Promulgation de la loi « pour une République numérique » - logiciels libres - mobilisation de l'April

La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a été promulguée et publiée au Journal Officiel. Cette loi confirme l'ouverture par défaut des codes sources des logiciels des administrations, toujours limitée par une exception très large de « sécurité des systèmes d'information », et inscrit une disposition d' « encouragement » au logiciel libre dans le secteur public dénuée de portée normative. La promulgation de la loi est aussi l'occasion de revenir sur la mobilisation de l'April.

Article 2 : ouverture des codes sources, mais une exception sous forme de blanc-seing

L'article 2 de la loi entérine la reconnaissance de la qualité de documents administratifs communicables pour les codes sources des logiciels des administrations. S'il s'agit d'une avancée réelle en termes d'ouverture et de transparence, le troisième alinéa de l'article introduit une exception à la communicabilité des documents administratifs en cas de risque d'atteinte « à la sécurité des systèmes d'information des administrations ». Exception disproportionnée, ancrée dans le fantasme de la sécurité par l'obscurité et qui porte le risque de vider l'avancée de cet article de sa substance.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire (CMP), dont le rôle est d’aboutir à la conciliation des deux chambres parlementaires sur un texte commun, est fort heureusement revenue sur un amendement adopté au Sénat, qui instaurait une exclusion systématique de certains codes sources du champ du droit à communication. Exception dangereuse contre laquelle l'April s'est mobilisée auprès des parlementaires.

Notons également que l'article 3 de la loi instaure que la communication de documents administratifs sous forme électronique « se fait dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ». Une rédaction à saluer et qui prend d'autant plus de sens avec la récente révision du référentiel général d'interopérabilité le 25 avril 2016.

Article 2

I. - A la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, après le mot : « prévisions », sont insérés les mots : « , codes sources ».

II. - Le 2° de l'article L. 311-5 du même code est ainsi modifié :

1° A la fin du d, les mots : « ou à la sécurité des personnes » sont remplacés par les mots : « , à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations » ;

2° Le g est ainsi rédigé :

« g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature ; ».

L'article L300-2 du Code des relations entre le public et l'administration devient :

Article L300-2

Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions.

Les actes et documents produits ou reçus par les assemblées parlementaires sont régis par l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Extrait de l'article L311-5 du Code des relations entre le public et l'administration :

[…]

Ne sont pas communicables :

[…]

2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :

[…]

d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations ;

Article 16 : une simple « déclaration de bonnes intentions » sur le logiciel libre

À l'entrée en vigueur de la loi, les administrations doivent encourager « l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d'information ». Cette disposition souffre d'un manque flagrant de portée politique, est dénuée de toute portée contraignante et n'est assurément pas à la hauteur des enjeux. Seule une réelle priorité au logiciel libre dans le secteur public est à même de garantir l'indépendance technologique des administrations et leur souveraineté numérique. Priorité qui correspond à l'obligation d'un choix raisonné de privilégier le recours à une licence libre quand cela est possible, et selon des critères objectivement définis par décret.

Malgré la qualité des débats autour de cet article, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, le Parlement et le Gouvernement ont manqué cette occasion de doter les administrations d'une informatique loyale en faveur de l'intérêt général.

L'article 16 :

Article 16

Les administrations mentionnées au premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l'indépendance de leurs systèmes d'information.

Elles encouragent l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation, de tout ou partie, de ces systèmes d'information. Elles encouragent la migration de l'ensemble des composants de ces systèmes d'information vers le protocole IPV6, sous réserve de leur compatibilité, à compter du 1er janvier 2018.

La mobilisation de l'April sur le projet de loi « pour une République numérique »

En 2013, avec la loi enseignement supérieur et recherche, le Parlement français avait adopté pour la première fois une disposition législative donnant la priorité au logiciel libre. L'April avait beaucoup contribué aux débats et s'était réjouie de ce vote tout en indiquant que cette première étape devait se poursuivre et se généraliser par la mise en place d'une vraie politique publique en faveur du logiciel libre.

La consultation

L'April s'est engagée dans le processus d'élaboration du projet de loi « pour une République numérique » dès la consultation publique en ligne organisée par le Gouvernement en septembre et octobre 2015. C'était la première fois qu'un texte de loi du Gouvernement était ainsi ouvert à la relecture et aux propositions citoyennes avant même sa présentation en Conseil des ministres. La plate-forme dédiée permettait de formuler son opinion. Malgré ses limites, c'était une opportunité de s'exprimer sur chacun des sujets, de proposer des amendements voire de nouveaux articles.

Pour une informatique loyale au service de l'intérêt général, nous avions alors fait deux propositions d'amendement à l'avant-projet de loi : la reconnaissance de la qualité de document administratif communicable des codes sources des logiciels produits par l'administration et la priorité au logiciel libre dans le secteur public.

Le résultat de la consultation a montré une véritable tendance de fond en faveur du logiciel libre. Parmi les 10 propositions les plus soutenues, plusieurs étaient en lien avec les logiciels libres. Notre proposition de donner la priorité au logiciel libre arrivant en troisième place et notre proposition « Le code source d'un logiciel est un document administratif communicable » arrivant en 7e position.

Le projet de loi

Mais faisant fi de cette expression citoyenne, la version du projet de loi soumise au Parlement n'intégrait aucune de ces propositions. Le Gouvernement se limitant à de floues déclarations d'intention et à de vagues promesses peu contraignantes pour encourager l'usage du logiciel libre.

