LA MORT DU LOGICIEL LIBRE : CHRONIQUE D'UNE DÉFAITE ACCEPTÉE OU LE COUP D'ÉTAT PERMANENT

[Il s'agit d'une version alpha...]

Toujours, les européens patentés se sont couchés de bonne heure. En particulier devant les lobbies. C'est d'ailleurs là leur seule ambition : se faire enterrer, un jour --- mais le plus tard possible! --- couchés devant les groupes de pression.

Les soi-disant européens, trahissant une fois de plus les intérêts dont ils sont supposés avoir la charge, ont décidé de dénaturer la législation européenne sur les logiciels, législation qui, jusqu'à présent, excluait les logiciels du champ du brevetable, en les identifiant comme purs produits de la pensée.

L'essor informatique dont le mouvement du logiciel libre est le plus bel exemple, qui a permis à l'Europe de rattraper son retard et qui était sur le point de la libérer de toute tutelle, sera mis à bas en janvier prochain par les Gribouilles de Bruxelles, songeant sans doute que la vie est dangereuse et expose à la mort, et qu'il est donc préférable de se mettre à l'abri de ce genre d'aléas en se suicidant. Hypothèse optimiste, somme toute, que celle supposant que les irresponsables européens sont mûs uniquement par une bêtise criminelle. Car l'étude des textes, ainsi que l'examen des procédés, montre sans aucun doute que cette stupidité n'est pas honnête.

Il serait bien entendu erroné de croire que la mise à mort d'une logique de liberté fût le fait d'un acharnement particulier mis par la Commission de Bruxelles à égorger spécifiquement le logiciel libre. De facto, cette mise à mort n'est qu'un effet secondaire de la déconstruction européenne, la solution finale consistant, pour les représentants des groupes de pression, à faire disparaître toute référence à une quelconque exception culturelle, le biais trouvé consistant simplement à vider de tout contenu la notion de Propriété Intellectuelle.

Les intervenants de la culture, dans son acception la plus large, seraient bien inspirés de s'inquiéter des mauvais coups portés contre le logiciel libre, car ils ne sont que le prélude de ceux qui viendront bientôt frapper leur domaine de prédilection.

« Bientôt frapper le logiciel libre ? Mais est-ce si sûr ? La Commission n'a-t-elle pas eu la bonté de lancer une consultation ?  » Il faudrait être d'une naïveté confinant au crétinisme pour croire que la consultation lancée in extremis par les bureaucrates de Bruxelles fût autre chose qu'un rideau de fumée : la décision est déjà prise ; il suffit d'étudier les textes pour s'en rendre compte.

Mais pourquoi cette trahison imbécile ? Par application du principe de Maupertuis politique : tout européen patenté abandonné à son propre mouvement (c'est-à-dire aux impulsions financières anti-européennes), élira toujours la route minimisant l'effort, le courage et l'honneur, bref : choisira toujours le chemin le plus court pour aller à la soupe.

Ad augusta per angusta : à des résultats magnifiques par des voies étroites, telle était la devise des conjurés d'Hernani. Ad angusta per augusta : à des résultats dérisoires par les voies augustes de la pensée européenne, tel est le quotidien des européens de profession. Mais il est vrai que lorsqu'on évoque Auguste à leur sujet, il s'agit moins de l'empereur romain, que du triste clown...

Ce qu'ils font relève de la haute trahison, mais cela serait implaidable en cours de justice : leurs avocats auraient beau jeu de prétendre que la trahison est intelligence avec l'ennemi, et de nous mettre au défi de trouver une once d'intelligence dans ce qu'ils écrivent ou décident...

Ce qu'ils font, en imposant des lois sans en référer aux souverains --- les Peuples ---, porte un nom : le Coup d'État permanent. Nous sommes forcés de le constater, mais nul ne nous oblige à l'admettre.

Ce qui suit va donc vous montrer rapidement l'état actuel de la situation (la décision de la commission de Bruxelles de mettre en place les brevets logiciels), et les actions qu'il est possible de mener dans le futur. Car si nous sommes sur le point de perdre une bataille, c'est eux qui perdront la guerre : il nous suffit pour ce faire de la leur déclarer... Mais sans nous tromper de cible : Bruxelles n'a aucune légitimité ; Bruxelles n'est rien, rien d'autre que le cheval de Troie des intérêts étrangers, qu'une institution devant laquelle les Européens, les vrais, sont priés d'aller plaider leur cause ! Bruxelles n'est rien d'autre que des employés supposés être sous le contrôle de nos élus « locaux » (français, allemands, italiens, anglais etc...). Ce sont donc nos très chers élus qui vont devoir s'expliquer, lors des prochaines élections.

