Entretien avec Frédéric Couchet et Alix Cazenave lors des journées du logiciel libre de Lyon

Entretien avec Frédéric Couchet et Alix Cazenave lors des JDLL de Lyon

Dans cette vidéo retrouvez un entretien avec Frédéric Couchet et Alix Cazenave mené par Patrice Berger (Radio Pluriel) lors des journées du logiciel libre de Lyon.

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Transcription

Patrice Berger: Nous voici avec Frédéric Couchet et Alix Cazenave d'April. April, cela donne une idée de printemps, est-ce le printemps des Logiciels Libres ?

Frédéric Couchet: Je dirai que le Logiciel Libre est des 4 saisons ; en tout cas, il est de toute l'année. Mais l'April, c'est l'association pour la promotion et la défense du Logiciel Libre.

Patrice Berger: C'est une association qui a une dizaine d'années ?

Frédéric Couchet: Plus exactement, 12 ans. Créée en 1996, par 5 étudiants de l'université de Paris 8.

Patrice Berger: Et qui s'est bien multipliée !

Frédéric Couchet: Qui s'est bien multipliée ! Nous sommes partis de 5, nous sommes aujourd'hui 2500, dont une centaine d'entreprises, 80 associations, 3 collectivités. Mais c'est important, parce que l'April a pour objectif, quelque part, d'être un peu l'UFC-Que Choisir du logiciel libre. C'est-à-dire que ce n'est pas la seule association du logiciel libre, mais c'est la principale, car la plus soutenue par ses membres et la plus active avec son équipe de 3 permanents. Ça en fait finalement l'acteur représentatif et écouté par les institutionnels.

Patrice Berger: "Écouté", ça veut dire que vous essayez de vous faire entendre des institutionnels pour quelle sorte d'objectifs ? C'est à la fois les institutionnels en tant que faisant des lois, des règlements, et en même temps en tant qu'institutionnels qui ont des administrations et qui elles-mêmes peuvent s'équiper ou choisir de ne pas s'équiper de logiciels libres. Donc il y a ces 2 dimensions de définition des règles et puis d'équipement, de définition des manières d'utiliser les logiciels ou non.

Alix Cazenave: Tout à fait ! Ce sont des institutionnels qui sont à la fois législateurs (qui créent les lois) et à la fois prescripteurs pour les administrations de l'État. Donc en tant que législateurs, nous allons essayer de les sensibiliser aux enjeux du logiciel libre pour qu'ils voient que le logiciel libre, c'est un potentiel pour la France, à divers points de vue, autant du point de vue de la souveraineté, de la maîtrise des systèmes d'information que d'un point de vue de potentiel économique, de compétitivité sur le marché du logiciel.

Actuellement, la France est extrêmement en retard, comme l'Europe d'ailleurs, sur les États-Unis, et nous ne sommes finalement que des suiveurs par rapport aux États-Unis sur le marché du logiciel. Or nous avons plus de la moitié des compétences mondiales en logiciel libre qui sont situées en Europe et plus particulièrement en France et en Allemagne. Donc nous avons un réel potentiel à exploiter de ce côté-là. Ensuite, c'est également un potentiel pour la société, parce que quand on éduque les gens aux technologies de l'information, qu'on leur donne les moyens de contrôler leur machine, on en fait des citoyens également plus avertis. Et ça permet de diffuser les technologies de l'information beaucoup plus largement que si on était soumis à des questions de licence. Vous voyez bien que quand il s'agit de mettre à jour son système d'exploitation, il y a une différence quand on doit payer et quand on ne doit pas payer. Les libertés d'usage sont extrêmement importantes de ce côté. Il y a cet aspect de législation où nous allons essayer de sensibiliser à la fois les ministres, le gouvernement et les parlementaires, pour qu'ils ne portent pas atteinte à l'écosystème du logiciel libre. Nous avons besoin d'un cadre juridique stable et neutre, nous ne demandons même pas de favoritisme, mais simplement que les 4 libertés du logiciel libre ne soient pas menacées par la loi.

Patrice Berger: 4 libertés ?

