Contre la censure, la décentralisation - La Quadrature du Net

LQDN

Titre : Contre la censure, la décentralisation
Intervenants : Lionel Maurel - Christophe Michel - Rigel - Martin Drago
Lieu : La chaîne LQDN
Date : décembre 2018
Durée : 6 min 19
Visionner la vidéo ici ou ici
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : copies d'écran de la vidéo
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Les géants du web nous imposent leur régime de censure. Heureusement, des initiatives émergent pour reprendre la main sur les règles d'organisation de nos contenus et rétablir la promesse originelle d'Internet.

Transcription

Voix off : Au commencement, Internet n’était qu’un tout petit espace de quelques points reliés où n’importe qui pouvait prendre la parole.

Lionel Maurel : J’aime bien cette phrase de Benjamin Bayart qui dit : « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet lui a permis d’écrire ». Pourquoi, en fait, ça nous a permis d’écrire ? Parce que ça nous a donné la possibilité de nous exprimer à priori sans autorisation préalable. Ça c’est, on va dire, la promesse d’Internet, mais cette promesse a profondément changé, parce qu’Internet s’est rempli d’intermédiaires qui conditionnent l’accès à cette liberté d’expression, donc nous emmènent dans toute son exploitation publicitaire des contenus. Il a aussi ses propres règles qui sont la plupart du temps opaques et qu’il peut appliquer d’une manière complètement arbitraire. Du coup c’est un espace qui nous donne la sensation d’exercer une liberté, mais qui est tellement conditionnée qu’on peut se demander si le mot liberté est encore approprié.

Voix off : Des géants ont commencé à prendre de plus en plus de place. Nous avons demandé à Christophe, vidéaste de la chaîne Hygiène mentale, son avis sur le géant YouTube.

Christophe Michel : Je ne m’intéresse pas trop à YouTube. C’est une entreprise privée, américaine, dont le seul but est de satisfaire ses clients. Et ses clients ce ne sont pas les créateurs, ce ne sont pas non plus les spectateurs comme beaucoup se l’imaginent ; ses clients ce sont les annonceurs. Si leurs annonceurs publicitaires ne veulent pas apparaître aux côtés de certains contenus, alors l’entreprise se pliera à leurs exigences.

Voix off : Les géants ont fait grandir cette économie basée sur la censure imposée par les annonceurs. Mais y a-t-il un impact sur la façon dont les contenus sont produits ?

Christophe Michel : On ne devrait créer un contenu qu’en fonction de ce que l’on a à dire, pour faire entendre son opinion, défendre ses positions. Mais dès qu’un créateur accepte d’en faire son métier, avec des revenus publicitaires, alors ses intérêts changent. Il a désormais plus intérêt à dire ce qui fera cliquer son auditoire, soit parce que c’est ce qu’il veut entendre, soit au contraire parce qu’il se sentira offusqué. Le seul critère qui importera sera de pousser le spectateur à partager le contenu. Le créateur, alors, ne dit plus son opinion personnelle, mais il dit ce qu’il faut qu’il dise pour survivre dans un univers médiatique ultra-concurrentiel.

Voix off : Internet avait bien changé et semblait en train de perdre toute sa diversité numérique. Pourtant, discrètement, des bruits vivants murmurent partout encore, libres de ces absurdes et inutiles géants.

Rigel : En l’occurrence, la décentralisation c’est quelque chose d’éminemment politique. Les gens qui veulent centraliser ce sont des gens qui veulent avoir le contrôle. Quand on cherche à décentraliser, c’est forcément qu’on cherche à s’émanciper.

Voix off : PeerTube1 permet d’héberger ses vidéos pour pouvoir les partager avec le reste d’Internet. On peut y suivre et commenter les contenus d’autres personnes et être suivi en retour. PeerTube fonctionne de façon décentralisée, c’est-à-dire qu’il est installé sur une multitude de serveurs qui ont chacun leur propre administration, leur propre communauté et leurs propres règles. Tous ces serveurs peuvent ensuite être connectés entre eux pour constituer un grand réseau, le « Vidiverse » ou réseau fédéré de vidéos.

Rigel : Décentraliser ça veut dire aussi avoir ses propres règles puisqu’on peut créer les propres règles de sa communauté et les mettre en place sur un espace que l’on contrôle complètement.

Christophe Michel : C’est pour cette raison que nous avons décidé de publier nos contenus sur une plateforme que l’on héberge et que l’on contrôle, notre instance PeerTube. Nous, c’est un collectif de vidéastes de vulgarisation scientifique. Pour être exact j’ai choisi de proposer mes vidéos sur toutes les plateformes d’hébergement disponibles. C’est le moyen de rester propriétaires de nos propres contenus. Mais pour que ça fonctionne, il est nécessaire que la communauté des spectateurs les plus engagés se mobilise pour aider les créateurs par des financements participatifs ou des pourboires.

Voix off : Mais organiser Internet pose un tas de questions.

Lionel Maurel : Quelles sont les limites qu’on fixe justement à la liberté d’expression ? La liberté d’expression peut avoir des limites. Elle peut avoir des limites qui sont fixées par la loi, mais elle peut aussi avoir des limites qui sont fixées par des groupes. Donc quelles sont les limites qu’on se donne ensemble à la liberté d’expression, plutôt que de les sous-traiter à des plateformes qui, de plus en plus, appliquent ces limites avec des algorithmes, même avec des intelligences artificielles on nous dit.

Rigel : Quand on est sur un logiciel décentralisé, le fait d’avoir des plus petites communautés permet de créer ses propres règles et c’est plus simple de les mettre en place sur un espace qui nous appartient que ne sont les grandes plateformes qui, elles, sont assujetties forcément à une sorte de norme ou, en tout cas, aux lois des États et qui doivent filtrer le contenu de manière beaucoup plus importante.

Martin Drago : Aujourd’hui le cadre juridique actuel oblige, en fait, tous ceux qui hébergent des contenus web à censurer tous les contenus manifestement illicites, c’est le terme juridique, manifestement illicites qui leurs sont notifiés. En fait les États-membres de l’Union européenne, principalement la France et l’Allemagne, veulent renforcer de façon incroyable et presque impossible ces obligations pour les hébergeurs. Déjà ça, ça limite en tant que tel le Web décentralisé, parce qu’il faut déjà être une entreprise qui peut engager des gens et qui donc doit déjà avoir, disons, de l’argent pour payer ces gens, pour faire ce travail de censure.

Lionel Maurel : J’aime beaucoup cette phrase d’Antonio Casilli qui dit : « Il n’y a pas d’algorithme, il n’y a que la décision de quelqu’un d’autre ». Le pouvoir de l’algorithme c’est d’invisibiliser le fait qu’on est soumis à un pouvoir et qu’on a perdu la capacité de décider d’une chose.

Voix off : Pour que cet espace ne soit plus sujet à la censure arbitraire des géants et des États, La Quadrature se bat pour un cadre juridique qui respecte aussi les plus petits acteurs.

Lionel Maurel : Une des choses qui est importante aujourd’hui c’est de rétablir la promesse originale d’Internet et c’est pour ça que ça vaut le coup de se battre sur ce sujet.