56Kast se renseigne sur la loi renseignement

Nitot, Talib, Gévaudan

Titre : Le 56Kast #53 se renseigne sur la loi renseignement
Intervenants : Tristan Nitot - Christopher Talib - Camille Gévaudan
Date : mai 2015
Durée : 34 min 28
Média : ici ou ici
Licence de la transcription : Verbatim
NB : transcription réalisée par nos soins.
Les positions exprimées sont celles des intervenants et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Description

Que sont les «boîtes noires» qui détecteront sur Internet les «comportements suspects» des citoyens ? Qui sera surveillé ? Pourquoi le projet de loi est-il critiqué ?

Transcription

Tristan : Bienvenue dans le 56Kast numéro 53 spécial renseignement. Ça fait un bout de temps qu’on n’était pas là quand même !

Camille : Ouais ! Tu le fais super bien ! En fait, on était là pendant tellement pas longtemps, attends, on n’était pas là pendant tellement longtemps, c’est ça ?

Tristan : On n’était pas là. Oui.

Camille : Que Tristan a décidé de prendre les rennes pour qu’on recommence sur de meilleures bases.

Tristan : J’ai viré Erwan, direct ! Et pourquoi on n’était pas là ?

Camille : Pour dire la vérité, on ne savait pas qu’on ne serait pas là si longtemps, sinon on vous aurait prévenus. C’est qu’à Libé, en fait, Erwan et moi on a changé de service. Avant, on appartenait à un service qui s’appelait « écran ». Maintenant on appartient au service « culture », ce qui a fait du changement dans nos emplois du temps, dans notre organisation au quotidien. Et on s’est retrouvés avec vachement moins de temps pour préparer les podcasts et on ne l’a pas vu venir. Et du coup on a dit : « Attendez, on annule juste demain, demain on n’aura pas le temps, mais on recommence la semaine prochaine. » Et à force d’annuler de semaine en semaine, on a fait une pause d’un mois et demi et on n’avait pas prévu du tout et on est désolés. Je n’ai pas pris ma capuche avec le loup, mais franchement, je le pense très fort.

Tristan : Ou le bonnet d’âne !

Camille : Non c’est le loup qui sert d’excuse ici.

Tristan : Bon d’accord. Moi je suis un peu nouveau ici.

Camille : En tout cas, pour se rattraper, on va faire une spéciale renseignement parce que, du coup, on a tout loupé sur le projet de loi.

Tristan : Ouais ! Enfin toi, tu as tout loupé, mais on était légèrement au front !

Camille : OK. L’émission et moi, on a tout loupé. Ah oui, et puis Erwan est en vacances, il s’excuse, mais il reviendra dès que possible.

Tristan : De quoi on ne parle pas aujourd’hui ?

Camille : On a tout loupé avec le renseignement, mais vous allez tout nous expliquer et on va faire un super debriefing avec vous, Christopher Talib de La Quadrature du Net1.

Christophe : Salut !

Camille : Que je suis très heureuse d’accueillir pour la première fois. Et Tristan Nitot de Cozy Cloud2 et auteur d’un super livre sur la surveillance du Net [Surveillance:// ] qui est bientôt à paraître.

Tristan : Il y a marqué que je suis auteur visionnaire. Tu n’as pas osé le dire du coup, c’est bien !

Camille : Je croyais que tu trouvais que ça faisait trop. Donc Tristan Nitot, auteur visionnaire d’un futur livre sur la surveillance de masse.

Tristan : Mais c’est trop. Voilà !

Camille : Comme je l’avais marqué.

Tristan : Voilà ! Exactement !

Camille : En attendant de quoi on ne va pas parler, Tristan ?

Tristan : Eh bien l’application de France Musique a été dé-publiée par Apple pour cause de contenu adulte. C’était peut-être la faute à l’émission Dans l’air du soir du 2 mars dédiée à l’érotisme et illustrée par un tableau d’Édouard Manet représentant, oh mon dieu ! Non ! Une femme nue. La radio ce n’est plus ce que c’était !

[Rires]

Camille : Oui. Enfin c’est potentiellement à cause d’une image, sur l’application, alors que c’est de la radio ! Ils sont fous ces gens ! Après neuf ans d’existence et de gros ennuis avec la justice Grooveshark3 — non ne pleurez pas — vient de signer un accord à l’amiable avec les majors du disque et de fermer ses portes définitivement.

Tristan : C’est chinois, c’est moche et ça cartonne sur l’App Store, c’est Myidol, une application pour iPhone, permettant de se créer un avatar en 3D à partir d’une photographie. Une fois son visage modélisé en relief, on peut se choisir un accoutrement, genre costume de Superman, et générer une petite vidéo où l’avatar se déhanche suivant des mouvements préenregistrés. Ça donnerait presque envie d’avoir un iPhone !

Camille : Oui ! Presque ! Je ne sais pas pourquoi j’ai mis ça, je ne sais pas si c’était le truc le plus important qui s’est passé pendant qu’on n’était pas là, mais il paraît que ça a vraiment cartonné, donc il fallait le dire. Surtout que le truc était en chinois et que les gens le téléchargeaient quand même. Il y avait une sorte de tutoriel traduit en anglais. Enfin bon, bref ! Color, une société française spécialisée dans la réalité virtuelle et la prise de vue à 360 degrés, a été rachetée par GoPro.

Tristan : Une montre connectée a été commercialisée.

Camille : Ah ouais ?

Tristan : Je ne sais pas, c’est tout ce qu’il y a marqué, moi je m’arrête là. Je pense que c’est pomontre, ça s’appelle.

Camille : Ah pomontre !

Tristan : Ça remplace un truc très important.

