apps.education.fr, les services libres mis en place par l'Éducation nationale - Décryptualité du 4 mai 2020

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Titre : Décryptualité du 4 mai 2020 - apps.education.fr, les services libres mis en place par l'Éducation nationale
Intervenants : Christian - Manu - Luc
Lieu : April - Studio d'enregistrement
Date : 4 mai 2020
Durée : 13 min 30
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Revue de presse pour la semaine 18 de l'année 2020
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : - Licence Creative Commons BY-NC
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Pour combler ses lacunes en matières d'outils d'enseignement à distance, le ministère de l'Éducation nationale mise enfin sur le logiciel libre et met à disposition une série de services libres à destination des établissements.

Transcription

Voix off de Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 18. Salut Manu.

Manu : Salut Christian.

Christian : Salut Luc.

Luc : Nous retrouvons Christian qu’on n’avait pas eu depuis très longtemps, qui va nous parler un petit peu de ce qui se passe dans l’éducation. Avant ça on se lance dans la revue de presse, relativement légère.
Numerama, «Le confinement pousse l'Éducation nationale à regarder vers le logiciel libre », un article de Julien Lausson.

Manu : Dont on va parler juste après.

Luc : Ce sera notre sujet principal.

Reseaux-Telecoms.net, « Comment valoriser les services de logiciels libres basés sur le cloud », un article de David Linthicum.

Manu : Un vieux sujet, le cloud, l’informatique « nuagique » ou en nuage. Effectivement, le logiciel libre a sa place là-dedans, il faut le mettre en avant et ce n’est jamais assez mis en avant, mais, pour le coup, il y a des articles, il y a des entreprises qui bossent là-dessus.

Luc : LeMagIT, « Les nouvelles attaques contre le logiciel libre », un article de Thierry Carrez.

Manu : C’est un article un peu vague, malheureusement. Ce qui se passe exactement quand il parle d’attaques aurait peut-être mérité d’être mis un peu plus en avant. C’est une tribune d’un gars qui bosse pour l’industrie, pour une entreprise.

Luc : Il parle notamment de licence restrictive.

Manu : Oui et du fait qu’il y a des gens qui bidouillent en utilisant du logiciel libre, mais en l’enfermant sous d’autres formes, notamment en faisant en sorte qu’il ne soit pas utilisable, c’est assez simple, mais finaleemnt ça reste techniquement du logiciel libre et c’est bien ce qu’il dit, la lettre et l’esprit.

Luc : The Conversation, « Les fab labs apportent des solutions concrètes et locales à la crise du Covid-19 », un article de Kevin Lhoste.

Manu : Allez jeter un œil parce que c’est toujours pas mal, ça parle de matériel libre, d’innovation matérielle.

Luc : Il y a au moins un article là-dessus depuis le début de la crise.

Manu : En gros. Oui, on est en plein dedans. Donc là les fab labs, les laboratoires fabuleux, eh bien oui, on est dedans, ça explose.

Luc : NotreTemps.com, « Virus : organisations de défense des droits et avocats alertent sur le traçage numérique », un article de la rédaction.

Manu : Le traçage numérique dans le contexte du covid, effectivement on peut tracer, on peut envisager de tracer tous les citoyens pour voir qui est malade, qui est en contact avec qui, ça lève quand même des gros problèmes de liberté. Là, il y a des gens qui montent au créneau sur le sujet, sachant que la France est plus ou moins mal barrée avec son projet de StopCovid centralisé, on ne sait pas où ça va.

Luc : Très bien.
Christian, tu es venu à nous en tant qu’administrateur de l’April, tu participais il y a de nombreux mois maintenant. On est contents de te récupérer. Tu vas nous parler de ce sujet de logiciels libres, de services libres et d’éducation, puisque tu as suivi ça de relativement près.

Christian : Absolument. Je suis très content d’être parmi vous, surtout pour une très belle nouvelle. Nous sommes en période de confinement, c‘est assez difficile pour tout le monde. D’habitude aussi les nouvelles du Libre ne sont pas toujours drôles avec les GAFAM qui nous embêtent, qui embêtent les gens et là, pour une fois, on a une super nouvelle : le ministère de l’Éducation a mis en place une plateforme de services numériques libres pour les enseignants et les élèves. C’est fantastique !

