Interview d'Olivier Berger

Entretien réalisé le mercredi 15 décembre 1999 au pub « Sous-Bock » à partir de 20 h 30. Étaient présents à cette occasion : Olivier Berger, Jean Dupont aka Sbi, Benjamin Drieu, Frédéric Couchet, tous membres d'APRIL, et Olivier Abad.

Q: Présente-toi en quelques mots.

Bonne question : 28 ans, Ingénieur informatique, membre d'APRIL (depuis 1 an et demi), et passionné d'informatique (depuis environ 15 ans); et très intéressé par les Logiciels Libres. Je connais les Logiciels Libres depuis 7/8 ans : je les ai découverts pendant mes études. J'avais un peu perdu de vue ce phénomène depuis que je bosse, et quand Linux est devenu médiatique en 97/98, je suis revenu à ces premières amours, et je n'ai plus envie de changer. Ma découverte s'est faite sur GNU-Emacs et GCC sur machines Sun à la fac (à Bordeaux), où j'ai eu aussi l'occasion de faire un peu de sys admin. J'avais également goûté à cette époque aux newsgroups (l'internet ne comprenait pas encore le Web). J'étais aussi, à l'époque, membre fondateur du BUGSS (association loi 1901). On était assez actifs sur Bordeaux et dans la communauté Amiga. Sur Amiga, il y avait à l'époque beaucoup de freewares et sharewares, et on notait un esprit de partage largement drivé par les américains. À l'époque nos activités consistaient surtout en la diffusion de logiciels ou documentation francisés sur disquette (peu de gens avaient accès aux CD-Roms et à Internet).

Q: Depuis, quand et pourquoi t'intéresses-tu au logiciel libre ?

J'avais vu qu'il y avait un truc intéressant dans GNU-Emacs mais sans lire la GPL, et sans comprendre ce qu'il y avait derrière. Sans voir qu'il y avait un système entier au-delà d'un simple logiciel (projet GNU). Depuis 2 ans, j'ai commencé à me plonger dans la théorie sous-jacente. Mais j'ai en effet d'abord commencé par la pratique.

Q: Quel intérêt trouves-tu dans la théorie des logiciels libres ?

C'est la Liberté des idées, à la base. Aussi, quand je fais un bout de soft pour moi, j'ai plutôt envie d'ouvrir mon travail à d'autres, et inversement. C'est donc l'idée de la coopération qui permet d'être utile, plutôt que de l'obscurantisme et donc de l'obligation de devoir réinventer les choses à chaque fois. Par contre, je m'interroge pas mal sur la viabilité d'un marché où le logiciel est libre mais où les coûts de développement sont importants, et où les utilisateurs ne sont pas forcement prêts à payer. Le modèle propriétaire a quelque part une justification, car pour faire financer des gros projets de développement, il faut des gens qui payent.

Q: Et les modèles de financement de type sourceexchange ?

C'est le seul moyen qui permet de structurer la rencontre entre l'offre et le besoin, la demande, mais il n'y a aucune garantie dans ce modèle. À vrai dire, ce n'est pas la seule source de financement envisageable. Par exemple, l'obligation de libérer les sources dans le cadre de développements spécifiques faite à l'administration et à l'État, serait un levier peut-être plus puissant. Un peu comme cela s'est fait, je crois, dans le développement d'Internet où les développements devaient être 'libres' (à vérifier) car développés par les labos d'Université.

Off : 20 h 55 : BenJ arrive alléché par les odeurs de bière, mais trop tard pour se faire payer un coup par Olivier.

Q: Comment as-tu découvert l'association APRIL ?

Je pense que c'est à la Villette l'an dernier. Mais en fait, je n'en ai aucune idée précise.

Off : (l'alcool commence à faire son effet).

Off : BenJ explique que le verre de Kilkenny doit faire 5 cm de plus. Le verre d'Olivier est un verre de touriste.

Q: Quelles ont été tes motivations pour adhérer à APRIL ?