Camille : Fin avril, Google a commencé à tester ses propres forfaits pour téléphone mobile aux États-Unis. Alors ça ressemble à quoi un forfait Google ? Ça ressemble à « on peut passer des appels en Wi-fi, sans coupure quand on passe d’un réseau Wi-fi à l’autre. » Je n’ai pas trop compris techniquement, mais bon, si c’est bien, c’est bien ! Par contre, niveau tarif, c’est 20 dollars par mois pour les appels et les SMS illimités et c’est tout ! Ah, ah ! Il n’y a pas d’Internet pour les 20 euros par mois, enfin les 20 dollars.

[Rires]

Tristan : Heureusement qu’il y a le Wi-fi !

Camille : Oui. Voilà ! En échange, tu passes tes appels en Wi-fi, donc tu es super content.

Tristan : Bon ! Alors à partir du 27 mai les projets français pourront être financés sur Kickstarter, chers acteurs du financement participatif made in France, Ulule, on dit lule ou lulé ?

Camille : Ulule.

Tristan : Bon d’accord ! KissKissBankBank, MymajorCompany, bon courage ! Soyez forts ! Résistez à l’envahisseur !

Camille : Et la traditionnelle non news dont on n’a lu que le titré et on n’a rien compris : « Imsi-cacthers, des valises aux grandes oreilles ». Alors ça, j’avoue, c’était pour introduire la suite.

Tristan : On va t’expliquer !

Camille : C’est le titre d’un article de Libe4 sur la loi renseignement. Donc c’est bien la preuve que je n’ai rien suivi parce que je n’ai même pas compris les titres de mon propre journal. Vous allez tout m’expliquer, heureusement, parce que vous êtes des spécialistes. Alors l’actu.

ACTU

Camille : Qu’est-ce qui s’est passé ?

Tristan : Ce n’est pas moi madame ! Je vous jure !

Camille : La dernière fois qu’on a parlé renseignement, en fait, dans le 56Kast, on disait qu’après les attentats de Charlie Hebdo il y avait une sorte de velléité gouvernementale de sortir un truc antiterrorisme qui se passerait sur Internet, parce que si on détectait mieux les terroristes sur Internet, eh bien peut-être que ça ne se serait pas passé. Alors que, franchement, ce n’était peut-être pas la faute à Internet parce qu’on a déjà des moyens, non ? Mais ils ont quand même fait une loi donnant plus de moyens de surveillance des gens sur Internet, pour choper les terroristes.

Tristan : C’est très compliqué. Après c’est de la communication politique. C'est-à-dire qu'en fait ils avaient un projet de loi dans les cartons, sur lequel ils bossaient et puis là, si tu veux, Charlie Hebdo est arrivé, ça a été une opportunité extraordinaire pour dire « vous voyez on a vraiment besoin de moderniser la loi sur le renseignement, et donc il faut y aller. » En fait ils ont, du coup, présenté ça, parce que l’actualité faisant, ils ont proposé de vendre ça comme une loi antiterrorisme, mais de fait, c’est une loi pour encadrer les services de renseignement. Et alors, quitte à donner dans la faute de goût, il y a des choses qui sont peut-être pas mal. Je vais expliquer pourquoi.

Camille : Qui sont pas mal ! Dans la loi ?

Tristan : Disons que la démarche, on peut probablement dire que c’était une démarche nécessaire, parce que la précédente loi datait de 91 et elle permettait de faire des écoutes de renseignement sur des lignes fixes. Ça c’était 91, c’était un autre millénaire, tu vois ? Maintenant, avec Internet et les téléphones mobiles, si tu peux juste surveiller les lignes fixes, et tu es sûr de ne rien choper du tout, quoi ! Donc il fallait moderniser la loi pour inclure les réseaux mobiles et Internet. Et c’est à peu près ça qui est bien et après, c’est parti en couilles !

Christopher : Une mini parenthèse. En fait, la loi renseignement a été annoncée en juillet passé et simplement, c’est un peu arrivé en même temps que Charlie Hebdo, mais peut-être que le fait qu’il y ait eu Charlie Hebdo c’est peut-être pour ça qu’ils l’ont passée en procédure accélérée. C’est-à-dire qu’il y a une lecture à l’Assemblée nationale puis une lecture au Sénat et quand il y a un temps, ça se fait assez vite. De manière générale le processus législatif est plutôt poussé, rapidement, alors qu’il faudrait peut-être avoir un débat un peu plus profond, un vrai débat de société entre les différentes manières de moderniser, justement, le renseignement, comme Tristan disait.

Tristan : En termes de communication politique c’est génial, parce que si tu passes en procédure accélérée tu votes tout de suite à l’Assemblée nationale et après tu passes tout de suite au Sénat et le débat n’a pas le temps de prendre, en fait.

Camille : Ça commençait à devenir intéressant. Il y avait des mouvements d’entreprises de technologie françaises rassemblées sous la bannière, « Ni pigeons ni espions »5. Là il y avait pas mal des signataires, des grands noms, quand même, des entreprises françaises.

Tristan : 935 la dernière fois que j’ai regardé.

Camille : Qui disaient que c’était non seulement inefficace d’un point de vue technique parce que ça se contourne très facilement — quand on n’a pas envie d’être surveillé, c’est extrêmement facile pour un internaute — et, qu’en plus, c’était mauvais pour la croissance parce qu’on ne ferait plus confiance aux entreprises françaises. C’était très mauvais. Effectivement, comme tu dis, ça n’a pas eu le temps de se développer que c’est déjà voté.

Tristan : Exactement. On a quand même eu 900 et quelques signataires. Donc ça prouve bien qu’il y avait vraiment un attrait, alors que 15 jours avant c’était silence radio. Quand j’ai vu les premiers articles du Figaro sortir, j’en ai parlé autour de moi, les gens ont fait : « Hein ? Quoi ? Bon ! Tu crois ! »

Christopher : Du tech, ce n’est pas important !

Camille : Alors il y a quoi dans cette loi ? Genre « les IMSI-catchers, des valises aux grandes oreilles », c’est quoi ?