Manu : C’est étonnant ! Ça fait quand même quelques semaines que l’Éducation nationale est à fond et qu’ils ont déjà mis en place plein de plateformes pour les profs et les élèves ! Voyons ! Christian !

Christian : Ils n’ont pas mise en place des choses pour les élèves et les enseignants, ils ont dit qu’il y avait déjà des choses en place et c’est vrai. Il y a le CNED qui est le Centre national d’enseignement à distance où il y a des moyens informatiques de salles de classe, de formation, etc. Il y a ce qu’on appelle les ENT, les Espaces numériques de travail dans les écoles. Il y a d’autres moyens, il y a aussi des libristes, des enseignants libristes qui mettaient en place des moyens partagés dans les écoles, mais globalement il faut bien reconnaître qu’au début du confinement tout ça s’est écroulé, ça n’a pas tenu la charge malgré ce qu’a pu dire le ministère de l’Éducation nationale. Ça n’a pas tenu la charge et beaucoup d’enseignants ont été mis sur le côté, beaucoup d’élèves aussi ont été mis sur le côté.

Luc : Les ENT étaient réputés pour ne pas marcher avant la crise quand même, ce sont des choses qu’on avait entendu dire, c’est que même sans charge, ça ne marchait pas du tout en fait !

Christian : Il y avait des dysfonctionnements avant et ce qu’on a pu constater c’est qu’il y a eu d’énormes dysfonctionnements après. Malheureusement ! On aurait bien voulu que ça tienne la charge, tant pis, le but du jeu c’est que ça fonctionne, mais ça ne fonctionnait pas !

Manu : Il y a combien de personnes qui se sont connectées du jour au lendemain ?

Christian : Il faut aussi se rendre compte de la dimension de la problématique : c’est 12 800 000 élèves et ce sont 870 000 enseignants ; c’est une problématique phénoménale ! Mais bon ! On ne parle pas de n’importe qui, là on parle du ministère de l’Éducation nationale, donc un ministère qui a beaucoup de moyens et qui, normalement, doit pouvoir fournir des solutions ! C’est sa mission ! Et ce n’est pas sa mission depuis le début du confinement, c’est quand même sa mission depuis un certain temps !

Manu : Mais la problématique qui arrive est toute nouvelle et si ça ne marche pas les profs, les élèves ont bien trouvé d’autres solutions, Fortnite, Animal Crossing. Ils se sont réunis ailleurs, ils ont fait quelque chose.

Luc : Oui, sur des tas de services proprios. Manu, tu trolles avec les jeux, mais il y a Discord qui est un service de discussion utilisé notamment par les joueurs, et puis il y a les infâmes GAFAM et tout ça, évidemment, a été utilisé. Je me souviens que le CNED avait dit : « Hop, hop, hop, c’est bon on s’est mis à niveau. » Donc moi j’étais resté sur l’idée que ça marchait !

Christian : On a eu beaucoup de retours, de témoignages, pour nous dire que non, ça ne marchait pas. Bien sûr, devant ce niveau d’affluence, il a bien fallu aussi leur laisser un peu de temps pour réagir, il n’y a pas de souci, mais, malgré tout, il y a encore des problèmes.

Manu : En plus de ça j’ai cru entendre que comme ça ne marchait pas directement sur l’Éducation nationale, il y a des bons petits gars associatifs qui étaient là. Heureusement !

Christian : Oui. On a noté plein de dysfonctionnements. On a noté par exemple cette vague massive vers les GAFAM qui se sont régalés « chouette ! Des nouveaux gens qu’on va pouvoir exploiter ! Formidable ! »

Manu : En plus !

Christian : Donc ça c’était un dysfonctionnement. Un autre dysfonctionnement : il ne faut pas oublier que les services que proposent les GAFAM sont des services à des entreprises pour exploiter les données personnelles.

Luc : Du coup, ça me semble quand même important de le préciser, parce que tu peux très bien dire « les GAFAM, OK, mais la situation est exceptionnelle, ils ont des trucs qui marchent, donc pourquoi ne pas y aller ? » C’est une réflexion simple.

Christian : Oui, mais non, ça ne marche pas aussi bien qu’on voudrait, déjà, parce qu’il y a des bugs. Par exemple Zoom avait une faille de sécurité qui servait à propager des virus. Ça exploite les données personnelles, la vie privée, les communications des gens sont enregistrées. Même le FBI a dénoncé l’usage de Zoom, c’est pour vous dire ! Quand le FBI s’y met, c’est que franchement il y a quelque chose !
Le fond c’est que c’est une relation inéquitable, c’est-à-dire qu’ils vous vendent un service, ils ne vous disent pas ce qu’ils vont faire derrière, comment ils vous exploitent, donc ce n’est pas équitable, ce n’est pas acceptable.