Au-delà de mon action individuelle, trouver une structure pour contribuer efficacement au développement du Logiciel Libre. Je pense qu'on est plus efficace quand on peut collaborer plutôt que faire tout tout seul.

Q: Pourquoi précisément APRIL ?

Parce que c'est la seule association que je connaisse qui ait pour unique objet la promotion du logiciel libre. Je suis membre par ailleurs d'une autre association qui est connexe au Logiciel Libre (Parinux).

Q: Qu'attends-tu d'APRIL et que (veux|peux)-tu y apporter ?

Il paraît qu'il y a des meufs ;). Plus sérieusement, les échanges, principalement. Discuter avec les gens qui s'intéressent au même problème que moi, et partager et enrichir mes connaissances. Je pense que ce que je peux apporter, c'est à la base ma compétence en tant que professionnel de l'informatique.

Off : 21 h 02 : Jean Dupont vient d'arriver. Il nous fait remarquer qu'il neige.

Off : * Fred répète la dernière réponse. Jean Dupont aka Sbi se marre. *

Q: Quelles sont tes impressions, maintenant que tu es adhérent ?

Off : le président regarde d'un oeil noir attendant la réponse, prêt à la censurer.

Comme je l'ai déjà dit lors de l'A.G., l'association est particulièrement dynamique (surtout ses membres). Et il y a une bonne cohérence entre l'objet de l'association et les manifestations concrètes entreprises sur le terrain. En plus, on peut noter un fonctionnement démocratique, ce qui est indispensable dans toute structure où il s'agit de défendre la Liberté. Par contre, je suis surpris qu'il n'y ait que 120 membres. Il n'y aurait que 120 personnes intéressées par le logiciel libre en France ? APRIL, c'est un peu comme un parti politique, quand on a certaines idées qu'on a envie de défendre, il est normal d'y adhérer. Faire partie d'APRIL, c'est un engagement moral.

Q: As-tu des critiques, des idées d'amélioration sur le fonctionnement de l'association ?

Non, pas particulièrement.

Q: Travailler pour une SSII leader, et qui n'a jamais émis d'opinion particulière sur le Logiciel Libre, ne te gêne pas ?

Justement, j'adhère à APRIL pour expier mes fautes. Et Dieu sait qu'il y en a beaucoup ;-).

Off : Olivier Abad essaye un débat entre Olivier-Python et Jean-Dupont-Traducteur-Perl

Q: Question de BenJ : es-tu atteint du syndrôme Finix, je me réveille quand il y a de la bouffe ?

Off: BenJ fait de la provoc, ou alors c'est pour nous rappeler qu'il faudrait enfin célébrer les fiançailles LUFA par un petit voyage chez nos amis Bretons avec les nains de jardin :-)

Précise ta pensée... J'ai rien contre les bouffes, mais je ne voudrais pas que cela s'arrête là. Le sexe c'est comme le logiciel, c'est mieux quand c'est libre.

Off : Sbi : non, c'est mieux si c'est gratuit.

Q: Et la barbichette ?

Une femme m'a dit que j'étais mieux avec ;).

Q: Tu fais partie d'APRIL et de Parinux ? Quelle est l'utilité de Parinux ?

C'est un LUG (Linux User Group). Le but c'est de mettre en contact des gens intéressés par Linux, au niveau local. Ce qui n'a rien à voir avec APRIL, qui n'a pas particulièrement une action au niveau local, et qui ne se consacre pas qu'à GNU/Linux. Et puis, dans le domaine de la défense du libre, la diversité est une bonne chose.

Q: Un nouveau membre d'APRIL vient d'adhérer en parlant d'un accueil pas excellent au niveau de Parinux ?

Il n'a pas bien compris, je le crains : APRIL n'est pas là pour répondre aux questions techniques sur Linux. Ce serait plutôt effectivement le rôle de Parinux... mais s'il est déçu de l'accueil qu'il a reçu à Parinux, c'est parce qu'avant tout, le problème dans le monde associatif, c'est souvent de trouver des disponibilités. Ce qui est étonnant, c'est la disponibilité des gens d'APRIL.