Nous leur souhaitons d'avance bien du plaisir...

I) LES BREVETS LOGICIELS SERONT EN PLACE EN EUROPE L'ANNÉE PROCHAINE

I.1) L'état actuel de la législation

Les lignes qui suivent n'ont pas la prétention d'être un cours de droit : juste d'être démonstratives.

Quelques décennies de réflexion avaient abouti à la formalisation pertinente de quelques évidences humaines et économiques.

La première évidence est que les idées, en général, sont le propre de l'homme, ne sont jamais sui generis mais toujours la continuation d'une pensée antérieure (notion de progrès), et qu'il serait inadmissible et proprement ruineux de permettre à un individu d'accaparer un raisonnement, dont, par nature, il ne peut en aucun cas être propriétaire [1].

Une pensée s'incarne : elle « n'appartient » pas.

La deuxième évidence est que la mise au point de procédés techniques, résultant en un objet concret, complexe, peut demander des investissements matériels importants, et que ne pas permettre à une entité (individu ou entreprise) de protéger un tant soit peu ses investissements conduirait à décourager le progrès dans ce domaine.

Car il faut bien voir qu'une législation doit avoir un but : la législation est la formalisation d'une politique. La politique poursuivie par la législation actuelle vise à encourager le progrès :

- en laissant à la disposition de tous la connaissance ;
- mais en accordant un bénéfice temporaire à une entité ayant consenti des efforts conséquents, tangibles et réellement innovants, et ce simplement afin d'assurer un retour sur investissement minimum à celui qui innove.

L'objectif étant défini, comment la législation actuelle est-elle articulée pour l'atteindre ? En établissant deux régimes distincts, les objets de la pensée relevant de la Propriété Intellectuelle, les objets matériels de la Propriété Industrielle.

Les objets issus de la réflexion et ne mettant pas en oeuvre des « lois de la nature » ne nécessitent pratiquement aucun investissement. De plus, ils sont la résultante d'apports personnels, et d'une masse écrasante de « biens communs » : réserver l'exclusivité de l'exploitation de ceux-là, reviendrait à permettre l'appropriation de ceux-ci.

Le progrès impose donc de laisser les principes à disposition de tous. Mais l'auteur n'est en rien lésé ! Pour deux raisons : premièrement parce que nul ne peut s'approprier la pensée d'autrui : les articles publiés par Einstein, les oeuvres de Proust ou de Beethoven, les cours de Hegel reflètent une pensée, mais ne la livrent pas : ils n'en théorisent qu'un sous-ensemble.

Le penseur est quand même celui possédant le plus de chances de comprendre parfaitement ce qu'il produit, et donc d'en tirer le meilleur parti. Deuxièmement, le résultat effectif, tangible : livre, article, etc... est protégé par le droit d'exploitation (en anglais copyright), et nul ne peut reproduire sans effort le résultat final. De même pour le code : l'investissement, si investissement il y a, est dans le temps passé à coder ; un concurrent voulant implémenter les mêmes algorithmes devra les recoder, et dépister le code cafardeux, sans avoir le secours des lumières de l'inventeur de l'algorithme...

Le logiciel --- et le néologisme français est pertinent : il s'agit de logique appliquée --- relève de la Propriété Intellectuelle, car il ne fait que traduire en un autre langage des principes mathématiques généraux.

Pour les dispositifs techniques, matériels, la protection est celle du brevet, qui empêche, cette fois, de reproduire le dispositif à l'identique (de copier un code « matériel » que l'on peut avoir facilement sous les yeux). Et la législation impose bien la présence de ces éléments matériels, techniques pour conduire aux brevets.

I.2) Les arguties de la commission visant à justifier le brevetage logiciel

Les principes énoncés aux paragraphes précédents devraient sembler à la fois pertinents et, en ce qui concerne la Propriété Intellectuelle, suffisants. Comment se fait-il que la Commission veuille les changer ? Pour des motifs absolument conjoncturels, parce que comme tous les imbéciles, ces messieurs se croient malins. Et on pourra juger de la noblesse de leurs intentions à l'observation de la bassesse des procédés. Suivez le guide.