Manu : La plupart des profs se rendent compte de cela maintenant, en tout cas voient bien qu’il y a un souci à passer par ces entreprises.

Luc : Je ne sais pas si c’est la plupart des profs, mais effectivement même d’un point légal je pense que c’est très compliqué dans des écoles où maintenant, pour publier la moindre photo d’un gamin, il faut que les parents signent un formulaire avec leur propre sang, de dire pour faire de l‘éducation à distance on va forcer tous les gamins à signer chez Google, Amazon, Facebook ou je ne sais où, livrer leurs données, etc., alors qu’ils sont mineurs et tout ça. Je pense qu’il y a de quoi avoir des sueurs froides d’un point de vue légal, quand même.

Christian : Effectivement. Ce qu’il faut savoir c’est que c’est une opportunité pour faire prendre conscience aux enseignants qu’il y a des outils qui ne sont pas possibles dans leur métier. Il faut rappeler aussi que légalement, par exemple dans les collèges, c’est le responsable de l’établissement qui est responsable des outils utilisés par les enseignants et il y a beaucoup de produits des GAFAM qui ne sont pas compatibles avec le fait que ça doit un directeur d’établissement scolaire qui puisse signer. Ce n’est pas prévu. Donc ce genre d’outils n’est pas compatible avec la pratique des enseignants. Du coup, il y a eu plein de dysfonctionnements avec une vague massive de gens qui ont été vers les GAFAM et il y a des gens qui sont allés vers des acteurs alternatifs, associatifs, comme Framasoft1. Ils ont même été encouragés par certains membres du ministère de l’Éducation à aller chez Framasoft : « Ça ne marche pas chez nous, allez là-bas. Nous on n’est pas capables de faire notre mission, allez les voir, eux le font à notre place, pourquoi on s’embêterait. » En fait Framasoft a dit non ! Ils ont été catégoriques, ils ont dit : « Ça nous fait mal de vous dire non, ne venez pas chez nous », mais ce n’est pas leur mission, ce n’est pas leur objectif, ce n’est pas leur raison d’être.

Luc : C’est aussi qu’ils n’ont pas les moyens. On parle de millions d’utilisateurs et Framasoft reste une initiative associative destinée à démontrer que c’est faisable, mais n’a pas les épaules pour voir arriver une vague aussi grosse.

Christian : Et ils considèrent qu’ils ne veulent pas d’argent. Si jamais le ministère voulait leur donner de l’argent ils n’en voudraient pas parce qu’ils estiment que ce n’est pas leur mission, ce n’est pas leur rôle de faire ça. Il y a des gens très compétents au sein du ministère de l’Éducation, et c’est vrai, du coup ils ont dit non.

Luc : Au début vous citiez les chatons en disant que les chatons les avaient accueillis, donc vous m’avez menti ! C’est ça ?

Christian : Les chatons se sont sentis obligés, mais pas que pour le monde de l’Éducation nationale, ils se sont interrogés. On va rappeler ce qu’est le CHATONS2.

Manu : Oui, c’est bien, c’est pas mal.

Christian : Le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. C’est un regroupement d’une soixantaine d’hébergeurs de services numériques libres en ligne. Le Collectif s’est bien sûr posé la question de savoir ce qu’il pouvait faire. Donc il s’est lancé dans la mise en place d’une page3 web, entraide.chatons.org, qui permet d’accéder à des services numériques en ligne et de les répartir sur l’ensemble des membres pour absorber la charge. Parce quand on a vu que chez Framasoft ils étaient submergés, on s’est dit « hou là, là, il faut qu’on fasse quelque chose ! On ne peut pas dire aux gens d’aller sur les chatons. » Donc on a une belle page, franchement elle est magnifique !
Il y a eu un deuxième axe de travail qui a été de dire on va faire une lettre ouverte4 au ministère de l’Éducation nationale et on va leur dire « il y a plein de trucs qui ne marchent pas, ça serait bien que vous fassiez votre boulot et que vous le fassiez bien. On vous encourage à le faire, mais, s’il vous plaît, faites quelque chose ! » Ça été signé par quelques membres du Collectif, mais au moins le message a été passé de ce côté-là et le Collectif accueille tout le monde, bien sûr, mais aussi encourage le ministère de l’Éducation nationale à faire ce qu’il faut.