Tristan : Un IMSI-catcher, c’est du matériel électronique et informatique ; c’est un PC, en gros, avec du matériel et une antenne. Et c’est une fausse antenne GSM. Donc tu la mets dans un coin, éventuellement il y a des modèles qui peuvent se porter en gilet, sous un pardessus mastic avec un chapeau, forcément et, du coup, tu peux te balader. [Rires]. C’est vrai que je dis des conneries, mais c’est sérieux ; vous pourriez faire un effort quand même !

Christopher : Un PC, porté, ce n’est pas mal.

Tristan : Et en fait, ça émet un signal façon antenne de téléphonie mobile et, du coup, les téléphones voient une antenne toute proche et s’y connectent. Et à ce moment-là on arrive à avoir des tas de données sur eux dont le numéro IMSI et le numéro IMEI, bon, ce sont des numéros de carte SIM et de téléphone et plus d’autres données éventuellement ; sur certains modèles on peut écouter des conversations.

Camille : C’est un aspirateur à données qui prend tout ce qu’il y a autour de lui.

Tristan : Voilà ! Parce que c’est une fausse antenne GSM et les téléphones mobiles qui sont à proximité s’y connectent et donc, ça permet d’identifier qui est dans le coin. C’est ça un IMSI-catcher.

Camille : D’accord. Donc là, le problème c’est que ça ne cible pas. Enfin, ce n’est pas du tout une histoire de cibler une personne qui est suspectée d’actes potentiellement terroristes. C’est que tu prends les informations sur tous les gens qui sont là.

Christopher : Tout à fait.

Tristan : Voilà. Et ça peut être énormément de données. Tu mets un IMSI-catcher à la gare du Nord qui a je ne sais pas combien de millions de visiteurs par jour et tu arrives à savoir si les gens reviennent tous les jours, quand est-ce qu’ils passent, etc., à recouper ; est-ce qu’ils se rencontrent.

Camille : Est-ce que, par exemple, ils chopent le contenu des communications des téléphones qui passent ou est-ce qu’ils n’ont que des métadonnées, justement, qui est passé par là, à quelle heure, et que ça leur suffit ?

Tristan : Je te répondrais bien, mais c’est secret Défense !

Camille : Ah merde !

Christopher : Il se peut qu’apparemment, par exemple si ton téléphone, quand il est connecté à un IMSI-catcher et que tu passes un coup de fil pendant qu’il est connecté, vu que les données passent via cette antenne, il est possible de récupérer les données.

Camille : Mais on ne le sait pas !

Christopher : Théoriquement. Mais ça dépend du modèle de téléphone, peut-être du modèle de l’IMSI, etc.

Camille : D’accord. La CNIL est d’accord pour qu’on chope comme ça toutes les données et qu’on voie après ce qu’on en fait.

Tristan : Tout le monde, à qui tu demandes, je veux dire, sauf si tu es vraiment très proche du gouvernement, tu es contre. C’est-à-dire que la CNIL, le Conseil national du numérique, l’AFDEL, le Syntec numérique, la commission à l’Assemblée nationale sur le numérique, enfin tout ce qui est lié aux droits de l’homme, etc., mais tout le monde est contre ; absolument tout le monde ! Si tu veux, il n’y a que messieurs Valls et Cazeneuve qui disent que c’est quand même vachement bien ; et Jean-Jacques Urvoas qui est le rapporteur de la loi. En gros, ils sont trois avec leurs sbires à dire que c’est bien et tout le monde, autour, dit : « Écoutez c’est n’importe quoi ! » Parce que les IMSI-catchers c’est juste un tout petit morceau du truc. À mon avis, le vrai grumeau dans la loi, le truc qui ne passe pas, c’est ce qu’ils ont appelé les boîtes noires très malencontreusement dans la conférence de presse, c’est-à-dire un système qui sert à surveiller des pans entiers de l’Internet français.

Camille : C’est-à-dire ?

Tristan : C’est 1984, si tu veux, mais version 2015.

Christopher : En gros, ils vont placer des dispositifs qui vont pouvoir filtrer tout ce qui passe sur Internet et en retirer des modèles de menace terroriste. Alors ils nous ont parlé beaucoup d’algorithmes et le but c’était justement de faire ça via un algorithme. C’est-à-dire c’est une machine, c’est un programme à qui un humain a dit de faire quelque chose, qui va regarder sur quels sites tu t’es connecté, à quelle heure, via quel protocole, qu’est-ce que tu es allé voir ici et là et, après, on va voir si toi tu es un terroriste ou pas, en fonction d’un certain type de facteurs et de raisons qui seraient considérées comme étant terroristes. Par exemple, te connecter à iDjihad qui pourrait être un site à caractère terroriste et tu pourrais, du coup, si tu te connectes à iDjihad et ensuite sur Facebook pour partager les super articles de iDjihad…

Camille : C’est l’algorithme qui voit que l’enchaînement des deux ce n’est pas très bon et, par exemple, il te met sur une liste de surveillance. C’est ça ?

Christopher : Voilà !

Camille : OK. Et ça se met à quel niveau ? Ce sont les fournisseurs d’accès qui collaborent à ça ?

Tristan : Tous les niveaux.

Camille : Ou c’est plus haut ?

Tristan : Ça peut être chez les hébergeurs, ça peut être chez les fournisseurs d’accès, et ça peut-être sur les grands sites genres Doctissimo, Dailymotion, etc.

Camille : Ils sont d’accord ?

Tristan : Ils n’ont plus le droit. Ils ont le droit de se taire. Maintenant c’est dans la loi.

Camille : OK. Ils sont obligés.

Christopher : Techniquement parlant, ça n’a pas été dit où ça se posait. On ne sait si ça va se poser dans le nœud du réseau, si ça va se poser aux sorties, aux entrées ; on ne sait pas.

Camille : Ça a l’air très flou tout ça.

Christopher : Très flou !

