Enquête de « Cash investigation » sur l'Open Bar Microsoft / Défense le 18 octobre 2016

Image extrait reportage Cash Investigation L'édition du 18 octobre 2016 du magazine de France 2 Cash investigation (diffusion à partir de 20h55) a pour titre « Marchés publics : le grand dérapage ». Avec, au programme, un reportage sur le contrat « Open Bar » passé entre Microsoft et le ministère de la Défense. L'April a beaucoup travaillé ces dernières années sur ce dossier « Open Bar ». Ne doutons pas que cette enquête mettra bien en lumière, aux yeux d'un public le plus large possible, les risques inhérents à un tel contrat et qu'il apportera de nouveaux éléments.

Un extrait de l'enquête est en ligne sur le site du magazine (et accessible aussi sans Flash).

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Pour rappel, ce contrat-cadre, passé en 2008 (pour l'accord cadre) et 2009 (pour le marché subséquent) sans appel d'offres ni mise en concurrence, permettait, pendant toute la durée du marché (4 ans), un droit d’usage d’un certain nombre de produits Microsoft et de services associés. Il avait été signé malgré de nombreux avis défavorables, faisant fi des principes relatifs aux achats publics, et ce, dans le plus grand secret.

L'acte d'engagement du marché, conclu pour 4 ans, prévoyait :

  • 85 € HT pour la concession de droits d'usage (par an et par poste)
  • 15 € HT pour les services (par an et par poste)
  • Pour un nombre minimum de 170 000 postes informatiques et pour un nombre maximal de 240 000
  • l'acte d'engement valant commande pour 188 500 postes informatiques, ce nombre étant ajustable chaque année

Le contrat prévoit aussi la possibilité de lever une option d'achat au terme des 4 ans du contrat. Le montant de cette option d'achat étant de 85 € HT multiplié par le nombre de postes multiplié par 1,5.

Ce type d'offre « Open Bar » avait été révélé en 2008 par le site Next INpact (qui s'appelait à l'époque PC INpact). En février 2013, le site révélait la renégociation en cours de ce contrat pour la période 2013-2017.

Ce dossier a beaucoup occupé l'April ces dernières années. La presse s'y est également beaucoup intéressée et en particulier : Next INpact, Mediapart, le Vinvinteur, Le Canard Enchaîné. Et aujourd'hui, c'est le tour de Cash Investigation.

Ci-dessous un rappel chronologique depuis la signature du contrat initial, passant par des éléments concernant le renouvellement du contrat en 2013 ainsi que celui à venir, probablement en 2017.

Rappel chronologique sur la signature du contrat initial

Par lettre n°375/DEF/DGSIC/SDAI/DR-SF du 20 juin 2007 la direction générale des services d'information et de communication (DGSIC, placée directement sous l’autorité du ministre de la Défense) transmet à de nombreux destinataires (dont le chef d'état major des armées, le directeur de cabinet du Ministre de la Défense) un « guide pour la mise en place de partenariats avec les éditeurs de logiciels » soulignant l'intérêt pour le ministère de la Défense d'établir avec Microsoft une « relation privilégiée ».

Par lettre n°457/DEF/DGSIC/DAT/DR du 13 juillet 2007, le DGSIC mandate un comité de pilotage composé notamment de représentants de la DGSIC, de la DIRISI (direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'informations de la défense française), de l'EMA (État-major des armées) pour étudier la proposition Open Bar de Microsoft. Le comité de pilotage est présidé par le directeur adjoint de la DGSIC.

Un groupe de neuf experts (DGSIC, EMA, SGA, DIRISI) est constitué pour faire une analyse de risques à destination du comité de pilotage. Ce groupe d'experts conclut dans son rapport (lettre n°184/DEF/DGSIC/SDAI du 18 janvier 2008 et son annexe) que « compte tenu des risques élevés et du surcoût par rapport à la situation actuelle, le groupe de travail déconseille la contractualisation sous forme de contrat global [le contrat Open Bar proposé par Microsoft] sauf à le limiter au périmètre de la bureautique ».

Ces éléments sont déjà connus et les conclusions du groupe d'experts rendaient difficilement compréhensible la signature au final du contrat Open Bar proposé par Microsoft. Les documents que nous avons reçus, suite à plusieurs demandes d'accès aux documents administratifs en 2013 éclairent le processus de décision.