La page annonçant la consultation se trouve à l'adresse suivante : http://europa.eu.int/comm/internal_market/en/intprop/indprop/softpaten.htm.

Bien entendu, ce n'est pas sur cette page que vous trouverez des explications convaincantes sur quoi que ce soit --- même pas la date de fin de la consultation : le 15 décembre de cette année, soit moins de 2 mois après le très discret appel à commentaires...

Par contre dans ce texte vous pouvez déjà retenir une chose :

Harmonisation of national patent laws on the issue is therefore necessary. This should provide greater transparency for European companies, especially for SMEs. It should also improve the competitive position of the European software industry in relation to its major trading partners. The need to improve the competitive situation is all the more urgent because of the increasing distribution and use of computer programs on a world-wide scale via the Internet.

L'harmonisation est _nécessaire_. Le _besoin_ d'améliorer la situation concurrentielle est le plus urgent. Comprennez-vous bien le sens de ces phrases : il existe une législation actuelle, que certains pays se chargent de ne pas appliquer ; cette législation est bonne ; et il est _nécessaire_ de la changer...

La décision est déjà prise, la consultation n'est que poudre aux yeux. Puisque la décision est visiblement prise, où trouver la source la plus pure des intentions criminelles de la Commission ? Réfléchissez un peu, c'est facile : il suffit de trouver un texte, téléchargeable (« Nous n'avons rien caché ! »), mais pas trop visible, parce que copieux et n'existant qu'en une seule version : la version anglaise (est-ce conforme au traité, d'ailleurs ? L'anglais serait-il la seule langue officielle ?). Ce texte s'appelle 'study.pdf', et c'est effectivement une merde...

D'abord à tout seigneur, tout honneur : les auteurs. Un « consultant indépendant », un membre de la « School of European Studies » et un membre de l'« Intellectual Property Institute ». Vous vous inquiétez déjà ? Vous avez raison...

Quel est le véritable objectif de l'étude ? Nous le trouvons dès la première page : «  How could such an approach be explained as being in line with basic patent law principles ». Le but n'est donc pas de déterminer une politique , mais seulement d'essayer d'expliquer que les modifications que l'on va apporter à la loi sont dans la droite ligne de celle-ci, c'est-à-dire de faire passer une négation complète des principes actuels pour de simples aménagements explicatifs !

Quant à la législation actuelle, sur laquelle ils prétendent bâtir les « amendements », qu'en pensent-ils ? Toujours page 1 nous trouvons :

The exclusion achieved by the combination of Art 52.2.(c) and Art.53 of EPC of 'computer programs' 'as such' is, and was not meant to be other than, of _negligible practical significance_. However the presence in the EPC of these words gives support to the widespread belief particularly in SMEs and independent software developers that computer program related inventions are not patentable.[..]

La législation va-t-elle être changée ? Non, puisque l'exclusion des logiciels du domaine du brevet est 'of negligible practical significance', contrairement à ce que ces cons de développeurs que nous sommes peuvent croire !

Je continue ?

Quelle est la véritable motivation de la démolition de la législation européenne ? Quelle est cette modernité qui nous manque et sans laquelle nous sommes définitivement des arriérés ? Mais : le 'e-business', la 'net-economy'. La véritable motivation n'est pas une quelconque protection du logiciel --- qui est déjà amplement assurée par la Propriété Intellectuelle --- mais le dépit de ne pas voir surgir les bulles spéculatives qui ébaubissent le demeuré boursicoteur (page 2) :

Possession of IPRs (intellectual property rights) helps any small company or individual independent software developer to raise finance to develop and market such inventions, and/or to license competitors and/or to sell or license his or her innovation to a major player. Possession of relevant IPRs empowers the SME or individual.[..]

Ah ! qu'en termes lénifiants ces choses-là sont mises ! Les brevets logiciels vont permettre aux « petits » de lever des fonds... ou alors de céder démocratiquement leurs brevets aux gros. D'autant que les petits auront toute latitude pour se payer les meilleurs avocats, et prouver que leur brevet n'est pas venu empiéter, par le plus malencontreux des hasards, sur un brevet d'un flou très précis déposé par une grosse compagnie...

L'intégralité de l'étude est un tissu d'inepties. Toutes reprises par les européens patentés. Et comme le prouve le passage précédent, le logiciel libre va tomber, mais par inadvertance : car l'objectif est de mettre à bas toute la Propriété Intellectuelle, c'est-à-dire finalement l'exception culturelle, parce quelques maffias très argentées ont l'oreille complaisante d'un quarteron de trous du cul !