Alix Cazenave: Les 4 libertés, c'est la liberté d'utiliser le logiciel, de l'exécuter, la liberté d'étudier son fonctionnement, la liberté de le modifier pour son propre usage et de faire publier les modifications et la liberté de redistribuer des copies du logiciel. Et ces 4 libertés ont pu être menacées notamment par les brevets logiciels au niveau européen et également par la loi DADVSI en France, avec la protection juridique des DRM qui interdisait le contournement et qui posait un certain nombre de problèmes. Également par rapport à l'exception de décompilation et l'usage dans la sphère privée. C'est un petit peu technique tout cela, ce sont des questions qui sont beaucoup plus complexes juridiquement qu'elles ne le sont techniquement. Ce qui fait que finalement, nous arrivons à parler aux décideurs politiques, puisque que les problématiques techniques sont secondaires. Moi-même, je ne suis pas informaticienne, je m'intéresse aux problématiques techniques pour vraiment maîtriser tous les enjeux, mais l'essentiel réside dans les questions politiques et juridiques.

Le deuxième volet, comme vous en avez parlé, c'est le volet "Les pouvoirs publics comme prescripteurs". Et là, il y a également énormément de choses à faire au niveau de l'administration électronique, qui est en plein boum, qui est en train de se développer de manière absolument incroyable parce qu'on essaye de dématérialiser beaucoup de procédures, pour que les gens, tous les citoyens, puissent accéder à l'administration par Internet, remplir aussi bien des formulaires d'état civil que les procédures pour aller à la cantine. On connait déjà actuellement les procédures de télé-déclaration de l'impôt sur le revenu. Cela repose sur du logiciel libre. Ce qu'on essaye de faire valoir, c'est que pour l'administration électronique, il y a un certain nombre d'enjeux - la pérennité des données avec les formats ouverts, mais également l'accessibilité de tous aux services publics grâce à ces mêmes formats ouverts, grâce également aux logiciels libres qui utilisent les formats ouverts. Petit à petit les décideurs comprennent, parce que le logiciel libre devient aujourd'hui un vrai enjeu de société, que finalement ce serait bête d'aller dans une logique de location et d'exclusion de certains avec des logiciels propriétaires et des formats fermés, plutôt que d'aller vers une logique d'investissement et d'ouverture à tous avec des logiciels libres.

Patrice Berger: Quand on parle des écosystèmes du logiciel libre, il y a un écosystème plus général. Qu'est-ce qui fait qu'on est obligé de se déplacer pour des démarches administratives ou pas ? Et est-ce qu'il n'y a pas des modèles dans d'autres pays européens ? Je pense à des pays comme l'Estonie, par exemple, où on utilise encore beaucoup plus l'Internet ou des procédures administratives justement utilisant des logiciels qui sont souvent libres dans ces domaines-là. Est-ce qu'il n'y a pas encore des efforts à faire pour convaincre de l'importance d'utiliser ces techniques ?

