Équipement informatique des écoles et plan école numérique rurale : retour d'expérience d'un prestataire informatique

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Merci à Pierre Yann Baco pour ce témoignage.

Témoignage d'un prestataire informatique pour les écoles

Juste pour clarifier: je suis un prestataire informatique (à moi tout seul :) ) spécialisé dans les (petites) collectivités locales. J'assure la maintenance (et la fourniture) de systèmes informatiques (hard/soft) pour les mairies et les écoles primaires, en matériel reconditionné et/ou en logiciels libres partout où c'est possible, sinon en matériel neuf et/ou logiciel privateur quand ça ne l'est pas (refus client où contrainte technique).

Enfants utilisant un ordinateur par Ralf Roletschek (d) - Fahrradtechnik auf fahrradmonteur.de, Wikis in der Schule (Travail personnel) - Licences FAL ou GFDL 1.2 via Wikimedia Commons
Je suis rémunéré par contrat de maintenance (télémaintenance et remote backup inclus si souhaité), ou lorsque j'effectue une prestation auprès d'une collectivité sans contrat. Je ne fais aucune marge sur la (re)vente du matériel, quand j'en fournis.

Je lis les fils d'April depuis des années, et je constate simplement que les prestataires commerciaux y sont peu présents ou peu visibles, à part peut-être l'équipe Ryxéo que je salue au passage.

Des clients légers pour les écoles.

Pour les écoles, je fournis des systèmes Ubuntu + LTSP sur serveur (toujours neuf) avec clients légers reconditionnés (parfois en dual boot Windows & GNU/Linux quand requis par les enseignants). J'y intègre "l'hérité-existant", à 99% Windows, via Samba, etc. Une formation-introduction à GNU/Linux et au libre est toujours proposée à l'équipe enseignante, et à ce jour a toujours été acceptée par chacune d'elle (et parfois sur son temps libre !). Cette formation est principalement orientée sur Gnu/Linux, et elle est très "concrète" (présentation de l'OS, des logiciels installés, arrêt/démarrage, administration premier niveau, petits outils comme Epoptes, trucs et astuces pour retomber sur ses pieds,etc).

L'aspect pédagogique n'est PAS abordé. Ce n'est PAS mon rôle. J'informe toujours le TICE responsable de l'école de ce que j'ai installé, quand, comment et pourquoi, pour qu'il puisse éventuellement organiser ensuite une formation interne sur l'usage pédagogique (ce qui est fréquemment organisé). J'assure ensuite une maintenance par contrat (faut bien que je me rémunère), incluant une visite préventive sur site par trimestre, le support téléphonique (et sur site en cas de panne hardware), ainsi que la télémaintenance 5/7 (mises à jour, contrôle des logs, backup/mirroring, etc). Bref, je fais simple, mais costaud et durable, et je n'ai pas l'impression de voler ma rémunération.

Mon rôle consiste à fournir aux enseignants une plate-forme qui marche, bien entretenue, peu coûteuse, et libre. Ce qui leur dégage du temps pour l'utiliser avec leurs élèves, et pas de le perdre à l'administrer. L'aspect pédagogique/éducatif reste sous leur seule responsabilité. A mon humble avis, aucun prestataire extérieur n'a d'ailleurs son mot à dire à ce sujet, si ce n'est que pour informer de l'existence de tel ou tel logiciel (libre) qui pourrait être utile à l'école.

Un de mes regrets est de voir souvent que l'usage de l'outil informatique en école primaire est limité par des problèmes de disponibilité ou de personnel. Quand on a une salle informatique de 15 postes et plus (lourd investissement pour une commune), il est TRES difficile de venir y travailler en classe complète avec un seul enseignant : coordonner/synchroniser l'emploi des postes par tous les élèves, au bon moment, dans le bon logiciel, relève de l'exploit ! et je ne vous parle pas de la saisie des login/pwd par 25 élèves de primaire (heureusement plus/pas nécessaire sous GNU/linux). Il y a encore quelques années, des assistants permettaient aux enseignants de travailler en 1/2 classe (et donc avec 1 élève par poste), pendant que l'autre moitié faisait autre chose... Ça fonctionnait très bien ainsi.

Ceci amène certaines écoles à passer aux "classes portables" : en fait ± 10 notebooks avec écran/clavier minuscules et sans pavé numérique se battant pour accrocher le Wi-Fi et aller simultanément sur Internet via ADSL pour jouer à des jeux pédagogiques en Flash (bref fiasco prévisible). Tout ça pour pouvoir rester dans la classe et surveiller tout son petit monde même si seulement 10 élèves peuvent travailler sur leur notebook. Sans compter les chutes de ces petits trucs fragiles (les notebooks, pas les élèves), irréparables ou alors à prix prohibitif.

Ravages du projet "École Numérique Rurale"

Il y a 2 ou 3 ans un projet "École Numérique Rurale" a fait des ravages avec ce type de classe portable dans les écoles de mon département. Des sociétés se sont même formées exclusivement pour packager le tout dans un meuble à roulette, livré sur palette, pas cher bien sûr, mais après, plus personne, vraiment personne pour gérer/maintenir le truc, dont 20% à 30% des postes étaient HS au bout d'un an. Des milliers d'euros partis en fumée...

Tout ça pour dire que SI au niveau d'une académie, il y a des TICE suffisamment formés et disponibles, pour 1°) valider l'expression des besoins d'une école primaire, 2°) vérifier les réponses-devis des prestataires locaux pour aider les communes à y voir clair, 3°) contrôler sur le long terme et sur site la pérennité des solutions libres déployées, il sera possible d'améliorer la situation du primaire. Il ne s'agit pas de faire du PPP (Partenariat-Public-Privé), mais de laisser à chaque partie (educ nationale, commune, prestataire) son domaine de responsabilité et de compétence.

Ceci ne requiert aucun investissement supplémentaire comparé à ce qui existe à ce jour. Seulement la mise en place d'une procédure, et la formation de certains TICE à cette procédure.

La mutualisation des efforts et des ressources au niveau des communes ou communautés serait l'idéal (et je suis d'accord sur ce point), mais sur le terrain, ce n'est pas demain la veille. Pour connaître en détail la complexité de mise en œuvre d'un simple syndicat mixte pour gérer les poubelles, je sais que faire la même chose au niveau des écoles relève de la quadrature du cercle : le "pré-carré" des écoles de chaque commune est beaucoup trop sensible (politiquement) pour voir un consensus apparaître rapidement: personne ne voit passer les poubelles, et les problèmes de containers sont simples à résoudre. Par contre les parents d'élèves sont TRES informés de ce qui se passe dans leur école, ils le font savoir et ils votent plus souvent là où est leur école que là où se trouve le dépôt des camions benne ou la déchetterie.

Crédits photos

Photo par Ralf Roletschek (d) - Fahrradtechnik auf fahrradmonteur.de, Wikis in der Schule (Travail personnel) - Licences FAL ou GFDL 1.2 via Wikimedia Commons

Note

Ce billet est issu des échanges entre abonnés à la liste éducation de l'April (vous pouvez vous y inscrire librement via une interface web). Il peut s'agir d'un message légèrement adapté, d'une compilation de messages, d'une information brève... L'objectif est de diffuser plus largement des interventions et réflexions intéressantes parues sur la liste éducation. Les positions exposées dans ces billets ne rejoignent pas forcément celles de l'April.