Tristan : À chaque fois que tu poses la question c’est : « Je ne peux pas vous dire, c’est secret Défense. »

Camille : Eh bien oui, bien sûr !

Tristan : Donc je leur ai demandé qu’est-ce que c’était un comportement suspect ? Ah ! Secret Défense. Moi j’ai été convoqué à Matignon pour qu’on me dise que je n’ai pas bien compris — pas en tant que membre du Conseil national du numérique où on avait fait, quand même, un communiqué de presse assassin — et deux heures et demie où on m’a expliqué « monsieur Nitot vous ne comprenez pas bien ! » J’ai dit : « Vous savez il ne faut pas faire de la surveillance de masse parce que c’est un état policier qu’on est en train de faire. » « Ah, mais pas du tout, mais vous êtes contre la France ; vous êtes pour le chiffrement ; vous êtes pour le terrorisme. »

Camille : Ça me parait un peu manichéen.

Tristan : « Terrorisme, non. Pour le chiffrement oui, là vous avez raison. Et non, je suis français, je donne de mon temps au Conseil national du numérique ce n’est pas parce que j’ai envie de faire un djihad dans le 15e arrondissement. » C’était juste atterrant comme conversation. Tu avais une vidéo ?

Camille : Oui. J’ai une vidéo à propos des comportements suspects. C’est la blogueuse Klaire fait Grr, vous devez la connaître.

Tristan : Excellent !

Camille : Voilà, qui a fait une petite vidéo parce qu’elle, elle est innocente, bien sûr elle n’a rien à se reprocher

Christopher : Comme tout le monde !

Camille : Oui, voilà. Sauf que…

Klaire : J’ai eu envie de chercher « que faire à manger ce soir », mais je me suis dit si je cherchais « que faire à manger ce soir » je risquais de tomber sur « qu’est-ce qu’on mange ce soir », un site qui me proposerait une recette selon ce que j’aurais dans mon frigo et que j’allais mettre « bière » ; qu’il me proposerait « gaufres à la bière de ma grand-mère » ; que ça me ferait penser à ma grand-mère que je n’aimais pas ; que je risquais de chercher « peut-on détester des membres de sa famille ? » Que j’allais tomber sur :

Voix off : Après avoir tué son père, il démembra celui-ci et répartit les membres dans plusieurs boîtes, dont une qu’il utilisa comme meuble télé.

Klaire : Que j’aurais envie de chercher « membre humain meuble télé » ; que je tomberais sur une vidéo des attentats de Boston.

Voix off : Il y avait du sang partout.

Klaire : Que je regarderais le page Wikipédia de l’attentat ; que je lirais « les bombes étaient placées dans des cocottes-minute d’environ six litres, dont l’une aurait été déclenchée par un minuteur de cuisine » ; que ça m’aurait rappelé d’acheter une cocotte-minute et un minuteur et que je risquais d’être repérée par le gouvernement pour comportement suspect. Alors je n’ai pas osé lancer ma recherche.

Camille : Ça paraît con dit comme ça, mais si c'est effectivement !

Tristan : On a d’autres exemples qui sont hypers révélateurs.

Camille : Oui ; il faut la regarder en entier. Ça s’appelle « Dans ton flux. Ma grand-mère, la crème fraîche et les RG », de Klaire donc.

Tristan : Qui fait Grr. La vidéo est vraiment superbe, effectivement il faut la regarder en entier. Et tu vois, imagine, tu entends parler de djihad à la radio et tu vas chercher « djihad » dans Wikipédia. Et après tu dis : « Tiens et si j’allais faire un week-end à Istanbul » et tu prends des billets pour la Turquie.

Camille : Et là tu es fiché.

Tristan : Comportement suspect ? Oui ! Oui ! Tu vois ! Voilà. C’est quoi un comportement ? Alors après tu te dis peut-être qu’il ne faut pas que je regarde djihad sur Wikipédia.

Camille : Oui, c’est ça.

Christopher : Et en fait, tu commences à t’autocensurer. C’est le danger. Et de manière générale, si on peut définir un comportement suspect, c’est qu’on peut définir une norme. Qu’est-ce qu’une norme ? Qu’est-ce qui va dire que ton historique internet est plus clair, enfin plus clean que les autres ? Qu’est-ce qui fait que, soudainement, toi, tes recherches ne sont pas cool ?

Camille : Oui. Ça instaure un climat, quoi !

Tristan : C’est exactement ce qui se passe en Chine. Si tu veux, en Chine, les gens s’autocensurent parce qu’ils savent qu’il y a des sujets qu’il ne faut pas aborder, parce que sinon tu vas avoir des emmerdes. On ne va peut-être pas être comme une grande démocratie chinoise en France ou alors, il faut qu’on en discute. Mais aujourd’hui, c’est la direction qu’on prend, sans avoir ce débat démocratique.

Camille : Un des aspects de la loi c’est qu’ils cherchent de plus en plus, aussi, des trucs qui se passent en temps réel sur les réseaux. C’est ça ?

Tristan : Oui. C’est exactement ça en fait. Ces algorithmes, concrètement, ce sont des ordinateurs qui sont posés quelque part sur Internet, qui vont surveiller toutes les visites sur un pan de l’Internet, mais on ne sait pas lequel, et qui vont détecter ces comportements suspects. Et je leur ai demandé, à Matignon, « c’est quoi les comportements suspects ? » « Ah je ne peux pas vous dire ! »

Camille : D’accord. Est-ce qu’il y a un genre de contrôle à priori ? Est-ce qu’ils demandent une autorisation avant de faire ça ?

Tristan : Je leur ai dit : « Mais là vous ne pouvez pas faire ça ! C’est antidémocratique. » « Mais attendez, nous avons une commission : la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »

Camille : La CN…

Tristan : CTR. CNCTR6 et, en fait, elle est vachement bien, avec des tas de gens compétents.

Camille : C’est nouveau ça ?

Tristan : Oui c’est nouveau.

