Europe : une surcouche de règles rétrogrades en guise de réforme du droit d'auteur
Après des mois de consultations et d'annonces diverses sur la mise en place d'un « marché unique numérique » et d'une modernisation du cadre juridique du droit d'auteur en Europe, la Commission ne propose que des rustines pour rapiécer un cadre juridique vieux de 15 ans. Là où était attendue une véritable réforme du cadre actuel basé sur la directive 2001/29/CE, qui date de 2001, ce texte ne serait modifié qu'à la marge par la nouvelle directive Copyright in the Digital Single Market (en anglais uniquement pour le moment). Par ailleurs, plusieurs propositions de la Commission contiennent des menaces inquiétantes.
La directive de 2001 reste donc globalement inchangée ; le projet de directive, « à l'exception de l'article 6, laisse intactes et n'affecte en aucun cas les règles issues » de la directive 2001/29/EC (article 1). Le régime des droits voisins mis en place au début du siècle sera même étendu aux éditeurs de presse : « Les articles 11 et 12 étendent les droits prévus aux articles 2 et 3(2) de la directive 2001/29/EC aux éditeurs de publications de presse pour l'usage numérique de leurs publications ». Il s'agit là d'un des principaux points de crispation exprimés par les défenseurs des libertés informatiques et d'un internet ouvert et libre, avec la généralisation des « robocopyright » (article 13). Voir également l'analyse de Next INpact.
La sacralisation des mesures techniques de restriction des usages - ou DRM - reste plus que jamais d'actualité comme le confirme le septième considérant de principe du projet de directive : « La protection des mesures techniques établie dans la directive 2001/29/EC reste essentielle pour garantir la protection effective de l'exercice des droits accordés aux auteurs et autres ayants droit en droit de l'Union ». Les éditeurs de presse bénéficieront d'ailleurs de cette protection absurde (article 11) avec des conséquences encore difficiles à mesurer pour les logiciels libres. On peut par exemple s'interroger sur le sort des logiciels d'aggrégation de flux RSS.
La Commission ne semble pas non plus estimer que la reconnaissance d'un droit à interopérabilité, ou ne serait-ce que d'un simple droit au portage des données, soit utile à un « marché unique numérique ». Une des consultations, dont nous attendons toujours le résultat, portait d'ailleurs sur le « cadre de l'interopérabilité », mais elle ne semble pas avoir inspiré l'institution européenne. Et si, au sixième considérant de principe, le projet prend soin d'exprimer l'importance de « parvenir à un juste équlibre entre les droits et intérêts, des auteurs et autres ayants droit d'une part, et les droits des utilisateurs d'autre part », il ne semble considérer cet équilibre que via le prisme de quelques exceptions très encadrées (titre 2 du projet).
Enfin, de façon assez emblématique de l'évolution de ces dernières années sur tout ce qui concerne la réglementation des usages en ligne, le projet de directive marque la responsabilité croissante des intermédiaires techniques et une volonté nette de remettre en cause la distinction entre les notions d'éditeurs et d'hébergeurs. On notera ainsi que le Vice-président de la Commission, Andrus Ansip, lors de la conférence de presse du 14 septembre 2016 où a été annoncé ce projet de directive, a expliqué (vers 19min 30s) qu'il a été décidé « d'utiliser le principe de diligence (duty of care) pour clarifier quand les plateformes agissent comme intermédiaire neutre et quand elles vendent des produits à valeurs ajoutée ». Avec des notions aussi floues, gageons que la sécurité juridique des hébergeurs sera mise à rude épreuve. Lire également l'analyse de La Quadrature du Net.
Le calendrier n'est pas encore connu mais Gunther Oettinger, commissaire à l'économie et à la société numérique, a affiché sa volonté d'avancer rapidement sur ce dossier lors de la conférence de presse. Prochaine étape, le Parlement européen où les débats promettent d'être mouvementés tant le texte actuel semble être l'antithèse du rapport de l'eurodéputée Julia Reda remis en janvier 2015 sur demande de la Commission.
Les citations sont des traductions faites par l'April à partir de sources en anglais.
Mise à jour le 20 décembre 2016 : texte de la proposition de directive en français disponible ici au format PDF