EIF 2.0 : lettres ouvertes à la Commission européenne pour sauvegarder l'interopérabilité

La révision du cadre européen d'interopérabilité (EIF) provoque une forte polémique sur la définition des standards ouverts. Tandis que les lobbies du logiciel propriétaire, Microsoft et la BSA en tête, plaident pour que "fermé" soit considéré comme "presque ouvert", des organisations attachées au Logiciel Libre et à l'interopérabilité s'opposent fermement à toute révision à la baisse de cette définition. L'April s'associe et soutient ces actions.

La définition retenue jusqu'à présent par l'IDABC1 retenait des critères minima on ne peut plus clairs2 pour qu'un format puisse être considéré comme un standard ouvert :

  • « Le standard est adopté et sera maintenu par une organisation sans but lucratif et ses évolutions se font sur base d’un processus de décision ouvert accessible à toutes les parties intéressées (consensus ou vote à la majorité, etc.).
  • Le standard a été publié et le document de spécification est disponible, soit gratuitement, soit au coût nominal. Chacun a le droit de le copier, de le distribuer et de l’utiliser, soit gratuitement, soit au coût nominal.
  • La propriété intellectuelle – c’est-à-dire les brevets éventuels – sur la totalité, ou une partie, du standard est irrévocablement et gratuitement mise à disposition.
  • Il n’y a pas de restrictions à la réutilisation du standard. »

Les logiciels libres y étaient mis en avant :

« Les logiciels open source tendent à utiliser et à définir des standards ouverts et des spécifications disponibles publiquement. Les logiciels sont, par nature, des spécifications disponibles publiquement, et la disponibilité de leur code source promeut des débats ouverts et démocratiques autour des spécifications, les rendant plus robustes et interopérables. En tant que tels, les logiciels libres correspondent aux objectif de l’EIF et devraient être considérés et évalués favorablement vis-à-vis des alternatives propriétaires »

Or la définition proposée dans le dernier brouillon connu3 ôte toute mention du Logiciel Libre. Pire, elle confond « interopérabilité » et « compatibilité » en ne faisant plus reposer l'interopérabilité sur les standards ouverts (voir la traduction du document ci-dessous).

En réaction, le consortium OW2 et le Groupe Thématique Logiciel Libre du pôle System@TIC ont adressé chacun une lettre ouverte à la Commission européenne pour sauvegarder les standards ouverts et l'interopérabilité dans la prochaine version de l'EIF. Voir également le communiqué de presse la FSF Europe FSFE: EC caves in to proprietary lobbyists on interoperability (en anglais).

Rappelons que cette rédaction s'inscrit dans la continuité de la normalisation contestée du format bureautique OOXML de Microsoft ainsi que de l'inclusion, récemment validée par François Fillon, de ce format dans le RGI.

Plusieurs gouvernements ont d'ores et déjà affirmé leur volonté de soutenir les standards ouverts et le Logiciel Libre dans cette nouvelle version de l'EIF, tout en plaidant pour une rédaction permettant aux administrations publiques de gérer leur patrimoine informatique4. Un moyen de ménager la chèvre et le chou ou une échappatoire pour favoriser la monoculture propriétaire ?


Extrait du brouillon d'EIF 2.0 sur l'ouverture et l'interopérabilité (traduit de l'anglais) :

« Dans le contexte de l’EIF, l’ouverture est la volonté des personnes, organisations et autres membres d’une communauté d’intérêt de partager la connaissance et de stimuler les débats au sein de cette communauté, en ayant comme but final la progression de la connaissance et donc la solvabilité des problèmes attenants. En ce sens, l’ouverture mène à des gains considérables d’efficacité.

L'Interopérabilité nécessite l'échange d'informations et de savoirs entre organisations, et demande donc un certain degré d'ouverture. Il existe des degrés d'ouverture variés.

Les spécifications, les logiciels et les méthodes de développement de logiciels favorisant la collaboration et dont les résultats sont librement accessibles, réutilisables et partageables sont considérés comme ouverts et reposent à une extrémité du spectre, tandis que les spécifications propriétaires non documentées, les logiciels propriétaires et la réticence ou le refus de réutiliser des solutions, c'est-à-dire le syndrome du "pas inventé ici", sont à l'autre bout.

On peut appeler le spectre d'approches entre ces deux extrémités « continuum d'ouverture ».

(...) Les administrations publiques européennes doivent décider où elles souhaitent se positionner sur ce continuum, moyennant les problématiques traitées par l'EIF. La position précise peut varier, au cas par cas, en fonction de leurs besoins, de leurs priorités, de leur budget, de la situation du marché et de nombreux autres facteurs. Bien qu’il y ait une corrélation entre l’ouverture et l’interopérabilité, il est également vrai que l’interopérabilité peut être atteinte sans ouverture, via par exemple l’homogénéité des systèmes d’informations, ce qui implique que tous les partenaires utilisent, ou acceptent d’utiliser, la même solution à implémenter dans un service public européen.

Recommandation 5. Les administrations publiques doivent favoriser l'ouverture dans leur travail commun pour la mise en place du Service Public Européen, tout en tenant compte de leurs priorités et de leurs contraintes. »