La 5G est-elle politique ? - elzen

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Titre : La 5G est-elle politique ?
Intervenants : Emmanuel Macron, voix off - Christophe Michel, voix off - elzen
Lieu : Association Skeptikón
Date : 16 novembre 2020
Durée : 12 min 3
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Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : capture d'écran de la vidéo - Licence Creative Commons Attribution - Partage dans les mêmes conditions
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

elzen : Il y a quelques semaines, un membre de La Quadrature du Net1 est intervenu dans un évènement organisé à Lyon par le mouvement anti-5G.
Pour les gens qui ne la connaîtraient pas, La Quadrature du Net est une association de défense des libertés dans le contexte numérique. Elle se bat notamment contre les politiques de surveillance et a réussi à faire annuler quelques-unes des dérives liberticides de nos différents gouvernements. C’est à ce titre que l’association était invitée à cet évènement pour parler des problématiques de surveillance, liées ou non, à cette technologie.
Cependant, il se trouve que l’un des arguments d’opposition à la 5G que retiennent le plus ses partisans est celui du possible danger des ondes sur la santé. Les résultats scientifiques actuels montrant qu’il est très peu vraisemblable que les ondes utilisées par la 5G et d’autres technologies similaires présentent un quelconque danger à ce niveau, l’opposition à la 5G est donc perçue par toute une partie de la population comme une élucubration antiscientifique, d’autant plus que pas mal de spéculations complotistes font également la part belle à cette technologie.
Quand un membre de La Quadrature du Net, à l’occasion de cet évènement, a exprimé sur les réseaux sociaux le fait que, suite à de nombreuses discussions internes, l’association se positionnait plutôt contre cette technologie, il a donc fallu faire face à un certain nombre de réactions outrées qui associaient immédiatement cette position aux arguments antiscientifiques ou complotistes.
Bien que ces réactions aient pu, de loin, ressembler aux arguments que peut formuler la pensée critique contre tel ou tel discours, on en était, dans les faits, assez loin si l’on va voir dans le détail. Ça me paraît donc important de soulever quelques points à ce sujet d’où la présente vidéo.

Commençons d’emblée par une précision. Je ne m’exprimerai pas ici sur les raisons de fond d’être pour ou contre la 5G en elle-même. Ce qui m’interpelle ici est plutôt la construction d’un certain discours pro 5G qui a été développé à cette occasion et qui me semble particulièrement problématique.
La première chose qui me semble essentielle à souligner, parce qu’elle semble avoir été oubliée par pas mal de monde, est qu’il est possible d’être d’accord sur une conclusion générale en étant pour autant profondément en désaccord sur les raisons qui nous font arriver à cette conclusion. De la même manière, ça a d'ailleurs déjà été soulevé ici, qu’il est possible d’avoir raison pour de mauvaises raisons.

Christophe Michel, Voix off : Remarquez bien le fait que le raisonnement soit invalide ne garantit pas que la conclusion est fausse ; c’est peut-être faux, c’est peut-être vrai, on ne peut pas conclure. Beaucoup de gens pensent qu’ils ont démontré que la théorie de leur adversaire est fausse juste parce que des arguments invalides ont été utilisés. Mais on peut très bien avoir raison pour de mauvaises raisons.

elzen : C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je ne m’attarde pas davantage sur les multiples arguments fallacieux pro 5G que vous avez pu voir tout à l’heure. Leur intérêt dans le débat est, de toute façon, très limité. Bref !
Que La Quadrature du Net se positionne globalement contre la 5G, avec son angle de vue qui est la défense des libertés, ne signifie en aucun cas qu’elle soutient les arguments anti ou pseudo-scientifiques développés par les autres opposants, arguments qui sont, en fait, complètement en dehors de son champ d’analyse. Ce point est assez important parce que déclarer qu’on doit être soit pro 5G soit anti-ondes en général, eh bien ça relève du faux dilemme. Il s’agit de nier le fait qu’il puisse simplement exister d’autres raisons de s’opposer à une technologie que celles qui nous paraissent faciles à démonter. Utiliser consciemment ce type d’argument est assez malhonnête, mais il vaut mieux éviter de partir du principe que les gens en face de nous sont malhonnêtes.
En l’occurrence, il est beaucoup plus probable que les gens qui tenaient ce type de discours ne perçoivent réellement pas d’autre motif que la peur des ondes pour s’opposer à la 5G et c’est peut-être même ce qui fait le plus peur dans l’affaire. En effet, l’essentiel des critiques qu’a rencontrées La Quadrature du Net sur ce positionnement semblait reposer sur un principe simple selon lequel un progrès technologique serait forcément un progrès tout court. C’est ce principe que je voudrais fortement questionner aujourd’hui.

