Le CESE préconise l'usage des logiciels libres pour une politique de souveraineté européenne

Le 13 mars 2019, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) publiait son avis « pour une politique de souveraineté européenne », présenté par son rapporteur Benoît Thieulin. Prenant acte des enjeux profondément politiques liés à la position dominante des silos technologiques essentiellement américains et chinois, notamment dans des considérations écologiques, le Conseil préconise l'usage de logiciels libres et le soutien à leur développement à l'échelle européenne.

Près d'un an après la Cour des comptes, qui validait le recours aux logiciels libres au sein de l'État dans son rapport public annuel 2018, le CESE — chambre consultative de valeur constitutionnelle — rappelle dans sa préconisation n°17 qu'une « politique de souveraineté européenne » ne peut faire l'économie d'une stratégie politique volontaire en faveur du logiciel libre. Sans limiter son analyse au premier niveau évident d'un usage effectif de logiciels libres par les administrations publiques, l'avis met en avant le rôle moteur de soutien au développement que doit jouer la puissance publique au profit d'une informatique libre au service de tous : penser l'informatique comme un « bien commun », ou un commun informationnel, pour répondre efficacement aux enjeux d'interopérabilité, de neutralité mais aussi écologiques qui s'y attachent.

Préconisation n°17 :

Établir au niveau européen les régulations fondamentales de l’usage des blockchains et des logiciels libres et soutenir leur développement par la mise en place de coopératives de développeurs, l’introduction de quotas dans les appels d’offres publics et le financement de projets répondant à des besoins collectifs au plus près des territoires. Les régulations devront permettre l’émergence de gouvernances non énergivores ouvertes sur la société civile, et garantir l’interopérabilité et la neutralité des solutions proposées. »

Le gouvernement français qui semble prompt à rappeler son attachement au logiciel libre, démontre systématiquement son refus de traduire en actes ses paroles en s'en remettant à des arguments éculés. Le retour en arrière annoncé à la DINSIC (Direction interministérielle au numérique)1 dont la politique en faveur du logiciel libre était l'objet de la recommandation du rapport de la Cour des comptes, le rejet d'une priorité au logiciel libre dans l'Éducation nationale, en sont les plus récents exemples. Le gouvernement sera inspiré de prendre dûment en compte l'avis du CESE dont une des traductions effectives est l'inscription dans la loi d'une priorité au logiciel libre et aux formats ouverts dans les administrations publiques.

La préconisation du CESE est détaillée dans l'avis à partir de la page 43 du PDF (page 42 du document), extrait :

« Au-delà d’applications ou de technologies particulières et face aux positions dominantes d’opérateurs issus d’États tiers, l’UE aura avantage à développer une culture de la pluralité des systèmes et à favoriser la diversité du monde numérique afin de préserver la liberté de choix des acteurs. Face à un modèle numérique américain fondé sur le marché et la concentration capitalistique et technologique, et un modèle chinois fondé sur un contrôle et une surveillance étroits du net par les autorités , elle gagnerait à privilégier le modèle des biens communs – celui d’un socle technologique et juridique reposant sur des règles élaborées en commun et sous contrôle public . Pour atteindre cet objectif, l’UE a intérêt à :

[…]

- développer le recours à des logiciels libres (open source), dont le code est accessible et auditable : le logiciel Open Street Map, utilisé par les services de la présidence de la République française pour l’organisation des déplacements présidentiels, la plateforme Wikipédia, qui draine à elle seule plus du tiers des 300 millions de sollicitations journalières du moteur de recherche Google Search, ou encore la messagerie électronique protégée Proton, sont autant d’exemples de telles ressources ouvertes, écrites en open source en dehors des entreprises et des institutions et qui constituent de véritables opérateurs du bien commun. Une politique de soutien au développement de ces ressources peut passer par la mise en place de coopératives permettant de réunir plusieurs développeurs de petite taille, de manière à atténuer le déséquilibre de forces existant face aux GAFAM ; elle peut également prévoir l'obligation d’une proportion de logiciels libres dans les réponses aux appels d’offres publics. Un soutien financier pourra être apporté aux niveaux européen, national et régional aux projets visant à développer des solutions alternatives fondées sur le logiciel libre pour des services jugés d’intérêt général (géolocalisation, contenus éducatifs et culturels, valorisation des régions et du patrimoine, etc.).

Proscrire l'utilisation d'algorithmes de filtrage à priori

Sans prendre position sur le fond de la directive droit d'auteur encore en cours de discussion, et contre laquelle l'April appelle à une mobilisation massive, l'avis met intelligemment en garde, page 31 du PDF, contre les algorithmes de filtrage automatisé, objet de l'article 13, et leur potentiel impact sur la neutralité du Net.

« En matière de lutte contre les contenus illicites et les informations mensongères, comme en matière de protection du droit d’auteur, il paraît donc à l’inverse préférable de défendre la neutralité du Net en proscrivant l’utilisation d’algorithmes de filtrage à priori […] »
  • 1. Dans une interview accordée à Next INpact (article réservé aux personnes abonnées) le nouveau directeur de la DINSIC considère le logiciel libre comme un débat « du début des années 2000 ». « Le sujet n'est donc pas logiciel libre ou propriétaire » poursuit-il, s'appuyant donc sur une argumentation poussiéreuse dénuée de toute analyse politique sur la construction et la maîtrise des systèmes d'information.