Christopher : Ça remplacera la CNCIS.

Tristan : Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.

Camille : D’accord.

Tristan : Ça servait à la même chose, mais du temps des lignes fixes. Maintenant elle est remplacée par la CNCTR. Et donc elle est hyper équipée : il y a un ingénieur qui va contrôler l’algorithme. Mais le type ça doit être !

Camille : Sérieusement, il y a un ingénieur ?

Tristan : Il y a un ingénieur. Le mec doit être hyper bon en infrastructures télécoms, hyper bon en terrorisme, hyper bon en logiciels et en algorithmes. Voilà !

Christopher : En algorithmes. Ce qui est beaucoup.

Camille : En psychologie des internautes.

Tristan : Et il parait qu’ils l’ont déjà trouvé.

Christopher : Ah ouais ?

Tristan : Ouais. Ils m'ont dit ça à Matignon.

Camille : Super métier.

Christopher : Ouais.

Tristan : Monsieur, si vous écoutez, j’espère que vous êtes très bien payé parce que vous le méritez. [Rires].

Camille : Tu m'étonnes ! [Rires]. Et donc on la consulte comment ? Elle va vraiment servir à quelque chose la CNCTR ?

Tristan : Tu sais, Montesquieu expliquait que comme le pouvoir a tendance à corrompre, il faut un contre-pouvoir pour t’assurer que le mec au pouvoir ne fait pas des conneries.

Camille : Oui. Il faut toujours une police des polices.

Tristan : Donc il faut un contre-pouvoir. Et la CNCTR nous est présentée comme le contre-pouvoir et un contre-pouvoir, normalement, ça a des moyens d’action. Et là, concrètement, non ! C’est-à-dire qu’en cas d’urgence, quelqu’un désigné par le Premier ministre peut faire des choses sans avoir à demander à la CNCTR. Mais il faut qu’il demande après ! Et si la CNCTR ne répond pas c’est comme s’ils disaient oui. Voilà ! De toutes façons s’ils disent non c’est comme s’ils disaient oui ! Parce qu’on s’en fout !

Christopher : Parce que l’avis est consultatif, c’est-à-dire ce n’est pas un vrai pouvoir. Théoriquement parlant, peut-être dans les faits ils vont quand même faire attention, mais théoriquement parlant, à partir du moment où ton avis est consultatif eh bien tu t’en fiches. De la même manière quand ta mère te dit : « Tu ne sors pas ce soir », mais tu as 25 ans, donc tu t’en tapes, donc tu sors quand même ce soir.

Tristan : Ah oui. Maman, je comprends. À demain !

Camille : D’accord !

Christopher : Je rentre ce soir. Je ne fais pas de bruit en rentrant.

Camille : Tu peux leur présenter un projet de surveillance dans un cadre particulier. Ils te répondent : « C’est complètement scandaleux, ça ne va pas du tout, vous ne pouvez pas faire ça ! » Et tu réponds : « J’en prends bonne note, merci, au revoir ! » Et tu le fais quand même. Ou alors tu le fais quand même et après tu leur demandes : « Au fait, est-ce que j’avais le droit de faire ça ? » Ils te disent : « Ce n’était pas très bien. » Tu fais : « Bon, eh bien tant pis ! » C’est ça ?

Tristan : Désolé !

Christopher : Dans le cas de litiges, la CNCTR peut aussi saisir le Conseil d’État, mais, de manière générale, la personne qui décide si oui ou non au final, à la fin, c’est le Premier ministre. Ça fait beaucoup de pouvoirs pour une personne. Le Premier ministre a quand même beaucoup de pouvoirs, mais là ça fait vachement beaucoup de pouvoirs. C’est la personne qui va décider si oui ou non il prend en compte l’avis de la CNCTR ou pas.

Camille : Donc les renseignements demandent l’avis du Premier ministre.

Christopher : Qui demande l’avis à la CNCTR. Ensuite la CNCTR rendra un avis qui est consultatif et le Premier ministre prend note et en fonction de ça…

Tristan : Je vous remercie de votre commentaire, je vais faire comme j’ai envie !

Camille : D’accord. Et ça c’est la procédure normale ? Ce n’est pas une procédure d’urgence.

Christopher : La procédure d’urgence, en cas d’urgence absolue — il faut voir un peu comment on définit, mais apparemment il y a des raisons — le Premier ministre ou une personne déléguée décide directement et ensuite elle dit à la CNCTR : « Oui, mais on a eu une petite urgence, j’ai fait ça. »

Camille : OK ! Super. Bon ! Je propose qu’on fasse une pause à base de bande-annonce. On va regarder la bande-annonce d’Avengers.

Tristan : Un truc d'un peu plus léger alors.

Camille : Ouais. On va regarder la bande-annonce d’Avengers, avec des super héros qui vont sauver le monde et qui font le bien dans l’humanité. Ça va nous soulager un petit peu.

Christopher : C’est dans Avengers qu’il y a le centre d’Internet ?

Camille : Ah je ne sais pas. C’est quoi le centre d’Internet ?

Christopher : Il y a apparemment, je ne sais plus dans lequel, dans Avengers, je ne sais pas, il y a le centre d’Internet en Suède. C’est le centre d’Internet, ils attaquent le centre d’Internet.

Tristan : Il faut absolument que j’aille voir.

Camille : Ouais, parce qu’il y a beaucoup de serveurs, donc c’est central, c’est ça ? Du coup, tu me donnes vachement envie. Je n’ai pas du tout envie de voir ce film, mais là il y a quelque chose d’intéressant. Non, on va regarder une fausse bande-annonce d’Avengers. En fait, c’est un projet de deux super internautes Gaylor Gauvrit, je ne sais pas exactement si c’est Gauvrit ou Gauvrit[en prononçant le t final, NdT] et Claudine Devey, graphiste, qui ont habillé les affiches de films avec des citations d’articles de presse. Sauf qu’au lieu de garder ceux qui disent c’est lumineux, c’est jubilatoire.