Les argumentaires ne manquent pas pour expliquer en quoi la 5G serait, selon ses défenseurs, un formidable progrès technique. Mais ils passent assez souvent sur les aspects politiques de la question et, de ce fait, ne répondent pas vraiment aux arguments avancés par La Quadrature du Net qui, eux, sont des arguments politiques.

Resituons les choses.
Le domaine de la politique c’est le domaine des choix que l’on doit faire pour organiser la société. Bien évidemment, il est préférable que ces choix s’appuient, autant que possible, sur les connaissances scientifiques et sur la technologie disponible à un instant donné. Ce sont ces données qui font qu’on a, ou pas, des chances d’arriver à nos objectifs. Mais ces données ne suffisent pas en elles-mêmes pour prendre une décision. Il est nécessaire de préciser quels sont nos objectifs.
Prenons un exemple classique. Le verre met 4 000 ans à se décomposer dans la nature. Si notre objectif est de retrouver notre lieu de pique-nique favori en bon état la semaine suivante, alors il est préférable de ne pas laisser traîner nos bouteilles qui se trouveraient toujours là. Mais, si notre objectif est au contraire de laisser une trace de notre passage pour que les générations futures puissent les retrouver et les analyser, alors il est préférable d’opter pour le verre par rapport à d’autres matériaux, comme le carton, qui disparaîtraient beaucoup plus vite.
La durée de décomposition du verre n’est qu’une donnée. Ce qui importe, ce sont les choix que nous allons faire en fonction de cette donnée.
Or, les technologies dont on choisit, ou pas, de se doter, ont une influence sur les choix que l’on est en mesure, ou pas, de faire. La technologie n’est donc pas aussi neutre qu’on pourrait le croire.
L’image habituelle est ici celle du couteau qui peut être employé aussi bien pour couper son pain que pour tuer quelqu’un. Dans les deux cas, ce sont les objectifs de la personne qui comptent et, si cette personne veut tuer des gens, ce n’est pas le couteau en lui-même le meurtrier. Bon ! Tout le monde sera d’accord là-dessus. Réfléchissons un peu plus loin que ça. Les couteaux sont très loin d’être les seuls objets tranchants dont nous disposons. Une épée, par exemple, est généralement encore plus efficace qu’un couteau pour tuer quelqu’un. En revanche, couper son pain à l’épée est quelque chose de beaucoup plus pénible. L’épée en elle-même n’est toujours pas responsable du fait qu’on l’utilise pour tuer des gens, mais avoir à sa disposition une épée ou un couteau change les actions qu’on va être en mesure de faire et faire le choix de prendre avec soi une épée ou un couteau conditionne beaucoup ce qu’on va pouvoir faire ensuite. En ce sens, la technologie dont on se dote n’est pas neutre.

On voit ici qu’il faut faire attention au sens des mots qu’on emploie car « neutre » peut avoir des tas et des tas de sens différents selon le contexte. La Quadrature du Net est ainsi une des grandes défenderesses de la neutralité du réseau, mais c’est une neutralité complètement différente.

Continuons à prendre les analogies habituelles et imaginons, en guise d’Internet, le réseau postal. Le but, dans les deux cas, est d’amener des paquets du point A ou point B. Ce que l’on appelle la neutralité du réseau ce sont les obligations que l’on donne au facteur : il ne faut pas ouvrir les enveloppes pour regarder à l’intérieur du paquet ; il ne faut pas non plus prioriser, c’est-à-dire décider que si c’est telle sorte de paquet ou pour telle destination, on va faire beaucoup plus ou beaucoup moins d’efforts que dans les autres cas. Le réseau est neutre au sens où tous les paquets sont traités à égalité.
Le fait qu’on mette en place un réseau neutre, eh bien ça n’est pas neutre. Ça donne la possibilité de construire une société dans laquelle tout le monde a droit à la parole à égalité, contrairement à d’autre sortes de réseaux, comme la télévision, où seule une petite minorité de gens a les moyens de s’exprimer.
Ça ne veut pas dire qu’on va forcément construire cette société-là, de la même manière que prendre un couteau ne veut pas forcément dire qu’on va s’en servir pour couper du pain, mais ça nous en donne la possibilité.

