier à l’imprimeur.

Frédéric Couchet : Oui. Contrairement à Adobe où c’est un ensemble.

Antoine Bardelli : Voilà !

Frédéric Couchet : Voiulà ! Là ce sont des outils différents qui doivent s’intégrer ensemble et qui nécessitent peut-être plus de travail de formation initiale, je suppose, ou pas du tout, ou c’est pareil que la prise en main d’Adobe ?

Antoine Bardelli : C’est difficile de connaître tous ces logiciels libres, et puis bien les connaître pour pouvoir bien anticiper les problèmes qui peuvent se présenter à mi-chemin, on va dire, pour pouvoir évaluer si ce sont des projets qui peuvent être faits avec des logiciels libres à 100 %, ou à 50 % ou pas du tout.

Frédéric Couchet : D’accord. Et dans ta pratique quotidienne, est-ce que tu as une idée même approximative de la répartition des projets que tu fais, on va dire, totalement en logiciel libre et des projets où tu es obligé, pour des contraintes que tu viens d’expliquer, que ce soit travailler avec des agences, des demandes de clients ou des problématiques techniques, est-ce que tu as une idée de la répartition entre les deux ?

Antoine Bardelli : Je pense qu’on doit être à 30 % à peu près de logiciel libre sur les interventions.

Frédéric Couchet : D’accord. Quand tu as commencé ta carrière d’indépendant ou, en tout cas, de professionnel, est-ce que tu connaissais le logiciel libre ?

Antoine Bardelli : Non. Quand j’ai commencé, c’était il y a 20 ans, on va dire qu’il n’y avait pas beaucoup de logiciels libres spécialisés dans la PAO.

Frédéric Couchet : Donc tu es passé de 0 à 30 %, on va dire.

Antoine Bardelli : Voilà ! Ce n’est quand même pas mal !

Frédéric Couchet : Ce qui est très bien, justement. Et par rapport à ça, parce que j’ai eu l’occasion d’utiliser certains des logiciels que tu cites et qui me paraissent vraiment assez magnifiques, quelle est l’évolution ? Est-ce dans cette évolution tu penses que finalement, à terme, tu arriveras à produire peut-être des prestations quasiment à 100 % avec des logiciels libres ? Combien de temps ça va prendre ? Est-ce qu’il y a vraiment des points de blocage qui sont liés, peut-être, aux formats de fichiers ou au monopole de fait, quelque part, d’Adobe, notamment dans le monde des agences ?

Antoine Bardelli : Je pense que c’est le monopole qui est le plus difficile à contrer. On va dire que les fonctionnalités qui permettent de tout faire on les a, globalement. Il y a petit peu de travail à faire sur les interfaces des logiciels libres pour aller un peu plus vite sur la production, c’est-à-dire que si on n’a pas beaucoup de délai, c’est parfois un peu difficile de tout faire en logiciels libres. Il y a des interfaces un peu différentes et puis, des fois, il y a plus de clics à faire, des choses comme ça. Mais la difficulté majeure ça reste le contexte de la PAO du monde des agences, etc., des fournisseurs et puis même des fois des clients qui ont des logiciels Adobe et qui veulent qu’on leur fournisse les sources dans ces formats.

Frédéric Couchet : D’accord. Et aujourd’hui il n’y a pas de possibilité de fournir les sources, sources format Adobe, à partir de logiciels libres ? Pour l’instant, ça c’est un point de blocage ?

Antoine Bardelli : Exporter dans les formats d’Adobe ça reste un petit peu difficile, je vais dire. Généralement, à la finalité on exporte du PDF, et à la fin on rassemble les sources et on donne les sources, en fonction des contrats, bien entendu.

Frédéric Couchet : D’accord. OK.

Antoine Bardelli : Mais bon, aujourd’hui on peut quand même créer intégralement un magazine, une affiche, une brochure, avec des logiciels libres, il n’y a pas de souci. Par exemple un étudiant, aujourd’hui, peut apprendre avec des logiciels libres, en plus des logiciels propriétaires.

Frédéric Couchet : Il y a des formations spécialisées. Par exemple à Lyon il y a la formation CoLibre où ils sont spécialisés outils de communication et de graphisme logiciels libres.

Antoine Bardelli : Oui. Ceci dit, il faut quand même rester assez cohérent : sur le marché il n’y a pas une offre d’emploi où on ne demande pas de maîtriser les logiciels Adobe. C’est bien de connaître les logiciels libres mais, pour un jeune qui sort, c’est très bien de connaître les deux, maiis il faut quand même connaître les autres, malheureusement.

