Le ministère des Armées va-t-il enfin commencer sa cure de désintoxe ?

Mise à jour le 15 janvier 2020 : réponse du Ministère des armées publiée au journal officiel du Sénat le 9 janvier 2020.

Vendredi 11 octobre 2019, la sénatrice Christine Prunaud a déposé une question écrite pour savoir de quelle manière le ministère des Armées comptait intégrer la « maîtrise des codes sources » dans les critères des négociations à venir pour la possible reconduite de l'Open Bar Microsoft, l'actuel s'achevant en 2021.

Mme Christine Prunaud attire l'attention de Mme la ministre des armées sur le partenariat de notre armée au logiciel de la société Microsoft. Le renouvellement du contrat nommé « open bar » pour les années 2017-2021 s'est effectué dans la discrétion la plus totale, sans aucune communication officielle du ministère. Établi pour la première fois en 2009 et renouvelé depuis deux fois, ce contrat n'a donné lieu à aucun appel d'offres ni à aucune procédure publique, malgré les recommandations des experts militaires. Les nombreux experts de la sécurité et de la souveraineté ont émis des avis défavorables sur cet accord qui lie le ministère aux intérêts de l'entreprise Microsoft. Ils rappellent également l'impérieuse nécessité dans ce domaine de maîtriser les codes sources. D'autres solutions ont pourtant été trouvées par d'autres corps militaires comme la gendarmerie qui a réussi à se passer des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) pour mettre en place des logiciels libres. Les questions de sécurité nationale ou de secret défense, souvent opposées aux demandes de transparence sur des sujets comme les ventes d'armes, ne sauraient être utilisées dans ce domaine de la souveraineté numérique. C'est pourquoi, alors que le partenariat devrait s'achever en 2021, elle lui demande si le ministère entend intégrer le critère de la maîtrise des codes sources dans le futur appel d'offres.

Depuis 2009 le contrat Open Bar, dans ses renouvellement successifs, organise la dépendance du ministère des Armées aux logiciels de Microsoft. Un accord contre lequel l'April n'a de cesse de lutter pour en désigner les effets néfastes et réclamer la transparence sur les conditions de sa conclusion. En août 2017 nous apprenions ainsi le renouvellement, pour quatre ans, de l'accord Open Bar entre Microsoft et le ministère. Dans « la discrétion la plus totale », pour reprendre les termes de la Sénatrice Christine Prunaud, puisque cette information nous était parvenue non pas par une publication au Bulletin officiel des marchés publics, comme la loi l'exige, mais par une réponse à une question écrite de la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam.

Dans cette réponse de 2017, la ministre des Armées informait qu'une feuille de route serait établie en 2018, « indiquant à la fois le calendrier et les applications pour lesquelles il serait pertinent de passer au logiciel libre ». Sans surprise, aucune suite n'a été donnée… Deux ans plus tard cette nouvelle question écrite sonne donc comme un nécessaire rappel face à l'incapacité du ministère à faire œuvre de transparence sur ce dossier.

La temporalité de cette question n'est évidemment pas anodine puisqu'elle s'inscrit dans les suites de la publication du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la souveraineté numérique le 1er octobre 2019 qui relevait page 155 1 :

« Lors des auditions menées par notre commission d’enquête, il ne nous est pas apparu formellement que l’État, dans ses politiques d’achats de matériels et de logiciels informatiques, avait une doctrine générale pour intégrer dans ses appels d’offre cette dimension essentielle de la sécurité des données. Pour s’assurer du respect d’un cahier des charges qui intégrerait cette exigence, il lui faudrait se doter de moyens d’analyse des solutions proposées dont la plupart des ministères semblent dépourvus. Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que la lisibilité totale des codes sources des programmes informatiques pouvait être une des conditions essentielles de la souveraineté de l’État sur ses moyens numériques. »

Rappelons en outre que l'intégration de la « maîtrise des codes sources » doit s'inscrire dans une réflexion de fond pour lever les barrières, technique et juridique, à l'accès et aux modifications de leur logiciel. En somme, le ministère de l'Armée, à l'instar de ce qu'à fait la Gendarmerie nationale, doit s'engager résolument en faveur du logiciel libre.