Censure administrative de l'Internet sous couvert de protection de l'enfance : niaiserie technologique ou volonté de contrôle accru ?

Paris, le 13 décembre 2010. Communiqué de presse.

L'article 4 de la LOPPSI 2 instaure délibérément la censure administrative d'Internet, au prétexte de protection de l'enfance et au mépris de toutes les analyses de la société civile qui rejettent unanimement ces dispositions inefficaces et dangereuses. L'April appelle les députés à s'y opposer lors de sa deuxième lecture à l'Assemblée.

L'April s'oppose à la censure du Net prévue par l'article 4 de la loi LOPPSI 2 (« Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure »)1. Sa mise en place, au prétexte de la lutte contre la pédopornographie, est un cheval de Troie. Une fois déployée au nom de la protection de l'enfance pour laquelle elle est parfaitement inefficace, elle pourra à loisir être étendue à d'autres domaines (elle est d'ailleurs déja en place pour les jeux en ligne) comme la lutte contre le partage d'œuvres en ligne, la diffamation et, pourquoi pas, le filtrage de sites mettant à disposition des logiciels favorisant le partage de fichiers2, ou encore le contournement des DRM (« menottes numériques »)3. De plus, des dégâts collatéraux comme la censure de sites parfaitement légitimes est inévitable, de l'aveu même du gouvernement4. Ces dispositions porteront inéluctablement atteinte à la liberté d'expression et de communication.

« Les auteurs et utilisateurs de logiciels libres, tout comme l'ensemble des utilisateurs d'Internet, se trouvent directement menacés par la perspective d'un filtrage du Net arbitraire, laissé aux mains du gouvernement. L'April se joint donc à Reporters Sans Frontières5, La Quadrature du Net6 ou l'association d'information sur la pédophilie L'Ange Bleu7 pour dénoncer cette instrumentalisation de la protection de l'enfance. Nous appelons les députés à rejeter l'article 4 de la LOPPSI » déclare Tangui Morlier, président de l'April.

À la lumière des objections des nombreux citoyens et organisations qui se sont exprimés sur le sujet, le législateur ne peut plus ignorer qu'empêcher l'accès à un site Web ne répond absolument pas à un objectif de protection de l'enfance (à ce sujet voir les propositions de l'association Ange Bleu8), que cela passe par une décision administrative ou par une décision judiciaire. En revanche, il ne fait aucun doute qu'il s'agit de faire accepter un dispositif pour ensuite l'étendre à d'autres situations hors du cadre prévu, comme en témoigne la volonté du président Sarkozy de filtrer « sans délai » le réseau, pour soi-disant faire peser moins de mesures sur les internautes9.

L'April soutient donc l'appel lancé par La Quadrature du Net, et invite ses membres et soutiens à contacter leurs députés pour les alerter sur les dangers du filtrage du Net, niaiserie technologique promise à servir d'inquiétantes dérives.

À propos de l'April

Pionnière du logiciel libre en France, l'April est depuis 1996 un acteur majeur de la démocratisation et de la diffusion du Logiciel Libre et des standards ouverts auprès du grand public, des professionnels et des institutions dans l'espace francophone. Elle veille aussi, dans l'ère numérique, à sensibiliser l'opinion sur les dangers d'une appropriation exclusive de l'information et du savoir par des intérêts privés.

L'association est constituée de plus de 5 500 membres utilisateurs et producteurs de logiciels libres.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/, nous contacter par téléphone au +33 1 78 76 92 80 ou par notre formulaire de contact.

Contacts presse :

Tangui Morlier, président, tmorlier@april.org +33 6 81 88 02 98

Frédéric Couchet, délégué général, fcouchet@april.org +33 6 60 68 89 31

Jeanne Tadeusz, responsable affaires publiques, jtadeusz@april.org +33 1 78 76 92 82

  • 1. « Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs présentant un caractère manifestement pornographique le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. »
    Source : projet de loi modifié par le Sénat, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
  • 2. Ceux-ci ayant déjà été la cible désignée lors des débats de la loi DADVSI, criminalisés au travers des amendements dits « Vivendi Universal ».
  • 3. À ce sujet, lire la publication de l'April DRM : dispositifs de contrôle d’usage.
  • 4. Pages 14 et 15 de l'étude d'impact du gouvernement accompagnant le projet de loi, disponible sur le site de l'Assemblée nationale (pages 108 et 109 de ce document).
  • 5. « Le dispositif n’empêchera pas le contournement du filtrage par ceux qui échangent des contenus pédopornographiques, il ne fera pas disparaître l’information sur le Réseau et n’aura aucun effet sur la source du problème. [...] il est à redouter une extension du filtrage vers d’autres délits tels que la contrefaçon, la diffamation, l’offense au chef de l’État, etc… Ce procédé, qui dans un autre contexte serait dénoncé, risque d’être banalisé. »
    Source : communiqué de Reporters sans frontières.
  • 6. « Personne n'a aujourd'hui démontré l'efficacité du filtrage du Net pour combattre la pédopornographie et son commerce ; tous les dispositifs de filtrage sont facilement contournables ; le risque de bloquer l'accès à des sites parfaitement légitimes est inévitable, de l'aveu même du gouvernement. »
    Source : communiqué de La Quadrature. Voir aussi cette analyse.
  • 7. « nous jugeons cette disposition inefficace, contreproductive et dangereuse à l'égard de l'exercice démocratique : Inefficace en raison de la nature mouvante d'Internet et des possibilités de contournements déjà existants [...] Contreproductive en cela qu'elle ne pourra que renforcer le trafic de la pédopornographie en le reléguant aux marges du réseau, d'où il pourra prospérer [...] Dangereuse pour l'exercice démocratique en cela qu'elle nous fait prendre un risque non négligeable à l'encontre des contenus légitimes. »
    Source : communiqué de l'Association L'Ange Bleu.
  • 8. LOPPSI : la protection de l'enfance, cheval de Troie du filtrage généralisé d'Internet ?
  • 9. « Mieux on pourra « dépolluer » automatiquement les réseaux et les serveurs de toutes les sources de piratage, moins il sera nécessaire de recourir à des mesures pesant sur les internautes. Il faut donc expérimenter sans délai les dispositifs de filtrage. » Source : discours de Nicolas Sarkozy, le 7 janvier 2010 à la Cité de la musique.