Frédéric Couchet : OK ! En tout cas la situation évolue quand même avec la création et la montée en puissance de nouveaux logiciels que tu as cités donc Inskape, sK1, Daktable, Krita, The Gimp, Scribus ; on mettra les références sur le site de l’April pour que vous puissiez aller voir, donc april.org. Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose soit sur les logiciels, soit sur ta propre activité ?

Antoine Bardelli : Je pense qu’il y a quand même une évolution qui est possible, dans le sens où aujourd’hui Adobe a un système financier qui est de l’abonnement, qui coûte quand même plus de 450 euros par an. Ça veut dire que les personnes qui l’utilisent, qui ne font de la PAO que deux fois dans l’année ou trois fois dans l’année, ont quand même fortement intérêt à se tourner vers des logiciels libres pour résoudre le problème.

Frédéric Couchet : Tout à fait !

Antoine Bardelli : Et puis il y a une autre chose, c’est que, dans ce secteur, ça bouge un petit peu en ce moment, depuis quatre-cinq ans. Il y a des petits acteurs qui sont un peu agressifs sur les prix. Ils ont vu qu’Adobe était très cher et ça devrait quand même faire un peu bouger les lignes. Ça veut dire qu’il y a aura plus d’acteurs dans quelques années, ce qui est bon quand même, dans le sens où ça peut créer de l’ouverture, parce qu’effectivement il faudra quand même échanger les formats de fichier. Donc on peut supposer que ça va s’améliorer.

Frédéric Couchet : OK. Écoute, on l’espère. En tout cas on te félicite pour participer, toi, à cette amélioration. Évidemment, à travers ton activité professionnelle, tu sensibilises aussi les clients à ces questions-là et aussi pour tes contributions, on va dire bénévoles, que ce soit à l’April ou autour de Montpellier comme tu l’as cité tout à l’heure.
Antoine je te remercie et je te souhaite de passer une belle journée.

Antoine Bardelli : Ça marche. Merci.

Frédéric Couchet : À bientôt.
C’était l’interview d’Antoine Bardelli qui est designer graphique. Son site web c’est bardelli.fr et il est également membre bénévole à l’April à laquelle il a participé à de nombreuses contributions de sensibilisation et notamment l’Expolibre, donc expolibre.org.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Nous allons faire une musicale avant d’aborder le dernier sujet, je sais que vous l’attendez parce que le chevalier Vincent est en train de s’installer, on va enfin savoir le résultat de sa quête. On va écouter Mirage actuel par Les journées de création musicale Ziklibrenbib.

Pause musicale : Mirage actuel par Les journées de création musicale Ziklibrenbib.

Chronique de Vincent Calame « Jouons collectif » sur la quête du Libre à la FPH - suite

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Mirage actuel par Les journées de création musicale Ziklibrenbib, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org. Et la semaine prochaine, donc mardi 9 juillet 2019, vous en saurez plus sur Les journées de création musicale Ziklibrenbib, car nous aurons une interview d’une des personnes responsables de ces événements.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Je vais maintenant répondre à la première question du quiz. Lors de l’émission du 25 juin 2019 nous avons parlé de bureautique libre, de LibreOffice, la question était : comment s’appelait l’association francophone de promotion et de défense de la bureautique libre et notamment de LibreOffice ? Le nom de l’association c’est La Mouette, lamouette.org, la mouette tout attaché. Si vous vous posez la question de savoir pourquoi ça s’appelle La mouette, de mémoire, je n’ai pas vérifié précisément, dans les premiers logos d’openofffice.org il y avait deux mouettes qui étaient sur ce logo-là, donc c’est l’une des raisons ou même la raison principale, du nom de cette association lamouette.org, autour de la bureaucratique libre et aujourd’hui plus principalement de LibreOffice.
Nous allons maintenant aborder notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Choses vues, entendues et vécues autour de l’usage des logiciels libres au sein de collectifs. Témoignage d’un informaticien embarqué au sein de groupes de néophytes, c’est la chronique « Jouons Collectif » de Vincent Calame qui est, par ailleurs, bénévole à l’April.
C’est une chronique en deux étapes parce que la semaine dernière tu avais commencé ta chronique consacrée au thème de la migration vers le logiciel libre de la FPH, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme, dont les locaux sont dans le 11e arrondissement de Paris. Tu avais intitulé ça « La quête du Libre », une histoire commencée il y a plus de quinze ans. Bref résumé de l’épisode précédent, la première partie était consacrée à la migration des logiciels de bureautique sous Microsoft Windows avec, notamment, le courrielleur, le navigateur web et la bureautique. Et je vais reposer la question sur laquelle s’était achevée notre première partie : qu’en est-il de la migration vers un système d’exploitation libre ?

