100 000 séropositifs brésiliens menacés de mort par les brevets

Paris, le 12 février 2001. Communiqué de presse, pour diffusion immédiate

Le gouvernement des États-Unis a déposé une requête contre le Brésil, ce jeudi 1er février à Genève, devant l'organe de règlement des conflits de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), lui demandant de juger de la conformité de la loi brésilienne sur la propriété intellectuelle avec les accords internationaux sur les brevets.

En 1994, au nom des « droits de l'homme des patients », un laboratoire pharmaceutique public de l'État de Pernambouc, le Lafepe, avait décidé de copier l'AZT, dont l'anglais Glaxo Wellcome détient le monopole, pour soigner une population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les industries pharmaceutiques, américaines en tête, avaient réagi à ce « piratage généralisé » en exigeant l'adoption d'une loi sur les brevets, sous peine de geler leurs investissements dans ce pays.

S'appuyant sur une clause prévue par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prévoyant le cas d'urgence sanitaire, le Brésil vota une loi compatible avec cette disposition, tout en reconnaissant les accords internationaux sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). La loi brésilienne sur la propriété intellectuelle spécifie, en effet, que les détenteurs de brevets devront produire leurs médicaments au Brésil au maximum trois ans après leur introduction sur le marché. Sans production locale, le fabricant sera alors tenu de fournir sa formule et d'en permettre la fabrication moyennant royalties, sauf si le propriétaire du brevet peut prouver que la production locale est impossible.

Actuellement, plus de 90.000 personnes peuvent bénéficier gratuitement de traitements contre le VIH au Brésil et le taux de mortalité dû au sida a été réduit de 50 %, rappelle Médecins Sans Frontières (MSF). La production de médicaments génériques a permis d'économiser, entre 1997 et 1999, l'équivalent de 422 millions de dollars d'hospitalisation et de soins médicaux, disponibles pour l'économie réelle. Au Brésil, les médicaments utilisés dans le traitement du sida sont en moyenne cinq fois moins chers que dans le reste du monde. Grâce au travail coopératif entre les médecins présents sur le terrain et les laboratoires pharmaceutiques publics, des améliorations ont pu être réalisées dans les thérapies.

L'Organisation Mondiale de la Santé a reçu un mandat pour appliquer la clause sanitaire en aidant les pays à fabriquer des antiprotéases, afin d'offrir des combinaisons de traitement plus efficaces. Les Brésiliens, de leur côté, ont annoncé qu'ils ne fonctionnaient qu'à 20 % de leur capacité de production pharmaceutique. La requête des États-Unis auprès de l'OMC vise donc à empêcher l'application des clauses d'urgence sanitaire au risque de provoquer un crime contre l'humanité. Si l'organe de règlement des conflits de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) devait agréer la requête des États-Unis, les décisions prises dans des organismes internationaux comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pourraient devenir illégales.

Rappelons qu'en 1997 une situation similaire s'était présentée en Afrique du Sud. Le gouvernement d'Afrique du Sud avait décider de procéder à la fabrication locale de médicaments pour lutter contre le sida (des génériques) en accord avec ses propres lois et dans le respect des accords Trips. L'un des premiers médicaments produit fut le Taxol, sous licence de Bristol-Myers Squibb (mais « inventé » par des laboratoires publics, donc aux frais des contribuables américains). Immédiatement, le Congrès des États-Unis avait réagi en coupant toute aide financière à l'Afrique du Sud, pendant que le secrétaire au Commerce « mit tous les moyens en oeuvre pour faire capituler le gouvernement sud-africain », d'après les termes d'un rapport au Congrès.

Nous voyons ici, une fois de plus, où conduit cette logique de « privatisation » de pans entiers de savoirs au seul profit de quelques groupes de pressions ou entreprises multinationales. C'est cette même logique qui aujourd'hui prévaut en matière de génome humain, de recherches agro-alimentaires (avec les OGM), de logiciels ou de supports numériques, et qui conduit à une multiplication des « brevets » concédant à quelques-uns des droits exclusifs d'exploitation commerciale sur des connaissances qui sont le patrimoine commun et collectif de l'humanité.

La plainte des États-Unis contre le Brésil s'inscrit dans une stratégie globale, visant à généraliser la brevetabilité dans tous les domaines, y compris pour des sujets relevant du vivant ou de la pensée. En ce qui concerne l'informatique, les accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et qui ont pour but d'intégrer les droits de propriété intellectuelle dans le système GATT/OMC protègent, pour le moment, les programmes informatiques par le régime du droit d'auteur et non par des brevets, contrairement aux États-Unis et au Japon où le brevetage des logiciels est légal.

Tout comme les brevets sur les médicaments, les brevets sur les algorithmes permettent à une minorité de s'approprier le patrimoine de l'Humanité. Le brevet permet de restreindre l'utilisation d'une innovation pendant vingt ans. Or, dans le cas des programmes d'ordinateurs, les brevets résultent le plus souvent de la découverte ou de la simple application d'une propriété mathématique ou d'un algorithme, qui fait partie du patrimoine de l'humanité. La plupart du temps, les découvertes effectuées par un programmeur ne sont que l'adaptation d'idées déjà existantes à un problème bien défini.

Le 29 novembre dernier, s'achevait à Munich la Conférence pour la révision de la Convention sur le Brevet Européen (CEB) dont l'un des enjeux était notamment de discuter de la mise en place ou non de brevets sur les algorithmes (alors que ceux-ci ne sont que l'expression d'un cheminement intellectuel), principalement pour légitimer les pratiques illégales de l'Office Européen des Brevets qui, avant même que cela soit légalement possible, a déjà accepté le dépôt de 30.000 brevets sur les techniques logicielles ; de la même manière que furent brevetés des techniques et connaissances sur les embryons, le cancer du sein, de la prostate, ainsi que sur le génome humain.

L'Association pour la promotion et la recherche en informatique libre (APRIL), entend protester contre l'ensemble des mesures qui favorisent « l'appropriation intellectuelle » des savoirs par quelques groupes privés et entreprises multinationale et la soumission des gouvernements aux pressions de tels intérêts.

Consciente que le brevetage de médicaments a des implications bien plus meurtrières que les « brevets de logiciels », l'APRIL se joint à l'appel, lancé par 120 organisations non gouvernementales brésiliennes, pour défendre le programme public de lutte contre le sida.

L'APRIL appelle les dirigeants des principaux organismes internationaux chargés du développement et de la santé (ONUSIDA, OMS, UNICEF, PNUD) à prendre position en faveur de la protection de la loi brésilienne sur les brevets.

L'APRIL invite toutes les acteurs du logiciel libre (entreprises et associations) qui ont combattu les tentatives de légalisation des brevets logiciels en Europe, à prendre position en faveur de la loi brésilienne sur les brevets conformément aux accords ADPIC sur la propriété intellectuelle qui autorise la production, pour cause d'urgence sanitaire notamment, de médicaments normalement protégés par un brevet, sans l'accord du propriétaire du brevet en cas de mauvaise volonté de celui-ci.

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Références

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