Dans ce contexte, la 5G est un des moyens dont on se dote pour relier les gens au réseau.
Si l’on reprend notre comparaison avec le réseau postal, ça peut représenter le fait de déplacer les colis par camion, tandis que l’Internet par fibre optique correspondrait par exemple au fait de déplacer les colis sur des rails avec un train. Globalement le résultat est le même, on transporte bien des paquets du point A au point B dans les deux cas. Mais, quand on regarde dans le détail, chaque technologie va avoir ses avantages et ses inconvénients. Le réseau ferré, par exemple, va être beaucoup moins souple. On ne pourra relier un point donné que si on a posé les rails qui vont jusque-là. Mais, d’un autre côté, la vitesse de transfert des trains et des camions ne va pas forcément être la même et le coût environnemental non plus. Il y a donc des choix à faire, des choix politiques sur la façon dont on va décider de relier les gens en fonction des différentes technologies à notre disposition.
Nous ne sommes pas passés des vieux trains à vapeur au TGV juste parce que les TGV étaient un chouette progrès technique. Nous y sommes passés parce qu’on a pesé les avantages et les inconvénients de la nouvelle technologie, sur autant de plans que possible, et qu’on a conclu que ça valait le coup de refaire une bonne partie des rails pour ça.
De la même manière, peut-être que les camions de cinquième génération sont un chouette progrès technique par rapport à ceux des générations antérieures, mais c’est très loin d’être la seule question à se poser à leur sujet.
Parmi ces questions à se poser, il y en a une qu’il ne faut surtout pas négliger : qui va prendre la décision ?
Si l’opposition à la 5G est parfois violente, c’est en grande partie parce que les gens ont l’impression qu’on leur impose quelque chose qu’ils perçoivent comme dangereux, peu importe qu’ils aient raison ou pas sur ce point, sans les avoir consultés. Or, la façon dont on construit la société – car les outils qui nous servent à communiquer sont ce qui nous permet de faire société, donc leur choix conditionne la façon dont on construit celle-ci – est une question qui nous concerne toutes et tous. Imposer la décision d’utiliser la 5G sans prendre en compte l’avis des gens c’est le contraire de construire une société égalitaire dans laquelle tout le monde a droit à la parole ; c’est le contraire de ce que des associations comme la Quadrature du Net essaient de construire avec l’Internet neutre qu’elles défendent, ce qui est déjà une raison politique tout à fait valable de ne pas être d’accord.

Certes, beaucoup d’opposantes et d’opposants à la 5G utilisent des arguments pseudo ou antiscientifiques et nous sommes d’accord sur le fait que c’est un problème. Mais, d’une part, ils ne sont pas les seuls ; quelques exemples m’ont ainsi servi d’illustration pour cette vidéo. D’autre part, il y a quelque chose qui me semble essentiel à garder en tête. Les personnes électrosensibles, par exemple, sont avant tout des gens qui souffrent. Il se trouve que nous savons que les raisons pour lesquelles ils et elles souffrent ne sont pas celles auxquelles ils et elles pensent puisqu’aucun lien avec les ondes n’a jamais pu être démontré. Mais savoir ça, ça ne les empêche pas de souffrir et se moquer de leur position ou les insulter n’a rien pour arranger la situation.

Emmanuel Macron, voix off : Évidemment on va passer à la 5G. Je vais être très clair. La France est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation et beaucoup des défis que nous avons sur tous les secteurs se relèveront pas l’innovation. Donc on va expliquer, débattre, lever les doutes, tordre le cou à toutes les fausses idées, mais oui !, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile. Je ne crois pas au modèle Amish et je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine.

elzen : Vous pensez réellement qu’atteindre le niveau de mépris auquel nous venons d’assister va faire progresser l’humanité ? Moi pas. On peut faire tellement, mais tellement mieux que ça ! Si vous prétendez utiliser les outils de la pensée critique au sujet de la 5G, ça pourrait être intéressant de commencer par utiliser la guillotine de Hume.

La 5G ne doit pas être utilisée juste parce qu’elle existe. Il faut se poser la question de ce qu’elle apporte et de ce que l’on veut faire avec. C’est cette question que la Quadrature du Net s’efforce de poser et pour ça, on peut les remercier.
On peut être d’accord, ou pas, avec leur conclusion, mais tâchons de le faire en connaissance de cause, en ayant réellement réfléchi aux arguments des uns et des autres. Réfléchir c’est plus efficace à plusieurs.