Christopher : C’est solaire.

Camille : Voilà. C’est ça, solaire, on n’a jamais été autant émus, eh bien ils gardent les articles négatifs. Donc ça donne sur Cinquante nuances de grey — c’est vachement bien fait avec la bonne police, la même que le titre du film — « Pas de quoi fouetter un chat », ça rend vachement bien. Du coup tu as super envie de le voir. Ou alors Die Hard, il y avait marqué en dessous : « D’une laideur hallucinante ». Du coup leur blog est super drôle, c’est « On s’tape l’affiche », donc o, s, t, l, a point tumblr.com et ils ont aussi décidé de faire pareil avec la bande-annonce vidéo d’Avengers qui, du coup, devient Avengers l’Ère de l’Étron au lieu de L’Ère d’Ultron.

Voix off : Ça s’appelle le programme Ultron.
— J’en ai assez de voir des innocents payer pour nos erreurs.
— Ce n’est pour ça qu’on se bat ? Pour mettre fin à la guerre et rentrer chez nous ?
— Eh bien, c’est une méga défaite.

Camille : Voilà. C’était la vérité sur les films. [Rires]. Du coup, cette loi sur le renseignement, elle a été votée.

Christopher : Oui, le 5 mai.

Tristan : À l’Assemblée nationale.

Camille : À l’Assemblée nationale.

Tristan : Le soir où les boîtes noires ont été discutées, si tu veux, il y avait trente gus dans l’hémicycle ; les boîtes noires, donc le truc qui pose un problème, le truc qui fait de la surveillance en face.

Camille : C’est un peu technique. Et puis à la maison, ils avaient dit qu’ils mangeraient une pizza ce soir-là.

Tristan : 25 pour, 5 contre. Je propose qu’on fasse une statue aux 5 qui étaient contre parce qu’ils n’ont pas démérité. Ils en ont pris, mais plein la gueule !

Camille : Ce sont nos suspects habituels qui sont toujours là sur les lois sur le numérique ?

Tristan : À peu près.

Christopher : Il y en a auxquels on n'était pas habitués.

Tristan : Et réciproquement. Il y en a qu’on attendait…

Christopher : Et qu’on n’a pas vus.

Camille : Et qui n’étaient pas là !

Tristan : Monsieur Christian Paul, là vous avez merdé !

Camille : Au final, la loi à l’Assemblée nationale a été votée à 438 votes pour et 86 contre.

Tristan : Ouais.

Camille : Ce qui est quand même assez unanime par rapport au débat.

Tristan : Ouais, mais c’est mieux.

Christopher : C’est mieux qu’au départ. Au départ on avait, à peu près sûr, on avait une personne contre, avec nous, enfin les défenseurs des libertés, etc., contre la surveillance de masse. Après on s’était dit ça va être un peu dur avec un vote contre. Ça rappelle un peu la loi terrorisme. Du coup, on a travaillé avec La Quadrature du Net et plein d’autres assos pour faire monter le débat, pour faire monter la mayonnaise, et qu’on arrive à 86, ce n’est pas si mal ; de là où on partait, ce n’est pas mal.

Tristan : Juste pour te dire, en fait, il y a eu une saisine du Conseil constitutionnel pour essayer de faire amender la loi et, pour faire une saisine, il faut 60 députés qui signent. Eh bien ce n’était pas gagné de réunir 60 gus, 60 députés, qui vont signer pour saisir le Conseil constitutionnel et là, on les a eus.

Camille : Il n’y a pas eu une histoire que François Hollande a dit qu’il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel ?

Tristan : Oui. Donc il y a deux saisines : il y en a une de François Hollande qui fait « dites-moi que j’ai bon », et l’autre qui est « attendez il y a des problèmes sur tel et tel point » et donc le Conseil constitutionnel va devoir répondre point à point sur la saisine déposée.

Camille : D’accord. Donc il y en a une qui est très détaillée.

Christopher : En fait, le Conseil constitutionnel a refusé la saisine blanche de François Hollande. Il a dit qu’il devrait la motiver, parce que le boulot du Conseil constitutionnel n’est pas de vérifier si les députés font bien leur travail. C’est de vérifier la constitutionnalité des lois.

Camille : OK. Donc il va peut-être y avoir une étape suivante et il y a peut-être encore de l’espoir de ce côté-là ?

Tristan : Oui. Et puis il y a le Sénat. Il y a le Conseil constitutionnel.

Camille : Est-ce que le Sénat risque de voter autrement que l’Assemblée nationale ?

Tristan : Ce n’est pas gagné.

Tristan : Parce que là, on a quand même énormément de députés socialistes qui critiquaient. Quand on leur demande leur avis sur la loi, ils disent que franchement ce n’est pas terrible, il y a des trucs qui vont trop loin, ça ce n’était pas la peine, et puis, finalement, ils la votent quand même. J’ai une deuxième petite vidéo à ce moment-là. C’est la chanson de La Parisienne Libérée qui s’appelle Les socialistes résignés.

Journaliste d’iTélé : Un attentat a été déjoué de manière fortuite dimanche avec un homme qui projetait de s’attaquer à une église. Est-ce que le gouvernement a bien géré cette affaire ? Et est-ce qu’il n’y a pas, comme le disent certains responsables de droite, une volonté de dramatisation de la menace terroriste pour faire voter le projet de loi sur le renseignement ?

Benoît Hamon : Non. Le projet de loi sur le renseignement sera voté indépendamment de cela. Je ne voterai pas contre.

Journaliste d’iTélé : Donc vous vous abstiendrez.

Benoît Hamon : Non, non ! Je n’ai pas pris ma décision, mais je ne voterai pas contre.

Journaliste d’iTélé : Si vous ne votez pas contre ! Si vous ne votez pas pour !