Vincent Calame : Bien sûr, l’utilisation de logiciels libres sous Windows ne pouvait être qu’une première étape dans notre quête, on ne devait pas se reposer sur nos lauriers et puis il fallait aller de l’avant et le passage à une distribution libre c’était l’étape suivante. Mais là on a deux nouveaux obstacles qui se sont dressés sur notre route.
Le premier obstacle est bien connu de tous ceux qui ont fait une installation sur du matériel, ce sont les problèmes d’incompatibilité ; obstacle, il faut le rappeler, qui est dû au fait que les constructeurs ne fournissent pas de pilotes libres, ne testent pas pour les distributions libres. Donc on se retrouve souvent avec des problèmes de cartes son qui ne marchent pas ou de choses comme ça. Je reviendrai par la suite sur cet obstacle pour dire comment on l’a affronté, mais le deuxième obstacle qui s’est dressé sur notre route et qui nous a retardés pour plusieurs années, ça a été le logiciel Skype.

Frédéric Couchet : Skype, donc le logiciel de téléphonie. Mais ce logiciel est aujourd’hui est dépassé et puis il y a des alternatives libres qui existent ? Non ?

Vincent Calame : Oui. Complètement ! Maintenant la situation est différente, mais à l’époque, je parle du milieu des années 2000, Skype a vraiment été une vraie révolution : ça a rendu accessible la communication audio par ordinateur à très faible coût, puisque Skype était gratuit. Pour des structures comme la FPH qui travaille beaucoup à l’internationale, le coût des télécommunications était un poste budgétaire important, donc ça a vraiment permis de faciliter la communication à peu de frais. D’ailleurs casques et écouteurs ont fleuri dans les bureaux très rapidement, tout le monde faisait des conférences Skype, mais, du coup, c’était difficilement envisageable d’installer un système qui n’aurait pas Skype dessus, je n’aurais pas pu passer ça à la Fondation.
Heureusement, on va dire pour notre quête, Skype a sorti par la suite une version pour GNU/Linux, qui n’était pas libre, mais quand même une version installable. Elle a mis un peu de temps à être opérationnelle, j’ai souvent eu des problèmes avec les cartes son et c’est vers la fin des années 2000 que le logiciel était suffisamment intégré dans les dépôts non libres des distributions, donc c’est à ce moment-là, ce n’est vraiment qu’à la fin des années 2000 que nous avons levé cet obstacle majeur de Skype.

Frédéric Couchet : Donc à la fin des années 2000 la possibilité d’installer un environnement libre, certes en ajoutant le logiciel privateur Skype, s’est posée. Donc on revient, je suppose, au premier obstacle que tu évoquais, celui de la compatibilité matérielle ?

Vincent Calame : Voilà. Celui-là on l’a résolu tout simplement en mettant le budget, puisque nous avons renouvelé tous les postes d’un coup – c’est une dizaine de postes, ce n’est pas non plus des budgets faramineux – en faisant appel à un prestataire qui nous garantissait la compatibilité du matériel, qui avait déjà testé ça sur des distributions libres.
Ce renouvellement a d’ailleurs eu deux avantages. D’une part on a disposé d’un parc homogène, ça facilite les interventions : s’il y en a un qui ne marche plus on peut changer les pièces d’un appareil à un autre. Ensuite, autre avantage, c’est que nous avons lié le basculement à une distribution GNU/Linux à l’arrivée de ce nouveau matériel, matériel qui était évidemment plus performant et surtout, d’ailleurs, beaucoup plus silencieux. Et là il y a eu un vrai regain de travail qui a été associé à ce nouveau système d’exploitation.
Comme je dis c’est un peu sournois, parce qu’on peut penser qu’avec n’importe quel système on aurait eu un confort.

Frédéric Couchet : Avec un matériel plus performant, le confort était augmenté quoi qu’il arrive !

Vincent Calame : Qui qu’il arrive ! Mais là on l’a associé au changement de système, donc c’est vraiment passé très facilement.
Ce qui nous a également aidé au début des années 2010 ça a été la généralisation, on va dire, des approches clients-serveur, c’est-à-dire avoir plutôt de grosses machines et des postes qui interrogent ces machines. L’exemple c’est l’impression. Nous nous sommes dotés de deux grosses imprimantes qui étaient compatibles libres puisqu’elles utilisaient le langage d’impression qui s’appelle PostScript, ce qui nous a permis de remplacer toutes les petites imprimantes qui elles, typiquement, posaient des problèmes de compatibilité de matériel. Même chose pour la question des logiciels de comptabilité : on a été obligés de se doter d’un serveur sous Windows avec ces logiciels privateurs pour lesquels on n’avait pas d’alternative, mais, du coup, on n'avait plus à installer ces logiciels sur le poste du comptable et, cette contrainte levée, ça nous a facilité la migration du poste du comptable justement.

