GAFAM-Nation : un rapport éclairant sur le lobbying des GAFAM en France

Mardi 13 décembre 2022, l'Observatoire des multinationales a publié un rapport très complet sur les pratiques de lobbying des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) en France. Un document éclairant et particulièrement utile tant il y a peu de données disponibles sur ces pratiques au niveau français.

Lire le rapport (29 pages)

L'Observatoire des multinationales se définit lui-même comme « un média en ligne sur les grandes entreprises et plus généralement sur les pouvoirs économiques, ainsi que sur leurs relations avec le pouvoir politique. » Partant du constat que le lobbying des GAFAM était mal documenté en France, alors qu'il l'est relativement bien au niveau européen1, l'Observatoire a mené une enquête sur les pratiques de ces entreprises au niveau français. Ce rapport de 29 pages en est le résultat. Pour mener leurs travaux les deux journalistes, Chiara Pignatelli et Olivier Petitjean ont conduit plusieurs entretiens, notamment avec Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l'April.

Un des points les plus marquants du rapport est la très forte augmentation des dépenses déclarées de lobbying des GAFAM en France. Elles ont été multipliées par trois entre 2017 et 2021, pour atteindre environ 4 millions d'euros annuels, « au même niveau que les plus actifs des groupes du CAC40 ». Au-delà du montant lui-même, le rapport pointe que les GAFAM s'appuient sur de nombreux cabinets de lobbying, investissent les associations professionnelles du numérique ainsi que des think tanks, développent leurs relations avec les médias, etc. En plus du lobbying « classique », les journalistes pointent la façon dont ces multinationales développent un véritable soft power2, « infusent la société et pèsent sur le débat public ». Une véritable guerre des imaginaires visant à faire de leurs silos technologiques la norme.

Le rapport s'intéresse également au rôle des responsables politiques, d'une part dans le faible niveau de transparence sur les pratiques de lobbying. Les journalistes prennent notamment à titre d'exemple les agendas publics des ministres Le Maire et Barrot3, particulièrement avares, pour ne pas dire muets, en informations. D'autre part, le rapport parle d'un « lobbying passif » et de la « servitude volontaire » de l'État et des services publics. Le document décrit ainsi une situation à la fois de dépendance technique, mais également de dépendance idéologique. Le modèle des GAFAM apparaît, pour de nombreux responsables, comme un horizon indépassable et les politiques publiques ne semblent que trop rarement définies dans une perspective qui aille au-delà de ce cadre de référence imposé. Enfin, les deux journalistes mettent en évidence une pratique malheureusement bien connue et très mal encadrée, celle des portes tournantes ou portes-tambour. Il s'agit de situation où une personne travaille, alternativement, pour le compte de personnes publiques et pour le compte d'entreprises, dans un champ d'expertise similaire.

Dans sa conclusion, un des objectifs affichés du rapport est un plaidoyer pour un renforcement de l’encadrement du lobbying en France. Renforcement qui doit notamment passer par des données plus précises et des moyens de contrôle bien plus conséquents, notamment à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Le rapport souligne également la faiblesse et l'incohérence du discours sur les enjeux de « souveraineté numérique ». Les journalistes proposent d'ailleurs une définition de cette notion parfaitement en phase avec l'éthique du logiciel libre, dans un des paragraphes conclusifs. Paragraphe qui résume, en quelques mots, toute l'importance du travail qu'il et elle ont mené :

La « souveraineté numérique », c’est avant tout notre capacité à décider collectivement et démocratiquement des usages que nous souhaitons faire des outils numériques, et dans quelles conditions, et de ne pas subir les usages dont ne nous voulons pas. C’est précisément cette capacité que la toile d’influence des GAFAM contribue à réduire. Son principal ressort est de nous faire croire – ou au moins de faire croire à nos dirigeants politiques – que leur expansion est inarrêtable, et que le monde qu’ils nous préparent est inéluctable.
  • 1. Notamment grâce au travail de Corporate Europe Observatory. Lire leur rapport sur le sujet (en anglais)
  • 2. Le soft power est la capacité d'un acteur politique d'influencer indirectement le comportement d'un autre acteur ou influencer la définition par cet autre acteur de ses propres intérêts, tout à travers des moyens non coercitifs (source Wikipédia)
  • 3. Bruno Le Maire est ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Jean-Noël Barrot est ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, sous la tutelle de Bruno Le Maire.