Benoît Hamon : L’abstention ce n’est pas le plus important. Il y a un point qui m’avait gêné depuis le début, c’est le champ d’application de ce projet de loi, parce qu’il concerne un champ très large et pas, justement, seulement la lutte contre le terrorisme, y compris ce qui peut relever de violences publiques, ce qui peut relever de la protection d’intérêts économiques stratégiques ou scientifiques. Qui décide qu’un intérêt économique est stratégique ? Cette question-là qui avait été soulevée par le juge antiterroriste Marc Trévidic notamment, est un point qui suscite toujours chez moi de la réserve. Mais je ne m’opposerai pas à ce texte.

Journaliste d’iTélé : Néanmoins vous ne voterez pas contre, d’accord !

La Parisienne Libérée chante : Socialiste résigné. Oui, je sais, la surveillance, les écoutes et les boîtes noires, ce n’est pas génial quand j’y pense, mais j’ai besoin de m’asseoir. Oui je sais, je sais bien sûr, c’est un texte totalitaire, digne des pires dictatures. Qu’est-ce que je peux bien y faire ? Inutile de crier comme ça. Inutile de vous fatiguer. Inutile de voter pour moi. Je suis socialiste résigné. Socialiste résigné.

Camille : Cette chanson me met dans un état de tristesse indescriptible.

Christopher : Il faut voir aussi le bon côté des choses ; c’est comme ça qu’on survit ou qu’on est activiste. C’est qu’on a cassé la logique des partis. En général, il y a souvent des votes avec des votes de groupe et donc tout le groupe socialiste, tout le groupe UMP, vote comme un homme, comme le même homme. Sauf que là, non. Il y a eu vraiment, à part le groupe des radicaux de gauche qui a voté unanimement pour, à peu près tous les groupes ont voté pour et contre avec des valeurs différentes. Ce qui est assez fort en termes de cuisine interne à l’Assemblée ; c’est assez rare qu’il y ait autant de dissensions entre les gens du même groupe.

Camille : Juste un truc sur ce qu’il a dit.

Tristan : Entre ça et se pendre ! À la limite je préfère ton explication.

Camille : À un moment il dit que ce qui le gêne, mais il ne va quand même pas voter contre et il ne va pas s’abstenir non plus, mais ça le gêne quand même, c’est le fait que ça puisse cibler des gens qui présentent un danger pour les intérêts économiques de la France ou les intérêts scientifiques de la France.

Christopher : Ou la forme républicaine des institutions, aussi.

Camille : D’accord. Concrètement, quelqu’un qui représente une menace pour la forme républicaine des institutions ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Tristan : En gros, si tu étais sur le barrage de Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, ça y est. Tu es mûre quoi ! C’est clair !

Camille : OK ! Donc c’est un truc extrêmement large et qui, en plus, englobe dedans l’entourage des gens qui peuvent être surveillés pour comportement suspect ou pour menace aux intérêts.

Christopher : Les intermédiaires, volontaires ou involontaires.

Camille : C’est quoi ?

Christopher : C’est-à-dire que, par exemple, tu as un pote du quartier qui a des tendances un peu radicales, eh bien il se peut que comme tu es vachement pote avec lui, tu vas manger souvent chez lui, il se peut qu’on te mette sous surveillance puisque lui semble présenter une forme de menace.

Tristan : Comportement suspect.

Christopher : Voilà, un comportement suspect. Donc les conjoints, les voisins, ton copain, ta copine, etc.

Camille : OK. Donc vu le nombre de gens qui peuvent être surveillés pour comportement suspect lié soit au terrorisme, aux intérêts économiques, aux intérêts scientifiques, aux intérêts politiques, les institutions.

Tristan : Il y a sept motifs, c’est juste hallucinant. C’est hyper large.

Camille : Plus l’entourage de tous ces gens, en fait, ça fait les trois quarts de la France quoi !

Christopher : Ouais. À peu près.

Camille : OK !

Tristan : Plus les boîtes noires qui, de toutes façons, surveillent l’Internet quoi ! C'est 1984, nous y voilà !

Christopher : Il y a un côté tout à fait, en plus, hypocrite à dire « mais on protège les magistrats, avocats et journalistes ». Sur Internet on ne sait pas : dans les paquets qui passent sur Internet, et Nitot pourra le dire, il n’est pas écrit que ça vient de chez un avocat, ça vient de chez un journaliste. Ça veut dire qu’il faudra identifier. Donc ça veut dire que tout le monde va être surveillé et c’est seulement après vous avoir identifié, les mecs vont dire : « Ah merde, on a fait une boulette ! C’était un journaliste ! »

Camille : On efface les données !

Christopher : Ouais, on les garde dans un coin au cas où !

Tristan : Et ça, c’est venu après, avec des amendements, ça n’y était pas au départ. C’est un des gains.

Camille : Ça n’y était pas au départ ?

Christopher : Ça n’y était pas au départ. C’est un petit amendement rustine qu’ils ont voulu faire. Il faut savoir, pendant les débats à l’Assemblée, jusqu’à la dernière heure, il y a des nouveaux amendements du gouvernement qui tombaient — normalement, les amendements sont présentés avant les débats — et donc les députés n’avaient pas le temps de travailler sur les amendements qui étaient présentés en session. C’était hallucinant.

Camille : OK. On fait quoi maintenant ?

Tristan : Eh bien le générique de fin ! [Rires].

Camille : Non !

Christopher : On appelle les sénateurs.

Camille : Trouvez-moi quelque chose de positif.

Tristan : On appelle les sénateurs. On se bouge pour que, au moment du passage du Sénat… On les informe.

Camille : Monsieur le Premier ministre Manuel Valls va dire qu’on fait des pressions sur le gouvernement si on appelle les sénateurs.

Christopher : Je lui dis de revoir la définition de démocratie. Mais ça n’a pas l’air de le dérager quand c’est le CAC 40 qui le fait. Donc !

Camille : D’accord. OK.