Frédéric Couchet : « Le problème du comptable » entre guillemets, du poste du comptable réglé, tous les postes ont ensuite basculé sur un système libre, en l’occurrence un système GNU/Linux ?

Vincent Calame : Oui. Ça s’est fait en deux vagues. En 2010 on l’a fait uniquement pour les personnes utilisant uniquement des logiciels de bureautique et Skype et ensuite, fin 2016, ça y est, tous les postes fixes ont été faits. D’ailleurs en 2016, comme les ordinateurs de 2010 étaient amortis, on a encore acheté une série d’ordinateurs encore plus petits et plus silencieux.
À cette occasion, nous avons installé comme distribution GNU/Linux Ubuntu. C’est vrai que moi, pour des raisons personnelles et affectives, je suis attaché à une distribution Mageia, mais qui est moins répandue. Comme il est déjà difficile d’être minoritaire, si, en plus, on est minoritaire parmi les minoritaires, ça complique un peu ! Par exemple, quand on parle des logiciels privateurs présents sous GNU/Linux, ils vont souvent faire l’effort d’avoir un paquet pour Ubuntu, mais pas pour les autres distributions. Donc là c’était une manière pratique de prendre la distribution GNU/Linux la plus répandue à ce moment-là.
J’ai parlé des postes fixes. Il reste toujours un point noir, ce sont les ordinateurs portables. Même chose, la compatibilité du matériel est plus dure à assurer, même si on voit apparaître des prestataires qui proposent également des portables avec des distributions GNU/Linux installées, mais, c'est vrai qu'avec le portable on est toujours lié aux chaînes de production : le premier prestataire qui avait fait nos postes fixes disait : « Tout le monde peut faire un poste fixe avec un tourne-vis et en prenant les composants. Les portables c’est beaucoup plus des boîtes noires et c’est plus complexe. »
L’autre problème du portable, comme par définition ça se porte, les gens vont partir avec et là, je ne vais pas être à proximité pour pouvoir les aider ; s’ils sont chez un prestataire, qu’ils doivent installer l’imprimante chez le partenaire, ça peut poser problème. Donc là c’est plus difficile, c’est plus progressif et c’est plus sur la base du volontariat. Souvent les gens, quand ils ont un poste fixe sous GNU/Linux et qu’ils ont un portable juste pour les déplacements, c’est plus facile pour eux d’utiliser les deux.

Frédéric Couchet : D’accord. Et quand tu parles du choix d’Ubuntu pour permettre l’ajout de logiciels privateurs plus facilement, est-ce que c’est encore Skype ou ce sont d’autres logiciels privateurs qui sont installés ?

Vincent Calame : Il nous arrive d’avoir des demandes toujours, d’ailleurs, dans les questions de vidéoconférence. Je vois qu’en ce moment la mode c’est ZOOM. Parfois, quand c’est un partenaire qui dit : « On va faire une visioconférence ZOOM », comme c’est le partenaire qui l’organise, c’est toujours compliqué de dire qu’on n’en veut pas. Mais là, ZOOM va proposer un paquet.
Une même question s’est posée avec un logiciel qui est TeamViewer, qui est un logiciel de prise en main à distance et, même chose, il y avait les paquets pour Ubuntu, pas seulement pour Ubuntu, mais c’est vrai que eux s’installaient vraiment sans problème ; enfin je n’ai pas testé dans les autres configurations.

Frédéric Couchet : D’accord. En fait la quête n’est jamais achevée, finalement !

Vincent Calame : Non, elle ne le sera jamais ! De toute façon il ne faut pas se précipiter, il faut prendre le temps d’avancer. Ma conclusion personnelle c’est qu’il faut laisser le temps au temps. Il y a d’abord le temps aux alternatives libres de se développer. De toute façon, les moyens sont plus limités dans le monde du logiciel libre, donc c’est normal que certaines choses ne soient pas opérationnelles immédiatement. Ensuite il y a le temps de le voir se diffuser parmi les acteurs. Je vois quand même une nette différence avec les partenaires que nous avons : maintenant, leur parler de logiciel libre, on n’est plus des Mohicans, ils connaissent ce que c’est et je vois débarquer des gens qui ont déjà du logiciel libre sur leur poste. Et puis le temps de l’appropriation et de s’approprier les usages du logiciel libre.