L'un de ces documents est la note n°305/DEF/EMA/EPI/PSIOC/NP du 15 février 2008 écrite par l'EMA à la DGSIC. Dans cette note l'EMA critique l'analyse de valeur sur les dangers de la contractualisation en Open Bar proposée par Microsoft, étude pourtant réalisée par le groupe de travail piloté par la DGSIC. L'EMA explique sans aucun argument probant que de telles conclusions sont « partiales » et « difficilement vérifiables et exploitables ». L'EMA précise ensuite que « pour se conformer aux orientations ministérielles », il recommande de « poursuivre la démarche de contractualisation avec la société Microsoft », ignorant donc les risques soulevés par l'étude de la DGSIC.

Le second document est la fiche n° 513/DEF/DGSIC/DA-AT du 30 mai 2008 écrite par le directeur adjoint de la DGSIC, par ailleurs président du comité de pilotage du groupe de travail. Cette fiche n° 513 fait référence aux travaux du groupe de travail (lettre n°184/DEF/DGSIC/SDAI du 18 janvier 2008) mais elle en dénature les conclusions, notamment relativement aux différentes options de contractualisation possibles. Les nouvelles conclusions aboutissent à son innocuité relative, alors que le groupe d'experts déconseillait fortement l'option Open Bar et préconisait une contractualisation limitée au périmètre de la bureautique.

Les documents reçus (notamment les n° 513 et n° 305) sont intéressants car ils montrent que le choix d'un contrat Open Bar fait bien suite à une décision politique qui a visiblement été prise en amont des études sur la faisabilité et les risques. Et ces mêmes études pourtant réalisées par les plus hautes autorités nationales concernant les armées et la Défense ont été ignorées puisqu'elles ne correspondaient pas à des décisions déjà prises.

Sur la base de ces deux dernières notes, l'une rejetant sans justification les conclusions du groupe d'experts, l'autre les dénaturant, le directeur général des services d'information et de communication écrit un courrier au chef d'état-major des armées (lettre n°514/DEF/DGSIC/DA/AT du 30 mai 2008) demandant de valider les autorisations d'engagement pour le contrat Open Bar, et transmettant un résumé (édité) de l'analyse des risques signé par la DGSIC (la fiche n°513/DEF/DGSIC/DA-AT sus-citée). Le marché de maintien en condition opérationnelle des systèmes informatique exploitant des produits de la société Microsoft avec option d’achat est donc signé.

On peut enfin noter que les conclusions du groupe d'experts de la DGSIC sont disponibles grâce à la publication sur le site de l'émission « Le Vinvinteur ». En effet, nous avions fait une demande CADA pour obtenir l'ensemble de l'étude, mais les documents avaient été noircis, nous empêchant d'en prendre connaissance.

Éléments concernant le renouvellement du contrat en 2013

Fin décembre 2013, le ministère de la Défense a donné suite à notre demande de communication de documents administratifs sur le contrat « Open Bar » passé avec Microsoft. Nous avons donc reçu le nouveau contrat pour la période 2013-2017, ainsi que l'acte d'engagement du marché subséquent et la note du secrétariat général pour administration portant sur le renouvellement de l'accord-cadre. Ces documents confirment que le contrat « Open Bar » a bien été renouvelé en 2013 et, malgré un caviardage important, donnent quelques éléments sur la taille du contrat, ainsi que sur la dépendance toujours plus grande du ministère de la Défense à Microsoft. Malgré les changements à la tête de l'État et dans les administrations depuis 2012, la politique de partenariat privilégié avec Microsoft se poursuit.

Médiapart s'était saisi du dossier fin 2013 en publiant une enquête de Jérôme Hourdeaux, journaliste à Médiapart et une lettre ouverte de l'April au président de la République.

L'April a reçu, en juin 2014, un nouveau document concernant l'Open Bar Microsoft/Défense, venant de la Commission consultative des marchés publics, organisme qui a pour but d'aider les acteurs publics dans leurs démarches autour des marchés publics. Cet avis, qui ne lie pas l'administration, permet cependant d'avoir des précisions juridiques sur des projets de contrats publics.

Fin 2015, la réponse du ministère de la Défense à une nouvelle demande de communication de document permet de sous-entendre que la décision politique de renouveler en 2017 le contrat pourrait avoir déjà été prise alors que ce dossier a pourtant fait polémique jusque dans les rangs des militaires.

Pour plus d'informations sur le dossier « Open Bar » :