Alix Cazenave: En France, nous avons surtout un problème d'historique. Nos collectivités se sont informatisées par elles-même, et elles ont fait appel à des éditeurs pour des logiciels métier très spécifiques, propriétaires évidemment, avec des formats fermés, et il leur faut un certain temps aujourd'hui pour faire la migration. C'est-à-dire déjà pour récupérer leurs données qui sont captives - à cause des formats fermés - donc les faire sortir de ces formats captifs pour les faire migrer vers des plates-formes plus globales où on ne va pas gérer simplement un aspect de la relation citoyen, mais on va pouvoir permettre au citoyen de gérer tout son dossier vis-à-vis de l'administration locale et des différentes entités qu'elle représente. Par exemple, cela veut dire que le citoyen demain va pouvoir aussi bien gérer son dossier d'état civil, ses demandes de papiers, que les demandes d'inscription de ses enfants à la cantine. Ce sont des choses très différentes, qui ne sont pas gérées par les mêmes entités au niveau administratif, par les mêmes services ; ces services-là aujourd'hui utilisent différents logiciels métier, propriétaires, avec différents formats fermés ; il y a un vrai enjeu d'interopérabilité qu'il va falloir résoudre. Aujourd'hui, le logiciel libre est la meilleure réponse à cela. C'est vrai que ce sont de gros chantiers, donc cela va demander du temps, de l'investissement, mais cet investissement-là, à partir du moment où il doit être réalisé, autant qu'il soit réalisé une bonne fois pour toutes, avec des formats ouverts qui offrent une pérennité pour les données qui vont être stockées dans ces logiciels, plutôt que de rester dans des formats captifs où les données ne seront pas pérennes. On voit bien que quand nous utilisons un logiciel propriétaire - je vais prendre l'exemple très connu du grand public de Word : les formats de Microsoft Word changent d'une version à l'autre, et d'une version à l'autre, on ne peut pas forcément relire ce qu'on avait fait il y a quelques années ; c'est la même problématique pour l'administration aujourd'hui : c'est de savoir que dans 5, 10, 20, 50 ans, on va pouvoir relire des données d'état civil parce que l'état civil, ça concerne les personnes de leur vie jusqu'à leur mort. C'est aussi les données du cadastre qui sont encore plus pérennes, qui ont une durée de vie beaucoup plus longue. Tout ça, c'est extrêmement important. Aujourd'hui, les collectivités en ont conscience mais leur problématique, c'est de faire avec l'existant et de passer à autre chose. Nous essayons de les accompagner vers le logiciel libre en les orientant dans leur choix vers les solutions qui seront les plus adaptées. Ce n'est pas évident, car il y a aussi beaucoup de pression du côté des logiciels propriétaires, parce que pour eux c'est un marché extrêmement juteux qui est vital, aujourd'hui. Tous les marchés professionnels, que ce soit dans les collectivités ou dans les entreprises, c'est également les utilisateurs qui sont concernés. On sait bien que quand un utilisateur utilise un outil particulier au bureau, c'est l'outil qu'il va préférer utiliser également chez lui. Donc il y a une manne financière pour les éditeurs de logiciels propriétaires qui fonctionnent sur une économie de rentes, il y a une manne financière considérable qu'ils ne veulent pas laisser comme ça.

Patrice Berger: Alors là, il y a une bataille qui est juridique, qui est commerciale, qui est économique et politique. Où est-ce que nous en sommes de cette bataille ? Il y a quand même des choses qui se jouent à Bruxelles ou à Strasbourg, dans les instances européennes, des choses qui se jouent peut-être même sur le plan mondial. Je ne sais pas très bien où nous en sommes à ce niveau. Est-ce que vous êtes optimistes ?