Frédéric Couchet : D’accord. Donc une quête jamais achevée, tu as encore du travail à faire et l’espoir est évidemment présent. Tu parlais tout à l’heure des portables, je vais juste citer, en tout cas indiquer qu’il y a de plus en plus de structures qui proposent des portables en reconditionnement et souvent avec des logiciels libres préinstallés. Vous trouvez ça sur Internet, dans toutes les régions, ce qui permet de récupérer des matériels anciens mais qui fonctionnent toujours. Et concernant plus globalement la question des distributions GNU/Linux donc des distributions libres, je renvoie les personnes qui écoutent l’émission au podcast de l’émission du 22 janvier 2019, nous avions notamment quelqu’un d’Ubuntu, une personne de Debian et une personne de Mageia qui est ton système libre préféré.
Est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose Vincent ?

Vincent Calame : Oui, juste dire qu’on n’est quand même jamais à l’abri d’une régression, c’est-à-dire qu’on a toujours un peu de logiciel privateur quelque part dans nos machines, effectivement toujours au niveau du matériel : parfois on trouve du matériel compatible puis, un an après, il n’est plus disponible. On l’a vu aussi, nous, avec les imprimantes où tout d’un coup on a eu de très belles imprimantes nouvelles mais il a fallu installer un logiciel spécifique, de Xérox en l’occurrence. Il faut toujours être vigilant et rien, malheureusement, n’est jamais acquis.

Frédéric Couchet : D’accord. Écoute merci Vincent, je te souhaite une belle fin de journée.

Vincent Calame : Merci

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Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Dans la partie annonces, vendredi 5 et samedi 6 juillet 2019 à Montpellier se déroulera la GULL Academy, GULL c’est pour Groupe d’utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres, nous en avons déjà parlé dans une émission Libre à vous !, je n’ai pas en tête la date du podcast mais c’est disponible sur le site de l’April, april.org. La GULL Academy est organisée justement par un GULL local qui s’appelle Montpel'libre, pour un temps d’échange entre personnes membres des GULL, temps d’échange collaboratif pour savoir comment créer une nouvelle association ou un nouveau groupe d’utilisateurs et d’utilisatrices, comment échanger, comment sensibiliser. Donc c’est vendredi 5 et samedi 6 juillet 2019. Le site c’est montpellibre.fr, monptellibre avec deux « l » ; bien sûr les références sont sur le site de l’April et sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.

Deuxième événement, ça se passe à Saint-Denis, donc en Seine Saint-Denis, ça s’appelle le Battlemesh du lundi 8 juillet au dimanche 14 juillet 2019. Battlemesh, on peut se demander c’est quoi ce truc ? Eh bien c’est une rencontre de passionnés du monde entier autour des protocoles de réseau Mesh sans fil. Je vous avoue que je ne suis pas du tout un expert de sujet-là, mais en gros un réseau Mesh, ou réseau maillé, c’est un réseau à l’intérieur duquel l’information circule d’un point à l’autre en ne suivant pas un chemin fixe prédéterminé car chacun des nœuds du réseau est lié aux autres de manière non hiérarchique et est donc libre de choisir le parcours de l’information de manière dynamique, par exemple en prenant en compte l’état du réseau et préférant un chemin long, mais libre, à des nœuds proches mais surchargés. La communication sans fil entre les différents nœuds du réseau rend l’exercice du Mesh, du réseau maillé, plus délicat avec par exemple des difficultés pour augmenter la taille du réseau. J'ai trouvé cette description sur le site d’un des partenaires qui est la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatif. Donc ce Battlemesh se passe à Saint-Denis pendant plusieurs jours, six jours, la rencontre de passionnés autour de ces sujets- là. Vous pouvez aussi aller les rencontrer pour en discuter avec eux. Il faut savoir que ces réseaux-là sont utilisés par exemple dans le cas de catastrophes naturelles ou de crises pour constituer des solutions pour garder le contact avec des personnes sur le terrain. Ils intéressent aussi les gens qui créent tout simplement la cybersurveillance. Vous avez aussi des villes et des communautés dans le monde qui ont mis en place ces réseaux maillés, par exemple pour servir un quartier avec un seul point de contact au fournisseur d’accès ou, tout simplement, pour équiper des villages en milieu rural par exemple. Donc avec ou sans accès à Internet, ces personnes reliées peuvent alors discuter entre elles comme une sorte de messagerie instantanée. C’est quelque chose de très important même si ça paraît très technique et très compliqué. Je vous encourage à aller voir, donc Battlemesh. Le site c’est battlemesh.org. Les références sont également sur le site de l’April et sur le site de l’Agenda du Libre. C’est du 8 juillet