La Pologne attaque le filtrage automatisé des contenus devant la CJUE
La Pologne conteste devant la Cour de Justice de l'Union européenne la légalité de l'article 17 (anciennement article 13) de la directive droit d'auteur votée en mars 2019 par le Parlement européen. Plus précisément l'État membre considère que les obligations de filtrage automatisé, visant à « rendre indisponibles » des contenus, sont contraires à l'article 11 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En d'autres termes, ces obligations constituent une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et d'information, position que l'April a régulièrement défendue, avec de nombreuses autres organisations, pendant la procédure législative.
La Pologne a déposé son recours le 24 mai 2019 devant la CJUE, l'affaire C-401/19, contre le Parlement et le Conseil européen qui ont adopté le texte contesté : la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (la directive 2019/790). Il a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 12 août. La Pologne demande à la Haute Cour de déclarer la nullité des paragraphes 4, b) et 4, c) de l'article 17, qui font peser de facto sur les intermédiaires une obligation de filtrage automatisé des contenus mis en ligne sur leurs plateformes par leurs utilisatrices et utilisateurs. À défaut, si les juges considèrent que les deux paragraphes ne peuvent être dissociés du reste de l'article, de déclarer la nullité de l'article 17 dans son intégralité.
Les arguments invoqués ont l'intelligence de contourner le sophisme habituellement invoqué par les défenseurs de la disposition, c'est-à-dire que l'article 17 n'impose dans sa lettre aucun système de filtrage automatisé ; il enjoint même les plateformes concernées à ne pas y recourir ! Pourtant, comme le rappelle le recours, les risques de mise en cause de leur responsabilité et les sanctions associées aboutiront mécaniquement à la mise en place de « mécanismes de contrôle préventif ».
« La République de Pologne affirme en particulier que
l’obligation faite aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de fournir leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires (article 17, paragraphe 4, sous b), de la directive 2019/790)
et l’obligation faite aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne de fournir leurs meilleurs efforts pour empêcher que les œuvres et autres objets protégés, pour lesquels les titulaires de droit ont présenté une notification suffisamment motivée, soient téléversés dans le futur (article 17, paragraphe 4, sous c), in fine de la directive 2019/790)
a pour conséquence – afin d’éviter la mise en cause de leur responsabilité – que les fournisseurs de services doivent procéder à une vérification automatique préalable (filtrage) des contenus partagés en ligne par les utilisateurs, ce qui implique par conséquent de mettre en place des mécanismes de contrôle préventif. De tels mécanismes mettent en cause l’essence même du droit à la liberté d’expression et à l’information et ne respectent pas l’exigence de proportionnalité et de nécessité de toute atteinte à ce droit. »
Les autres États membres, ainsi que la Commission européenne, ont à présent six semaines pour faire part de leurs éventuelles observations (article 130 du Règlement de procédure de la Cour de Justice). S'il n'y aucun espoir de voir la France, un des principaux promoteurs de la disposition, soutenir le recours de la Pologne, souhaitons que d'autres États membres apportent leur contribution en renfort de cette demande salutaire.
C'est le début d'une procédure potentiellement longue. Le chantier des transpositions en droit national suit son cours dans les différents États membres et ce recours nous invite à rester combatifs. Chantier qui devrait reprendre en France, en ce qui concerne l'article 17, dans le cadre du projet de loi de réforme de l'audiovisuel public dont la présentation est prévue d'ici fin octobre 2019 avec comme objectif son adoption début 2020 ainsi que le rapportait Next INpact. L'April restera évidement mobilisée pour lutter contre cette disposition rétrograde et liberticide.