Et donc les brevets vont passer... Ne reste plus qu'à trouver le prétexte pour justifier le chamboulement. Le prétexte, il est très simple : le brevet ne s'applique qu'aux dispositifs techniques, matériels ; il suffira donc de prétendre qu'un logiciel, qui ne peut être breveté en tant que tel, pilote du matériel, donc interagit avec lui. Vous connaissez des programmes qui tournent sans matériel vous ?

Voulez-vous quelques exemples ? Mettons de sociétés qui soutiennent très publiquement Linux, comme IBM qui a certainement déposé les brevets les plus fallacieux qui soient, les plus dangereux, entre autres celui-ci, qui lui permet de s'approprier, après Amazon, le fil à couper le beurre informatique (p54):

Case T110/90 (IBM) concerned a method of transforming text including transforming of printer control items. the Board found that the transformation of printer control characters from one format to another allowing documents to be converted from one text processing format to another involved conversion of printer control items which are technical features of the text processing system. The application was _not_ a method of performing mental acts _nor_ a program for a computer and was accordingly remitted for further prosecution.

II) CE QUE NOUS POUVONS FAIRE

1) diffuser l'information le plus largement possible, et pas seulement dans le milieu informatique : ce qui nous arrive leur arrivera ; ce qui est en jeu c'est la Propriété Intellectuelle, c'est-à-dire à terme l'exception culturelle ;

2) boycotter les entreprises ne jouant pas le jeu ;

3) nous sommes prestataires de service, prescripteurs pour l'équipement informatique, et l'europe a impérativement besoin de ses informaticiens (pour se limiter aux brevets logiciels) : partout, toujours, refuser de servir, maintenir, installer du non-libre, surtout produit par des sociétés qui ont tout fait pour détruire la législation actuelle (IBM est clairement dans la ligne de mire) ;

4) Se rassembler : un rassemblement, débordant le strict cadre informatique, est prévu précisément à la date sonnant la fin de la récréation (15 décembre 2000) . Il s'agit de la Zelig Conf, du 15 au 17 décembre 2000. Il serait souhaitable de choisir le samedi ou le dimanche pour se réunir spécifiquement pour la lutte contre la destruction de la PI ; de manière européenne, cela serait encore mieux (la France préside l'Union jusqu'à fin décembre) ; pas seulement pour protester, mais aussi pour se voir, échanger des idées, s'organiser pour la suite. Cela ne ferait pas partie de la Zelig, mais l'organisation de la Zelig est une opportunité à saisir (http://www.samizdat.net/zelig/).

5) et s'occuper des principaux responsables du désastre : les politiques, dont les élections approchent (municipales, législatives, présidentielles). Pour cela il faut quelques slogans : ne bougez pas, mon sac à venin est plein, voyez la suite...

III) ARGUMENTAIRE

Il suffit parfois de quelques mots bien agencés pour taper fort. De quelques associations pertinentes. La réunion des États membres devant entériner la mise à mal du progrès scientifique, via les brevets logiciels, se tiendra à Munich. Munich, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Munich, Daladier, les Munichois ? Hum ? Quel beau slogan flatteur que de se faire traiter de Munichois quand ils reviendront après la signature... Daladier avait été accueilli à sa descente d'avion. Mais par des bravos lui.

Sinon, pour l'agencement des mots, je vous propose ça...

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'L'Europe!', 'L'Europe!', 'L'Europe!'. A chaque coup qui effondre un pan de ce que nous sommes, les patriciens encouragent au kyrie victorieux : 'l'Europe!'. Ainsi, à bord du navire amiral échoué, rythmée du bruit sinistre des mâts qu'on abat pour quelque planche de fortune, se déroule la liturgie d'une contrition salutaire. Car, malgré la lourde responsabilité que porte le Peuple dans ce naufrage, les barreurs miséricordieux ont accepté sa rédemption : 'l'Europe!'.

L'Europe! Curieux quand même qu'il ait fallu abandonner ce qu'elle est pour mieux atteindre ce que certains voudraient qu'elle fût, une Europe redéfinie, délestée de son histoire, signe débarrassé du poids d'un sens qui interdisait les logiques somnambules ; symbole délicatement placé sur quelque carte du Tendre. Peut-être était-il dans la nature d'un non-lieu d'engendrer une dynamique insensée ?