Q: A terme, vises-tu une place au Conseil d'Administration d'APRIL ?

Pas nécessairement. Je ne veux pas prendre d'engagement que je ne pourrai pas assurer.

Q: Es-tu activiste par ailleurs ?

Non.

Q: Ton avenir professionnel ?

Si on veut m'embaucher pour faire un développement Python libre, je signe tout de suite.

Off : 21h35 : Olivier : quand est-ce qu'on mange ?

Q: Pourquoi voulais-tu être interviewé ?

Parce que j'ai émis l'idée de faire des interviews des membres lors de l'A.G. ... et donc c'était normal de commencer par moi...

Q: Que fais-tu quand tu ne fais pas d'info ?

Je regarde la télé ;).

Q: Et quoi, en particulier ?

Le câble essentiellement. Télé-Achat sur le câble, surtout vers 3h du mat. Ça tourne au sublime !

Q: Pour qui as-tu de l'admiration dans les défenseurs du Logiciel Libre ?

Richard M. Stallman, pour sa vie, son oeuvre; Linus Torvalds pour son talent de programmeur; Eric S. Raymond, parce que pour une fois, un mec qui connaît la technique a su communiquer, et ses écrits ont eu un impact fort.

Off : BenJ : c'est son opinion !

Off : 2nde tournée : 1 pinte de Blanche, 1 Kilkenny, 1 pinte de Guiness, 1 Leffe.

Le Logiciel Libre est peut-être né avec l'internet et les RFC. Le LL n'est pas né avec la FSF.

Off : discussion entre Sbi et Olivier à ce sujet, le rédacteur est trop naze pour en rendre compte.

Off : vérifier ce que dit Olivier, voir Tribune Libre de l'excellent éditeur O'Reilly (Olivier fait de la lèche pour se faire pardonner auprès de Nat).

Q: Que dirais-tu pour convaincre quelqu'un d'adhérer à APRIL ?

Pour moi, tu ne peux pas adhérer à APRIL uniquement pour attendre un service. Par contre, si c'est pour expier, c'est bien ;). Le but n'est pas d'être client, mais de participer à un échange dans les deux sens, pour décupler tes propres forces. Vaut mieux être plusieurs que tout seul dans son coin. Le but n'est pas de payer de 200 f pour se faire installer Linux.

Q: As-tu lu la GPL ?

Oui et en entier. En français, sur l'excellent site www.linux-france.org, puis sur l'encore plus excellent site d'APRIL. Par contre, ça ne sert à rien de mettre la GPL sans explications à côté.

Off : encore de la lèche, pensez à fwd à Nat

Q: Sbi : achètes-tu des livres sur Amazon ?

Oui, j'ai déjà acheté (donc des livres d'O'Reilly), mais plus maintenant.

Q: Sbi : donc, tu soutiens le boycott de RMS ?

Oui.

Q: Sbi : as-tu prévenu Amazon que tu les boycottais ?

Non.

Ce que j'attends d'APRIL, c'est aussi la convivialité.

Off : Sbi fais remarquer qu'Olivier travaille sur une doc propriétaire traitant d'un logiciel libre (* Sbi fait la même chose pourtant *).

Q: Quelle distribution utilises-tu ?

Mandrake 6.0 et 5.3.

Q: Gnu Visual Basic ?

Rien à dire. Ça doit être vraiment moins bien que Python.

Off : Sbi : ça existe au moins ?

Off : commande bouffe : BenJ suit son président adulé *

Off : Sbi est toujours là, alors qu'il nous avait promis de dégager.

Olivier nous parle de CP4E (Computer Programming for Everybody), le projet de Guido van Rossum (l'auteur de Python) : il s'agit d'un projet financé par le DARPA, dont l'objet vise à donner à tous les utilisateurs la possibilité de programmer les ordinateurs. Pour cela, il faut définir un langage pour le tout public. Le langage de base sera sûrement Python.

