Vers un consensus des parlementaires français contre le brevet logiciel, à l'heure de la présidence française de l'Union Europée

Bordeaux, le 9 juillet 2000. Communiqué de presse, pour diffusion immédiate

Les premières Rencontres Mondiales du Logiciel Libre [1], qui viennent de se clore, ont montré la vitalité de la communauté mondiale du logiciel libre et ont permis de montrer que le logiciel libre est un fort vecteur d'innovation ainsi qu'un important levier pour le développement des pays du Sud.

L'ensemble des participants s'est montré fortement préoccupé par le projet de directive européenne concernant la brevetabilité du logiciel, qui met en danger l'innovation et la production logicielle européenne.

Ces dernières années, le système de brevet a très largement étendu son cadre juridique, et menace de plus en plus les entreprises européennes de l'Internet, les logiciels libres et la naissante société de l'information [2]. Pour autant que l'on puisse en juger, le brevetage des productions intellectuelles gêne déjà le développement des petites entreprises européennes innovantes.

A l'occasion de la clôture des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, M. Gilles Savary [3], député européen, a prononcé un discours fort, remettant à sa juste place la propriété intellectuelle. L'Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre (APRIL, http://www.april.org/) se réjouit d'entendre un tel discours de la part d'un député français, à l'heure où la France prend la présidence de l'Union Européenne. Nous invitons l'ensemble de nos responsables politiques à lire ce discours, et à faire entendre leur voix sur ce sujet.

Différentes propositions de lois récentes, émanant de parlementaires français de tendances politiques variées, encouragent le maintien d'une économie de concurrence, ainsi que l'innovation dans le domaine des nouvelles technologies [4]. Il s'agit de faire prévaloir le droit à la concurrence et à l'interopérabilité sur le droit de la propriété intellectuelle privée et en respectant le compromis historique de la propriété intellectuelle entre intérêt particulier et intérêt général.

Dans le même esprit, à la suite de la prise de position du sénateur René Trégouët [5], le discours de Gilles Savary doit être compris comme un appel à la mobilisation politique, sachant que la mobilisation citoyenne a déjà commencé avec la pétition Eurolinux [6], qui a reçu à ce jour plus de 16 000 signatures.

Transcription du discours de Gilles Savary

Gilles Savary, député européen, groupe du Parti des Socialistes Européens, Bordeaux, samedi 08 juillet 2000 17 h 00.

Je suis très heureux de participer à ces rencontres originales, dans ma région, en tant que député européen.

En ce qui me concerne, j'aborde cette question du logiciel libre non pas en tant que technicien mais en tant que question de société très importante.

La question est actuellement très pressante dans tous les forums internationaux, au sein de l'Union Européenne, mais également et surtout au sein de l'OMC, où deux philosophies sont aujourd'hui en présence : la philosophie européenne qui fait de la création un bien universel et la philosophie libre échangiste qui voudrait en faire une marchandise.

Nous devons être très vigilant notamment sur les questions informatiques, car aujourd'hui elles sont dans une période d'incertitude entre ce qui est du ressort de la création, du bien public et ce qui est du ressort du marché.

Actuellement, la doctrine européenne est d'exclure du marché l'ensemble des biens de création ou des produits de l'esprit. Mais les lobbies industriels sont aujourd'hui très pressant pour demander une brevetabilité généralisée, non seulement du logiciel, mais également du vivant et de toutes les créations de l'esprit.

En tant que député européen, je me mets à votre disposition pour que vous fassiez entendre votre voix auprès des institutions européennes, et je vous invite et vous propose à venir dans les quatre ans qu'il me reste au parlement européen rencontrer des députés pour les sensibliser à ces questions de la protecton de la création et notamment de la création des logiciels.

Le parlement européen est un jeune parlement qui accueille volontiers les lobbies et vous ne devez pas laisser la place au seuls lobbies des firmes et des industriels. Pour ce qui me concerne, je considère que nous devons faire prévaloir le caractère imprescriptiblement universel des créations de l'esprit. L'informatique est un langage qui doit appartenir à tous, et sa démocratisation suppose qu'il existe des logiciels libres accessibles à tous, à la fois dans nos sociétés, mais également entre les pays du nord et du sud, sinon nous irons dans une forme d'exclusion technologique extrêmement grave pour nos sociétés.

C'est donc bien une question de société, d'égalité d'acces aux produits de la création et d'équilibre entre le nord et le sud qui est en question avec la démocratisation des nouvelles technologies de l'information, de la communication, et de l'informatique.

En ce qui me concerne, je pense que nous devons distinguer les concepts de droits d'auteur des concepts de brevetabilité. Les droits d'auteur peuvent à la limite se concevoir, car ils sont la rémunératon d'une création et de sa diffusion; la brevetabilité est au contraire l'appropriation privée d'une diffusion qui est une diffusion extrêmement encadrée et donc privative pour le plus grand nombre.

Je considère pour conclure que la démocratie informatique, car il faut democratiser l'informatique, comme on a démocratisé la presse de Gutenberg, est incompatible avec une marchandisation des savoirs.

Il faut que votre mouvement s'organise, s'amplifie, se structure et soit présent auprès de l'ensemble des lieux de décision publics, que sont notamment les parlements et c'est la raison pour laquelle je vous invite au parlement européen dans un an s'il le faut, pour qu'on prépare bien cette rencontre avec les parlementaires. C'est la raison pour laquelle également qu'il faut que ce mouvement s'étende et prenne une ampleur internationnale.

Je suis personnellement très heureux que la première édition de ces rencontres ait eu lieu en Aquitaine, sous le triple parrainnage de trois grand créateurs Aquitains : Montaigne qui a inventé la liberté individuelle, Montesquieu qui a théorisé la démocratie et Mauriac qui a dit ceci : « la propriété, qu'elle soit le vol je m'en moquerais, mais elle est ce qui avilit, ce qui dégrade ».

Merci à tous.

Références

[1] http://lsm.abul.org
[2] http://www.freepatents.org
[3] http://www.gilles-savary.com
[4] http://www.april.org/articles/communiques/pr-ledeaut.html
[5] http://www.tregouet.org/lettres/rtflash.asp?theLettre=90#Edito
[6] http://petition.eurolinux.org

APRIL

L'APRIL, Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre, créée en 1996, est composée de professionnels de différentes sociétés ou administrations, de chercheurs et d'étudiants. Elle a pour objectif de sensibiliser les entreprises, les administrations et les particuliers sur les risques des solutions propriétaires et fermées, et de les informer des potentialités offertes par les logiciels libres et les solutions basées sur des standards ouverts.

Pour plus d'informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l'adresse suivante : http://www.april.org/

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