Mais 'l'avenir n'attend pas' - 'L'Europe!'. Au milieu des reliefs du désastre, la procession de la bonté dirigeante, que soulèvent par endroit de fondamentales querelles de préséance, embarque sur le Jean-Monnet, frêle esquif chamarré, sorte de demi-tonneau dérisoire mais qui paraît vaste à force d'être creux, et que retient une plate-forme bricolée, monstrueuse, populeuse, submergée de flots, sifflant d'indignation et fusant de railleries :

  « Prosterne-toi populace ! Voici la noblesse à ruban. Chaque « revers à sa médaille, c'en est un enchantement... Mais foin de vos « affiquets ! Vos satisfactions décoratives ne pourront retenir vos « braies, lors des prochaines déculottées !    « Cependant voyez comme le temps court : le cartel impassible a « poursuivi sa rotation ! Nouvelles équipes, aguerries d'autant de « ruines. Soyons donc rassurés ! car dans les grands périls, c'est « l'expérience qui rentre de l'exil. Holà ! du bateau !  Comment « pourriez-vous manquer un tel naufrage, après tous ceux, fameux ! qu'on « doit à votre ouvrage ? Honte à vous !  vieillards au penser « vagissant. Vos abstractions sont neuves à force d'embaumement. Elles « tombent en poussière au milieu des roses !» 

Silence ! Epargnez-nous votre médiocre prose ! Ceux qui en ont le droit vont s'exprimer !

Et les thaumaturges d'entonner le nouveau chant du départ : 'l'Europe !'. Mais las ! Le fardeau est trop lourd pour la périssoire capitane. Ces reliés si gênants l'empêchent de marcher. Aussi, impatientée du bredouillis d'excuses sermonnaires qu'émet encore le commandant, la justice notable laisse-t-elle tomber le glaive, tranchant le lien : schlacke!. Une ovation mêlée accueille la volte-face effarée de celui qui dirige [ Mouvements divers : Admiratifs : Quel homme! Un nouvel Alexandre! ; Agressifs : Oui Shylock! C'est nous que tu peux prendre!].

Alors, fendant les assises de l'oligarchie, unie dans un soudain et digne silence - que viennent seulement troubler les effets pédieux d'une démarche chaloupée - s'avance, l'air grave, le préposé aux afflictions courageuses. Ayant perché sur la poupe du canot la conscience de sa charge, le voilà qui délivre au peuple barbotant les stances de la virilité :

 	« Cessez donc, messieurs, vos plaintes dilatoires ! 	« Qui nous ont, trop souvent, coûté notre victoire !  	« Feintes que vos soupirs ! Comédie que cela ! 	« Démission veule, refus d'un au-delà ! 

[ Au milieu d'une mer agitée, le radeau éclate en tempête ]

 	« Croyez qu'il est grand temps de forcer vos natures ! 	« O qu'ils ont peu de foi ! A quelques encablures ! 	« N'écoutez plus l'instinct, ce reste d'âme vile 	« Négligeant nos raisons, devant les faits servile ! 	« Aux appels d'un passé à jamais disparu, 	« Résistez ! L'avenir est ce qui a paru ! 	« Dépassez votre peur ! Armez votre courage ! 	« Soupirer, pleurnicher, c'est de l'onde être otages ! 

[ Huées. Rapide inspiration courroucée, puis, en s'en retournant :]

        « Admirez l'exemple, plutôt que de brailler !         « Honneur aux courageux qui tâchent d'avancer !  

La messe étant dite, on passe, à bord du Jean-Monnet, à l'ordre du jour. La bourgeoisie décrète solennellement mettre le cap sur la modernité, sans plus se laisser importuner par des détails. Adieu, Vieux Continent ! Nous voici, Nouveau Monde ! À nous deux, Nouvelle Économie !

Et l'embarcation, indifférente aux coups de rames désordonnés et rageurs - 'l'Europe!' -, absorbée par un soleil qui décline, s'abandonne au courant, tentant de planter là une France médusée.

Annecy, le 15/11/2000, Thierry LARONDE (thierry.laronde@polynum.com).

----NOTES

[1] par ex. : un procédé de chiffrage est basé sur la théorie des groupes de Galois, explicitée par Camille Jordan ; sans ceux-ci, ce procédé n'existerait pas : comment pourrait-on admettre qu'un quelconque brevet vienne kidnapper la théorie en interdisant à quiconque d'explorer les mêmes voies ?


Note de l' APRIL : ce texte n'engage en rien la position de l'association.