Off : Olivier ne semble connaître qu'un langage de programmation. Oliver Abad précise que sur le CV d'Olivier il y en a plus : C++, C, Fortran ...

C'est un projet ambitieux, qui ne réussira peut-être pas.

Off : Olivier critique les ménagères de moins 50 ans... Fred parle des beignets Zephirs (merci clb), pour ces mêmes ménagères.

Mais ce qui serait intéressant, c'est que la programmation soit enfin connue de tout le monde, car ainsi les gens connaîtraient le logiciel libre.

Off : Sbi s'en va

Q: En France, les personnages du libre ?

J'en sais rien.

Q: Nat Makarévitch ?

Je me demande comment il arrive à faire tout ce qu'il fait.

Q: Que penses-tu de softs propriétaires fonctionnant sur un système d'exploitation libre ?

La GPL n'a pas de restriction sur l'utilisation. Il y a avant toute chose la Liberté, donc tu ne peux pas empêcher les gens de faire tourner des softs proprios sur un système libre.

Q: Et pour la licence du noyau Linux (cohabitation de drivers/modules binaires propriétaires avec du soft GPL) ?

Quel est l'intérêt pour une boîte de ne pas libérer ses sources et de fournir un driver en binaire (avec le reverse-engineering, ou avec d'autres méthodes, de toutes façons, on peut comprendre comment il fonctionne) ? À quoi ça sert de faire des drivers propriétaires ? Sauf dans des domaines où la sécurité est absolument nécessaire (militaire, nucléaire), c'est la seule justification que je vois. Tu dévoiles tes faiblesses en publiant ton source.

Q: Le choix de Linus Torvalds ?

Il pense sûrement qu'un jour ils y viendront, une fois qu'ils auront compris que cela ne sert à rien de faire cela en propriétaire.

Q: Logiciel Libre et engagement social ?

Pour le vrai défenseur du LL, c'est une démarche progressiste, qui vise un changement de société, en fait, une démarche politique.

Q: De ton côté, c'est purement technique ou... ?

Si je n'étais pas un techos, je m'investirais sûrement ailleurs. Mais comme je suis informaticien, le levier dont je dispose pour agir sur la société, c'est le LL. Tout comme le passionné de sport va animer un club en banlieue par exemple...

Q: Quelles sont les compétences qui manquent aux défenseurs du libre ?

Du sex-appeal ;). Non, clairement, des compétences juridiques. Et puis, de la culture générale. En général, ils sont issus du monde informatique. Pour communiquer il faut se mettre dans la peau de l'interlocuteur. Il faut un peu avoir vécu en dehors de la Fac, de la compilation du noyau, de l'administration d'un système. Quand tu regardes LinuxFr, GCU, APRIL et AFUL (un peu moins), l'approche est souvent trop technique. Pour communiquer sur le LL, quelqu'un comme Charlie Nestel est précieux. Quand tu lis Linux Journal, tu lis aussi des articles de réflexion, qui se placent un peu au-dessus de l'aspect technique, avec une réelle valeur ajoutée dans les aspects philosophiques. Par rapport à ce qui se passe en France, cela n'a rien à voir. Pour paraphraser Queau, l'informatique est une chose trop importante pour être confiée aux seuls informaticiens. APRIL est un bon exemple d'endroit où il y a échanges entre informaticiens et non- informaticiens. L'informatique est quelque chose sans doute d'aussi vital que le génome humain dans la société actuelle. Queau est très fort là-dessus. Est-ce lui qui a compris ou son conseiller ? C'est une dimension qui échappe au programmeur de base (passage à la télé, etc.).

Q: L'« utilisation » des décideurs (médias/politiques) te paraît correcte de la part des associations ?

C'est pas mal, cela pourrait être pire.

Q: Qui sera le prochain interviewé ?

BenJ, Charlie, ...

Q: Olivier à Olivier Abad : pourquoi n'adhères-tu pas à APRIL ?

Parce que je ne veux pas être interviewé ?

Fin de l'interview mais pas de la soirée.