Frédéric Couchet: Déjà, de nature, nous sommes optimistes. On constate en fait que les acteurs qui sont décentralisés mais qui arrivent à coopérer à travers des alliances obtiennent des résultats. Nous parlions de l'Europe. Là, par exemple, il y a un collectif de structures type ONG qui ont réussi à sensibiliser des députés autour du fait que pour couper un accès Internet, il faut forcément passer par un juge. C'est un amendement qui a été voté au niveau du Parlement Européen, l'amendement 138, qui va à l'encontre exactement de ce que veut mettre en place le gouvernement français sous le nom de la riposte graduée, la loi Création et Internet. Et en fait, ces gens finalement sont des gens qui sont dans différents pays - il y a des français, des allemands, des belges, des espagnols, très actifs - qui se sont regroupés autour de moyens de communication type listes de discussion, wikis (c'est-à-dire des pages que les gens peuvent éditer très facilement), pour construire un argumentaire. Puis ils ont été voir des députés. Donc on constate dans l'expérience que quand on se déplace, quand on va exprimer nos problématiques, notre voix porte. Elle porte aussi pour une raison très simple, c'est que l'on va exprimer des problématiques qui nous sont proches, qui nous touchent réellement. Nous ne sommes pas des gens payés, professionnels, pour défendre une cause à laquelle on ne croit pas. Nous défendons une cause à laquelle nous croyons. Ce sont nos libertés fondamentales. Et ça, le politique est très sensible à ça. Ce qui a beaucoup marché sur les brevets logiciels, notamment lors des débats au niveau européen, c'est que des députés ont vu arriver des développeurs venant de pays, des gens ayant une PME/PMI qui venaient les voir en leur disant "Moi, les brevets logiciels, ça va me mettre en danger" et ils n'avaient pas l'habitude. L'habitude qu'ils avaient, c'était de voir des professionnels du lobbying venant défendre les intérêts de telle ou telle société. Là, ils avaient des gens directement impactés. Donc ça marche. Et c'est ce que nous essayons aussi de construire au niveau du logiciel libre, c'est une sorte de coalition internationale pour agir sur différents dossiers en montrant ce qu'on fait et en regardant ce que font les autres aussi. C'est-à-dire que nous, par exemple, nous avons sensibilisé la classe politique en 2007 dans l'initiative Candidats.fr, un site sur lequel il y avait un questionnaire que nous avons envoyé à l'ensemble des candidats à la présidentielle ; 8 des 12 candidats ont répondu. Nous avons fait la même chose pour les législatives sous une forme plus simple, que nous avons appelée le Pacte du Logiciel Libre ; 72 députés ont signé ce pacte. Pour les Européennes, nous allons lancer un site à destination de l'ensemble des candidats aux élections européennes, nous allons proposer des outils, une plate-forme, des textes en anglais permettant aux autres d'adapter ça à leur propre contexte, de traduire dans leur langue et d'aller voir leur propre candidat. Nous essayons d'agir aussi à ce niveau, même si à la base, nous sommes une association française et que nous nous concentrons aussi beaucoup sur la France, parce que c'est là où nous agissons. Et nous ne sommes que 3 permanents. Ce n'est que 2500 membres, nous ne sommes encore que 3 permanents.

Alix Cazenave: L'enjeu de ce genre de campagne, c'est à la fois de sensibiliser ceux qui seront nos élus, nos représentants démocratiques auprès des instances dirigeantes, mais aussi d'identifier les gens sur lesquels nous allons pouvoir compter dans des combats, parce que finalement, nous, nous ne sommes que des associations. En face, nous sommes confrontés à des forces financières considérables. Nous n'avons absolument pas les mêmes moyens d'action. Notre principal moyen d'action, c'est la force de nos convictions. Par rapport à cela, c'est vrai que c'est une aide très importante que de pouvoir savoir sur qui nous allons pouvoir compter, qui est sensible déjà à ces problématiques-là, qui va être d'une oreille attentive quand nous allons lui parler de la menace qui pèse sur le logiciel libre. C'est ça l'enjeu de ce genre de campagne. Nous espérons qu'à l'issue de la campagne des Européennes, nous aurons identifié un certain nombre de députés qui se seront déclarés en faveur de la promotion et de la défense du logiciel libre au niveau européen, pour éventuellement faire barrage à de nouvelles tentatives de légalisation des brevets logiciels, par exemple, ou d'autres lois type EUCD, qui a donné lieu à la loi DADVSI en France, qui vont porter atteinte aux 4 libertés du logiciel libre.

Patrice Berger: Vous parliez de trouver des unités, des alliances. Il y a des alliances qui peuvent se faire peut être du côté des consommateurs, de leurs organisations. Il y a des alliances qui peuvent se faire aussi du côté de la défense des libertés, parce que le logiciel libre, c'est peut être aussi le logiciel qui va permettre d'éviter des intrusions, d'éviter qu'au travers des ordinateurs, des surveillances se fassent à l'insu des personnes connectées. Donc il y a des alliances aussi qui peuvent se trouver de ces différents côtés, peut être du côté aussi du monde de l'éducation puisque vous disiez qu'il y a quelque chose qui est très important au niveau de l'éducation, non seulement des enfants mais aussi des adultes. Toutes ces dimensions, cela fait partie des regroupements que vous cherchez à sensibiliser et avec lesquels vous pouvez travailler ?