Tristan : Mauvaise langue !

Christopher : Je ne suis pas mauvaise langue.

Tristan : Donc prochaine étape, on se bouge. On appelle les sénateurs, on leur explique qu’on ne veut pas que cette loi soit votée ; on ne veut pas des boîtes noires en France. Pour moi, c’est vraiment le plus gros problème et c’est un problème qu’on peut encore ôter, si tu veux, un peu comme dans une chirurgie, c’est le truc qui est vraiment dangereux. La loi a des gros problèmes avec la CNCTR qui n’est pas un vrai contre-pouvoir, mais si déjà on arrivait à faire sauter les boîtes noires, ça serait super. Et donc il faut que chacun de nous se bouge pour informer son sénateur.

Camille : Il y a un super mode d’emploi sur La Quadrature du Net pour savoir comment faire, appeler les sénateurs et leur foutre la pression.

Christopher : Évidemment ! On va réactiver le PIPhone7 prochainement.

Camille : Ouais. OK. Est-ce qu’il y a quelque chose dont j’ai oublié de parler et qui est super important ?

Tristan : Si vous travaillez dans une société du numérique, il faut faire signer à votre patron « Ni pigeons ni espions ». Voilà, qu’on dépasse les mille, ce serait bien.

Camille : Oui, que le débat s’élargisse le plus possible.

Tristan : Et il y a une pétition aussi qui a déjà plus de 120 000 signatures.

Camille : Il y a une pétition ! Je n’étais pas au courant.

Tristan : Oui, sur change.org.

Christopher : Elle a déjà été présentée, je crois.

Tristan : Oui, mais elle continue de monter et les organisateurs continuent de la pousser. Allons-y quoi ! Signez cette pétition.

Camille : OK. Pétition aussi.

Tristan : Et tenez-vous au courant, parlez-en autour de vous.

Christopher : Il y a le site sous-surveillance.fr8.

Tristan : Ah ouais ! Indispensable.

Camille : Qui sert à ?

Christopher : Qui nous servait à avoir les arguments de base contre le projet de loi et les explications. Il envoie avec des liens vers tout le travail qu’on a pu faire en amont et durant la campagne sur le classement des députés : qui a voté pour ; qui a voté contre ; qui a répondu quoi ; qui a envoyé les mails, la lettre type de Jean-Jacques Urvoas à ses citoyens. Et maintenant on va faire la même chose avec les sénateurs.

Tristan : Sous-surveillance.fr.

Camille : OK. Eh bien on va faire ça. Je croise les doigts et j’espère ne pas avoir à vous réinviter pour une émission où vous allez nous expliquer comment crypter nos communications.

Christopher : On peut le faire aussi.

Tristan : Je pense qu’on n’y échappera pas. De toutes façons, vu la tendance que ça prend, il vaut mieux être prêts pour la prochaine fois.

Camille : Vous ne le sentez pas ?

Tristan : Non. Le problème c’est que ce sont des vagues. Souviens-toi, HADOPI, et puis la LPM (loi de programmation militaire) et ensuite ça.

Christopher : C’est la technique du cliquet. C’est à chaque fois on monte plus haut, on monte plus haut. Et vu qu’on est habitués à la version précédente !

Camille : Pour montrer qu’on agit quoi !

Tristan : Il faut quand même bien savoir que les boîtes noires ça ne marche pas, parce que quiconque a quelque chose à se reprocher ou quelque chose à cacher va passer par le chiffrement et donc il se rend invisible aux yeux des boîtes noires. Donc, en fait, toute cette surveillance, c’est pour des prunes ! Zéro efficacité contre le terrorisme. Il faut être extrêmement clair : zéro efficacité contre le terrorisme, à cause ou grâce au chiffrement qui est quelque chose qui n’est pas si compliqué que ça à faire. Il paraît qu’il y a même déjà des tutoriels sur les sites djihadistes pour faire du chiffrement.

Camille : Et puis ça n’a pas l’air difficile quand même.

Tristan : Non. TorTor, tu le télécharges, tu l’installes, tu t’en sers. Point barre. Bing !

Camille : OK. Ils ne vont choper que des gens qui n’ont rien à se reprocher.

Tristan : Exactement, voilà.

Camille : Super. Eh bien on est tous de bonne humeur. C’est super. On va regarder des lapins qui sont dans des avions.

À POILS

Camille : C’est un épisode de Fuzzy Bunny is a fighter pilot. Comme j’ai vu l’épisode 1, j’espère bien qu’il y aurait un épisode 2 ; je l’attends impatiemment. Je suis abonnée à la chaîne YouTube et je regarde tous les jours. C’est un chef-d’œuvre du cinéma animalier. Un film de guerre, en fait.

Christopher : Quelle horreur ! Avec des lapins en plus !

Camille : Oui. Avec des hamsters dans le rôle des méchants ; avec des lapins dans le rôle des gentils. Ils ont du vent dans les poils et ils s’envoient des carottes missiles. Et comme on va se quitter là-dessus, je tiens à vous remercier Christopher Talib de La Quadrature du Net et Tristan Nitot de Cozy Cloud pour nous avoir super bien expliqué la loi renseignement. Et puis, à la prochaine fois.

Tristan : Voilà. Après le renseignement et les terroristes, maintenant la guerre.

Christopher : Et les tirs nourris contre les ennemis.

Camille : OK. On va essayer d’imaginer une histoire autour de ça.

Tristan : Ils ont l’air relativement innocents, quand même.

Camille : Non, pas les hamsters.

Tristan : En plus, ce sont les méchants.

Camille : Tu les trouves innocents toi les hamsters ? Regarde, il tire des flèches. Il arrive par-derrière. Il tire une carotte.

Tristan : Ça y est !

Camille : Pour savoir si les lapins vont s’en sortir, regardez Fuzzy Bunny is a fighter pilot. Salut !

Tristan : C’est super bien.