L'April s'est donc mobilisée pour que soient intégrées ses propositions, aussi bien lors de ses auditions par les rapporteurs du projet de loi, à l'Assemblée nationale et au Sénat ; au moment de ses entretiens avec certains parlementaires, députés et sénateurs, pour les sensibiliser en vue de les inviter à adopter, voire à déposer, des amendements en faveur de la communicabilité des codes sources des administrations et de la priorité à donner au logiciel libre dans le secteur public ; mais aussi en contactant les élus, et en appelant chacun à faire de même.

Le code source est un document administratif communicable

Ce travail a permis l'adoption à l'Assemblée nationale en janvier 2016, contre l'avis du Gouvernement, d'un amendement qui ajoute explicitement le code source dans la liste des documents administratifs communicables. Malheureusement, ce principe de communicabilité a rapidement été restreint. D'une part par l'ajout d'une exception en cas de risque d'atteinte « à la sécurité des systèmes d'information des administrations », exception adoptée par les députés et validée par les sénateurs. D'autre part, avec un amendement adopté au Sénat qui exclut de la liste des documents administratifs communicables les codes sources des « personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence ». C’est le cas des entreprises chargées d'un SPIC (service public à caractère industriel et commercial), par exemple dans le domaine des transports comme la SNCF. À l'occasion des débats au Sénat, l'April a diffusé une infographie pour soutenir une réelle communicabilité des codes sources. Infographie transmise aux sénateurs et largement diffusée sur les réseaux sociaux. La CMP, réunie en juin 2016, est fort heureusement revenue sur cette dernière exception. La première ayant été adoptée dans les mêmes termes par les deux chambres, il s'agit d'un « vote conforme », elle n'était plus susceptible d'être modifiée.

Priorité au logiciel libre dans le secteur public

Concernant la priorité au logiciel libre dans le secteur public, plusieurs députés avaient déposé des amendements visant à inscrire ce principe dans la loi. Pour s'opposer à cette proposition le Gouvernement a argué d'un « risque constitutionnel » fondé sur une prétendue incompatibilité d'une priorité au logiciel libre avec les droits de la concurrence et de la commande publique. L'April a publié une analyse démontrant la validité juridique d'une telle disposition. De plus, le Conseil National du Numérique a expliqué dans une fiche synthétique qu'une priorité au logiciel libre ne remet en cause ni le principe de « neutralité technologique » de l'achat public, ni les règles de concurrence de l'Union européenne.

Le Gouvernement se serait appuyé sur une « note juridique » de la Direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère des Finances et des comptes publics. L'April a écrit au Gouvernement pour demander la communication de l'analyse juridique. Aucune réponse n'est parvenue. Nous avons alors fait une demande de communication directement auprès de la DAJ. Réponse de non-recevoir : la DAJ se retranche en effet derrière l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration et plus particulièrement derrière la notion très floue du secret des délibérations du Gouvernement. Le Gouvernement a donc refusé d'agir dans la transparence pourtant nécessaire à tout débat démocratique. L'April a alors saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Notre demande a été examinée le 28 avril 2016, donc après le débat au Sénat. La CADA a rejeté notre demande de communication au nom du secret des délibérations du Gouvernement.

Notons par ailleurs que cette même DAJ a reçu une leçon de droit communautaire par le juge administratif qui avait été saisi de la demande de communication du code source du calculateur de l'impôt sur le revenu des particuliers.

En commission des lois, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui encourage simplement à l'utilisation des logiciels libres dans le secteur public. Lors du débat en séance publique, plusieurs amendements proposaient de donner la priorité aux logiciels libres. Les députés porteurs de ces amendements ont mené dans l'hémicycle un long et intense débat de 45 minutes, d'une très grande qualité, pour démonter un à un les arguments qui leur étaient opposés par Mme Axelle Lemaire et M. Luc Belot, le rapporteur du projet de loi. Malgré cette admirable défense et le soutien de députés de différentes tendances politiques, ces amendements ont été rejetés à quelques voix près.

Le projet de loi a ensuite été examiné au Sénat en avril 2016. Plusieurs sénateurs ont déposé des amendements en faveur d'une priorité au logiciel libre. En commission des lois, le rapporteur avait fait adopter un amendement de suppression de l'article qui instituait un encouragement à l'usage du logiciel libre, lui reprochant notamment son absence de portée normative. Il affirmait pourtant partager « les préoccupations des auteurs de cette disposition en termes de maîtrise, voire de souveraineté, de leurs systèmes d’information par les administrations ». L'April considère également que « l'encouragement » souffre d'un manque flagrant de portée politique et que cette notion est dénuée de toute portée contraignante. Le rapporteur aurait pu choisir de soutenir la priorité plutôt que de supprimer la disposition initiale.

Des amendements de priorité au logiciel libre ont été à nouveau déposés par des sénateurs de plusieurs bords politiques (gauche et droite) pour le débat en séance publique. Les débats ont duré plus d’une heure. Malgré l'évident consensus sur les qualités et vertus du logiciel libre le Sénat s'est finalement contenté de restaurer un encouragement à l'utilisation du logiciel libre tout en y accolant de vagues objectifs de maîtrise et d'indépendance non moins dénués de portée normative. Une simple « déclaration de bonnes intentions » pour reprendre les propos d'une sénatrice qui souhaitait inscrire la priorité au logiciel libre.

C’est une occasion manquée pour le Parlement. L'April salue néanmoins la qualité de cette heure de débats où plusieurs intervenants ont su exprimer l'importance des enjeux et expliquer la nécessité d'un recours au logiciel libre. On sent donc une progression sur le sujet, même si on regrette que les parlementaires n’aient pas été au bout de leur logique. Autre point positif : plusieurs amendements voulant accorder la priorité au libre ont été déposés par des groupes de différentes couleurs. Un jour cette priorité sera inscrite dans la loi, car c‘est le sens de l’histoire.