Le Verbe est le Sens

Par Sébastien Blondeel

Pour mieux servir la GPL, cessons de l'évoquer dans des contextes où elle ne s'applique pas.

«GPL»[1]... quelles syllabes pratiques, quel mot rapide à écrire ou prononcer: on pense être plus précis et rapide ainsi qu'en utilisant une périphrase quelconque utilisant le mot «libre». C'est une erreur.

Le danger, c'est qu'à force d'en parler sur un ton badin, en plaçant tout et n'importe quoi verbalement «sous GPL», on éduque peu ou mal les nouveaux venus, et qu'on risque de gaspiller les quelques secondes d'attention, les quelques mots qu'on a pour s'exprimer, avec un terme mal choisi.

Même un esprit ouvert, curieux de comprendre ce désormais fameux «logiciel libre», risque de prendre un abus de langage malencontreux pour l'opinion de la «communauté du logiciel libre», et d'être effrayé à l'idée qu'on puisse imaginer de laisser librement modifier le texte d'une conférence, ou la Loi, pour reprendre des anecdotes personnelles, et de les rediffuser ensuite. Quant à l'observateur malveillant, on lui offre sur un plateau de quoi citer hors contexte, nous faire dire ce qu'on n'a pas dit, et causer un tort[2] qu'on ne pourra réparer. Dans la communication-choc moderne, où 'the medium is the massage', le Verbe est devenu le Sens.

La GPL: fréquemment citée, rarement lue, encore moins comprise. Il n'a jamais été question de proposer ou d'exiger d'y placer tout et n'importe quoi. Elle s'applique exclusivement aux programmes d'ordinateurs[3]. Si on souhaite appliquer la GPL hors de son champ d'action initial, il faut que ces excursions se limitent aux informations techniques, d'intérêt général. Une licence, comme la vérité, est relative aux objets sur lesquels elle porte.

Richard Stallman a d'ailleurs récemment donné une intéressante conférence[4] à ce sujet, distinguant trois types d'oeuvres:

1/ les travaux «fonctionnels» --- programmes, recettes, dictionnaires ou textes de référence --- pour lesquels l'intérêt général milite en faveur de la publication et des amendements.

2/ les travaux exprimant une opinion, une position, relatant des faits historiques. Il est hors de question de permettre à n'importe qui d'en publier des versions modifiées! RMS montre encore l'exemple en plaçant ses textes relevant de cette famille sous une licence de type «copie verbatim autorisée, pourvu que cette notice soit présente»[5].

C'est bien évidemment à cette catégorie qu'appartiennent les contrats de licence (comme la GPL), ou les définitions de normes pour lesquelles il n'est pas souhaitable que quiconque les modifie, puisque cela reviendrait à les vider de leur sens.

3/ enfin, les créations artistiques, qui sont des produits «finals», et non pas des outils comme le sont des programmes: il n'y a pas ici de raison valable de les modifier, ne serait-ce que d'une virgule --- puisque le style, c'est l'homme. On peut imaginer de les redistribuer de façon privée. Quant à s'en inspirer ou aux 'remakes', c'est ainsi que de grands auteurs ont fait survivre des oeuvres dont l'original a sombré dans l'oubli, alors pourquoi pas ? L'Histoire jugera.

L'ambiguïté de 'free' en anglais a généré un gaspillage de temps et d'énergie en disputes stériles. Les mots «hacker». «logiciel libre», «Open Source», sont eux aussi en train de nous échapper, et sont de plus en plus employés n'importe comment, à tel point qu'il faut presque les définir à chaque utilisation si on veut être sûr d'être compris. Ne nous créons pas de nouveaux mots-valises, qui ne veulent plus rien dire, et ne donnons pas l'impression d'exiger des choses stupides ou impossibles en mélangeant ces catégories. Nous avons tous une part de responsabilité.

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Références :