Alix Cazenave: Aujourd'hui, nous cherchons surtout à fédérer les différentes associations du Libre en Europe parce qu'il y a déjà d'énormes chantiers sur le logiciel libre en tant que tel. Et les gens qui travaillent déjà aujourd'hui dans différents pays européens sur les problématiques du logiciel libre, nous serions beaucoup plus efficaces, beaucoup plus puissants, si nous pouvions avoir une unité au niveau européen. Par ailleurs, c'est vrai que le logiciel libre intéresse et est une problématique connexe à d'autres problématiques de libertés. On a parlé des libertés numériques, tout ce qui est contrôle des données personnelles ; Là, Frédéric a parlé de la problématique de la coupure d'accès à Internet ; ce sont des problématiques qui sont connexes, qui ne concernent pas directement le logiciel libre. Nous soutenons ce genre de campagnes parce qu'effectivement, c'est très important aujourd'hui pour les libertés des utilisateurs de technologies de l'information. En même temps, nous avons déjà tellement de travail sur le logiciel libre que nous ne pouvons pas nous consacrer pleinement à ce genre de campagnes.

Sur l'éducation, c'est un peu différent parce que dans l'éducation aujourd'hui, nous avons une politique très agressive de la part de Microsoft pour préempter complètement le modèle éducatif d'aujourd'hui. Ça veut dire que par exemple, les enfants en école primaire vont être formés non pas à l'utilisation d'outils de manière générique, c'est-à-dire comment utiliser une navigateur web, comment utiliser un traitement de texte, etc., ils vont être formés à l'utilisation d'un logiciel spécifique. Or ça, ce n'est pas réellement de la formation à l'utilisation de l'informatique. C'est de la formation Microsoft. Ce n'est pas autre chose. Pourtant l'éducation à l'informatique, c'est bien au-delà de ça ; c'est non seulement de pouvoir avoir des utilisateurs qui seront adaptables et donc qui ne seront pas prisonniers d'un éditeur ou d'une solution plutôt que d'une autre - il ne s'agit pas même de favoriser le logiciel libre dans ce sens-là mais simplement dire qu'il existe différentes choses et que les utilisateurs doivent être capables de passer d'une plateforme à l'autre sans être complètement désorientés ; et d'autre part, c'est également le fait de connaître l'informatique, le fonctionnement de l'informatique en tant que tel : apprendre comment fonctionne une machine, comment est constitué un ordinateur, avec la carte mère, le disque dur, quels sont les éléments essentiels et comment tout cela communique et faire la différence entre le matériel et le logiciel, parce que ce sont deux choses très différentes. Quand on comprend déjà que le logiciel est indépendant du matériel et vice versa, on a compris déjà beaucoup dans l'informatique.

Frédéric Couchet: Je voudrais compléter très rapidement. Vous parliez des alliances, vous parliez des consommateurs. On a noué des alliances, en tout cas des discussions avancées avec l'UFC-Que Choisir, la CLCV, sur un dossier qui est très important, celui de la vente liée ordinateur-logiciel (justement, on fait la séparation !) sur le fait que quand on va aujourd'hui dans un grand magasin et qu'on veut acheter un ordinateur, il est pré-installé avec Microsoft Windows. On paye, on ne sait pas ce qu'on paye et on ne peut pas avoir le choix de "l'optionalité", c'est-à-dire "je ne veux que la machine", ou éventuellement "je veux la machine avec le système d'exploitation mais pas la suite bureautique parce que je veux installer OpenOffice". Nous avons discuté et nous avons noué des alliances avec des associations de consommateurs sur ce dossier-là, ce qui a permis d'avancer sur plusieurs fronts par rapport aux institutionnels. Au niveau de l'éducation, nous avançons aussi avec des associations spécialisées comme l'EPI par exemple : nous avons rencontré différents acteurs ensemble pour leur expliquer effectivement la problématique de l'enseignement de l'informatique à l'école, de l'enseignement par l'informatique. Nous essayons effectivement de mener des partenariats sur ces dossiers-là. Comme disait Alix, c'est vrai qu'il y a des dossiers qui nous touchent directement comme tout ce qui concerne les libertés individuelles et le respect de la vie privée sur Internet, mais nous ne pouvons pas traiter tout parce que cela ne concerne pas directement le logiciel libre. Nous essayons d'aider autant que nous le pouvons. Il y a une convergence, après c'est une question de priorité et c'est pour cela que le jour où nous serons, peut être, je ne sais pas, 15 permanents à l'association, peut être que nous pourrons faire ça. Ou plutôt j'espère qu'un jour il y aura une association de défense des libertés du numérique en France ou en Europe, qui aura les moyens de s'occuper de ces dossiers-là.

