Brevet unitaire : en France aussi, la politique de l'autruche domine

Paris, le 14 novembre 2012. Communiqué de presse.

Le 13 novembre 2012, la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale devait discuter du brevet unitaire, avec la présentation d'un rapport d'information par les députés Jacques Myard et Audrey Linkenheld. À la place, nous avons assisté à la reprise des antiennes de la Commission européenne et de l'Office européen des brevets (OEB) sur l'importance politique de la création du brevet unitaire. Tout juste a été mentionné le fait que la Cour de justice de l'Union européenne risquait fort d'annuler le projet en raison de son incompatibilité avec les traités fondamentaux de l'Union.

L'April regrette l'aveuglement complet de la part des députés ayant présenté le projet : tout à la certitude que la France garderait une place importante dans le dispositif, les dangers que le brevet unitaire représente pour l'innovation et pour le contrôle démocratique ont été totalement évacués.

L'intervention de Jacques Myard avait pourtant bien commencé, avec le rappel sur la nature anti-concurrrentielle du brevet, qui est utilisé comme une arme par de nombreuses entreprises, en premier lieu dans le domaine logiciel.1 Mais son propos s'est concentré sur le fait que le projet est depuis longtemps en cours de discussion, et qu'il était crucial de parvenir à un accord, même si celui-ci était instable juridiquement. Selon lui, le brevet est politique et non pratique, politique, puisque le système actuel répond déjà à 95% des besoins et qu'il avait de fort doutes quand au fait que le brevet unitaire permettrait de baisser les coûts.

Audrey Linkenheld s'est concentrée dans son intervention sur la place accordée à la France avec la nouvelle juridiction unifiée : le français reste une des langues de références, et le siège de la juridiction unitaire sera à Paris. Selon elle, c'est une justification suffisante pour accepter le projet. La députée s'est également félicitée que le droit matériel applicable aux brevets contenu dans la Convention sur le brevet européen (CBE) ne soit pas modifié, créant une structure hybride et probablement illégale au regard du droit européen. Sur ce point, on peut d'ailleurs noter que le European Scrutiny Committee britannique, équivalent de la Commission des affaires européennes outre-Manche, avait souligné l'illégalité de ces modifications2, également rejetées à l'unanimité par le Parlement européen. Elle ferme ainsi volontairement les yeux sur l'absence de tout contrôle démocratique, et sur les risques de brevetabilité du logiciel engendrés par le nouveau système juridictionnel qui mettra en œuvre ces dispositions3.

Lors de la séance de questions, elle s'est d'ailleurs félicité que l'office Européen des brevets ne soit soumis à aucun contrôle démocratique avec le nouveau dispositif : au contraire, et alors que la Grande Chambre de l'OEB avait elle-même demandé au législateur de reprendre la main face aux dérives de brevetabilité à tout va de l'Office, le nouveau système exclut d'autant plus toute redéfinition du champ de la brevetabilité.

« Un tel aveuglement est inquiétant, d'autant que de très nombreuses voix, venant aussi bien d'universitaires, comme l'Institut Max-Planck, que d'entreprises, et même du Conseil économique et social européen, se sont pourtant élevées pour dénoncer les dangers du projet. Les députés connaissent ces dangers, puisque Gérald Sédrati-Dinet, expert bénévole sur les brevets à l'April, avait été auditionné, mais ils ont préféré jouer la politique de l'autruche » regrette Jeanne Tadeusz, reponsable des affaires publiques à l'April. « Pour un symbole politique, on fait courir un réel risque à l'innovation et à la liberté de programmer en Europe, en mettant en place un système anticoncurrentiel, sans aucun garde fou démocratique. »

« L'exposé de ce rapport sur le brevet unitaire est révélateur de l'esprit de clochers surplombant les responsables politiques européens » conclut Gérald Sédrati-Dinet, expert bénévole sur les brevets à l'April. « Peu importe le fond de ce que l'on décide, peu importe la légalité même du texte. Puisque Paris a gagné le siège de la division centrale de la Cour unifiée des brevets – qu'elle devra cependant partager avec Londres et Munich, et se soumettre à la Cour d'appel basée au Luxembourg – la France aurait tout à y gagner. Tant pis si le texte accroît dramatiquement le danger des brevets logiciels en Europe. Au mieux, cela est pour le moins incohérent et inconséquent de la part d'élus de la commission des affaires européennes. Au pire, c'est tout bonnement inacceptable pour les citoyens qui se sentent véritablement européens et pour les entreprises qui désirent réellement un brevet de l'UE ! »

Cependant, la balle est toujours dans le camp des députés européens de la Commission des affaires juridiques, qui a refusé à plusieurs reprises les plus grosses violations du droit européen dans ce dossier et qui doit désormais se prononcer avant tout accord. Il reste donc essentiel de contacter les eurodéputés pour les informer du danger que représente le brevet unitaire, et de les sensibiliser aux nombreuses critiques du projet actuel, malgré le déni dont elles ont fait encore aujourd'hui l'objet. Les entreprises peuvent également signer la résolution proposée par l'April à cet effet.

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Gérald Sédrati-Dinet, conseiller bénévole sur les brevets, gibus@unitary-patent.eu +33 6 60 56 36 45