Luc : Du coup ils ont été entendus !

Christian : Nous espérons que ça a aidé à faire passer le message. C’est le rôle de chacun de s’exprimer, de communiquer, d’encourager. On a eu la magnifique surprise de voir qu’une plateforme5, apps.education.fr, a été ouverte et propose donc six services numériques libres majeurs en ligne. Six, on a l’impression que ce n’est pas beaucoup, mais en fait ce sont six produits vraiment bien choisis, très pertinents et tout à fait adaptés aux besoins des enseignants et des élèves.

Luc : Des logiciels libres mis en place par l’Éducation nationale pour les profs, donc avec une infrastructure suffisamment solide pour servir beaucoup de monde je suppose.

Christian : Tout à fait. Il faut savoir qu’à l’origine c’était un projet qui était déjà en cours mais qui devait être mis en ligne expérimentalement pour l’année prochaine. Donc oui, au sein du ministère de l’Éducation il y a des gens qui essaient de construire des solutions et de faire ça bien, notamment avec du logiciel libre, qui travaillent, qui ont des projets, des plannings. Du coup, là ils se sont retrouvés confrontés à l’urgence sanitaire et à se demander ce qu’ils pouvaient faire. Ils ont essayé de monter la plateforme tout de suite pour la mettre en ligne. Il se trouve pour que pour y arriver ils ont utilisé des centres de serveurs d’OVH et de Scaleway notamment. Du coup ils ont monté une énorme plateforme avec des centaines de serveurs pour pouvoir proposer ces services à l’ensemble des académies du ministère de l’Éducation nationale.

Luc : La mise en place de ces services est effectivement une très bonne nouvelle, comme tu le disais au début, et ça tranche pas mal avec l’accord entre le ministère et Microsoft qu’on avait conspué ici il y a quelque temps déjà.

Christian : Et là, on constate que cet accord n’a servi à rien pendant la crise. Pendant l’urgence sanitaire ils n’ont servi à rien. Donc, une fois de plus, n’attendons rien des GAFAM.

Luc : En tout cas ce que je trouve intéressant c’est que l’Éducation nationale, comme toute grosse structure, n’est pas un monolithe. Il y a des gens avec des sensibilités différentes. Certains roulent pour Microsoft et d’autres ont plutôt eu le vent en poupe. On voit que quand l’heure est grave, eh bien le Libre est là. Ça démontre aussi que le Libre avance grâce à tous les gens qui sont sur le terrain.

Manu : Les pénibles !

Luc : Les pénibles qui disent « il y a du logiciel libre, qui disent on peut faire ceci cela », qui se mobilisent, qui se bougent les fesses, parce que je suppose que pour mettre ça en place en quelques semaines, en quoi ? une semaine, deux semaines, ça a dû être beaucoup de travail, ils n’ont pas dû beaucoup dormir. Donc un grand bravo à eux. Un grand bravo à tous les gens qui poussent le Libre dans leur milieu. Je pense qu’un certain nombre d’entre eux doit se sentir un peu isolé, mais je pense que c’est le petit travail de fourmi qui fait toute la différence.

Manu : Et qui là se voit parce qu’en ce moment où tout le monde est sur Internet, tout le monde est sur son ordinateur, sa tablette, son téléphone, passer par des outils en lesquels on peut avoir un peu plus confiance que dans ces fameux GAFAM qui, clairement, nous utilisent, on est leur bétail, il n’y a pas de doute là-dessus, là on peut avoir des briques qui sont à notre service, qu’on peut utiliser, trifouiller, bidouiller, jeter, réinstaller. On peut tester des alternatives, c’est toujours bien, et on en a beaucoup parlé ces dernières semaines. En fait, c’est même brillant comme moment pour l’informatique libre et tout ce qui est libre en général.

Christian : Et pour le ministère, parce que c’est la preuve que c’est faisable, que ça fonctionne et avec un niveau de dimensionnement impressionnant.

Luc : Très bien. Christian, merci beaucoup pour toutes ces explications. On espère te revoir bientôt dans le Décryptualité.

Christian : A bientôt.

Manu : Salut.

Luc : Salut.