Fabrice Berger: Vous parliez de cette dimension internationale. Ce sera peut être ma dernière question, parce que le temps passe. Vous parliez de l'Europe, il y a aussi toute une dimension dans le reste du monde, puisque que nous sommes tout à fait interdépendants sur toutes ces questions où il y a à la fois le logiciel qui peut circuler un petit peu partout et des matériels qui sont souvent un peu les mêmes dans le monde entier. Il y a en décembre à Paris un forum du Libre ?

Frédéric Couchet: Oui, il y a un forum mondial du Libre. Je vais laisser Alix qui s'occupe d'une partie du programme en parler. En fait, l'idée est d'essayer de réunir sur deux jours un certain nombre d'acteurs, industriels et institutionnels, autour des enjeux stratégiques du logiciel libre, à la fois économiques, sociaux et politiques. Il y aura un focus assez important sur le Brésil. Le Brésil est un pays qui fait beaucoup de choses en faveur du logiciel libre. Il y aura toute une délégation brésilienne qui va venir présenter ce qu'ils font. L'idée de cette rencontre sur deux jours, c'est aussi de travailler à une "roadmap", c'est-à-dire un document pour voir où le logiciel libre va aller dans les années à venir et ce qu'il faut mettre en place pour l'aider, pour l'accompagner et pour préserver et développer son écosystème. On fait partie du comité de pilotage de cet événement et Alix s'occupe, dans le cadre du comité de programme, de la partie Politique Publique qu'elle va développer.

Alix Cazenave: Effectivement, cette feuille de route que nous allons produire va regrouper les différents thèmes. Ils sont très larges, je m'occupe du thème Politique Publique mais il y a également les thèmes sur les innovations de rupture, sur l'emploi, sur les modèles aujourd'hui de "cloud computing", de "software as a service". Ce sont les services qu'on offre aujourd'hui sur le Web, où on a des logiciels qui sont hébergés et qu'on utilise en mode hébergé au lieu de les utiliser en local, chez soi. Cela apporte du service au-delà du logiciel, c'est un nouveau modèle économique qui est en pleine expansion aujourd'hui et sur lequel il faut évidemment réfléchir, pour voir quelle est la meilleure stratégie pour le logiciel libre. Ce sont des exemples.

On a parlé du focus sur le Brésil. Aujourd'hui, notre objectif, c'est de produire la feuille de route à la fois pour satisfaire les évolutions nécessaires du logiciel libre aujourd'hui, pour qu'il soit compétitif, pour qu'il reste compétitif par rapport au secteur informatique en général ; mais également, ce que l'on va demander aux acteurs de mettre en œuvre, pour que le logiciel libre soit encore mieux, encore plus compétitif, encore plus performant. Dans mon thème Politique Publique, nous allons demander aux pouvoirs publics de mettre en œuvre un certain nombre de mesures, aussi bien du côté législatif - je vous ai parlé du problème du cadre législatif qui doit être stable et neutre - que de la politique industrielle ou du développement de l'administration électronique (que va faire la commande publique en matière de logiciel ? cette logique d'investissement par rapport à la logique de location que nous avons avec les logiciels propriétaires), et puis évidemment tout ce qui relève des problématiques "sociétales" - donc l'éducation, la réduction de la fracture numérique... ce sont des thèmes qui vont être extrêmement importants dans cette feuille de route.

Fabrice Berger: Très bien. Ça fait beaucoup de travail et on espère que vous allez bien avancer là-dedans, pour le bénéfice de tous, parce qu'on est bien tous concernés par ces évolutions. Merci !