La Commission européenne s'engage, timidement, dans l'ouverture de ses codes sources et dans la contribution aux logiciels libres

Dans la continuité de sa stratégie en matière de logiciels libres pour la période 2020-20231, annoncée en octobre 2020, la Commission européenne a formalisé ses intentions, et ses pratiques, dans une décision « sur l’octroi de licences open source et la réutilisation des logiciels de la Commission ». Un document important puisqu'il engage la Commission et lui est donc opposable. Si, à l'image de la stratégie précitée, la décision n'affiche pas une grande ambition politique, elle pose des bases utiles et confirme la volonté de la Commission d'amplifier son recours et sa contribution aux logiciels libres. Quelques points de vigilances demeurent, notamment sur les définitions retenues.

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L'objet de la décision apparaît avant tout comme l'encadrement de la publication sous licence libre des logiciels produits par les services de la Commission. Bien sûr cela n'est pas neutre politiquement, le poids de cette administration lui donnant une place de choix pour inspirer par l'exemple. Malheureusement, comme elle l'avait déjà fait dans sa stratégie de 2020, la Commission affaiblit elle-même ce qui apparaît comme une volonté sincère d'amplifier son recours et sa contribution aux logiciels libres. Le principe général posé à l'article 3 de la décision est ainsi faible et décevant ; « les services de la Commission peuvent choisir de mettre les logiciels de la Commission à disposition en vue de leur réutilisation ». D'autant plus que l'article 4 ouvre un large champ d'exceptions à l'application de la décision, notamment l'exception pourtant infondée de « risque pour la sécurité des systèmes d'information ». Une stratégie ambitieuse devrait poser que la diffusion en logiciel libre doit être le principe par défaut, et la non diffusion l'exception dûment motivée.

Cette forme de timidité de la Commission vers un engagement politique fort est parfaitement résumée par l'ouverture de son communiqué : « La Commission a adopté aujourd'hui de nouvelles règles sur les logiciels libres, qui permettront d'ouvrir l'accès à ses solutions logicielles lorsqu'il existe des avantages potentiels pour les citoyens, les entreprises et les services publics ». Jauger de la pertinence de l'ouverture à l'aune de ce qui pourra être réalisé est un contre-sens. C'est bien en elles-mêmes que les libertés d'accès, de modification et de réutilisation doivent être promues et défendues. Non seulement car elles relèvent d'un impératif démocratique, mais aussi car elles permettent la plus large expression des talents et des créativités.

Ces critiques de fond ne doivent pas empêcher de prendre acte des avancées du texte qu'il conviendra de confirmer. D'une part la décision inscrit, dans son article 9, que les services de la Commission sont autorisés à participer et à contribuer à des projets logiciel libre externes. Cette autorisation explicite est à saluer. D'autre part la décision prévoit l'utilisation d'un « répertoire faisant office de point d’accès unique, afin de faciliter l’accès aux logiciels de la Commission et leur réutilisation. » Il s'agira de suivre quelle forme prendra ce répertoire 2. Notons que la Commission serait pleinement dans son rôle en créant et en maintenant une forge publique, qui pourrait d'ailleurs être ouverte aux administrations des États membres qui dépendent parfois – comme en France – de forges maintenues par des acteurs privés (à des fins commerciales ou non).

Enfin, des interrogations demeurent, particulièrement à l'endroit de certaines définitions retenues (article 2)3. La notion de « réutilisation » correspond bien à la définition des quatre libertés et autorise les réutilisations à des fins commerciales, mais les définitions de « licence » et surtout celle de « licence open source » introduisent des flous et des conditionnalités qui risquent d'ouvrir la voix à des interprétations dommageables. De plus, pourquoi ne pas avoir spécifiquement mentionné les référentiels de la Fondation pour le logiciel libre (Free Software Foundation)4 et de l'Open Source Initiative 5 largement reconnus comme seuls standards pour la définition de ce qui relève ou non d'une licence libre ? La vigilance est d'autant plus de mise que cette décision formalise, dans le temps, ces définitions comme étant celles de la Commission. L'April prendra le temps d'une analyse plus approfondie sur ces questions.