États-Unis : la Cour Suprême limite le champ de la brevetabilité. Quel impact pour l'Europe et les brevets logiciels ?

Le 20 mars 2012, la Cour suprême américaine a rendu sa décision dans l'affaire Mayo c. Prometheus1. Elle y fait un salutaire rappel de la limitation du champ de la brevetabilité, en y rappelant que les lois de la nature, tout comme les phénomènes naturels et les idées abstraites, ne sont pas brevetables et que la limitation du champ de la brevetabilité est indispensable pour l'innovation.

« La Cour Suprême américaine vient de rappeler que les intérêts de quelques-uns à tout breveter ne peut primer sur les droits fondamentaux » explique Gérald Sédrati-Dinet, conseil bénévole sur les brevets à l'April. « N'en déplaise au microcosme des brevets en Europe, cette décision souligne à quel point il est important que toute juridiction des brevets soit soumise à une cour suprême indépendante : c'est un rappel salutaire quand on voit les tentatives de détournement dont le brevet unitaire fait l'objet. »

La décision porte précisément sur un brevet, que la Cour a rejeté, à propos d'un procédé médical appliqué à un médicament spécifique (sur son administration, la mesure de ses effets et l'adaptation de son dosage si le médicament est surdosé ou sous-dosé). L'affaire a été portée devant la Cour suprême car le brevet s'appuie sur une « loi de la nature », qui fait partie des exceptions à la brevetabilité en droit américain, avec les phénomènes naturels et les idées abstraites (c'est dans cette dernière catégorie que se rangent les logiciels). Si la décision ne dit pas grand chose sur les brevets logiciels2, elle nous apporte tout de même deux enseignements importants3.

Étude du champ de la brevetabilité

Tout d'abord, la Cour suprême est allée contre l'avis du gouvernement américain et a retoqué l'idée qu'il n'y avait nul besoin d'examiner la brevetabilité du sujet en question (lois de la nature), car le brevet pouvait être rejeté sur d'autres bases (absence de nouveauté et/ou de description suffisante). La question du champ de la brevetabilité, et du fait que l'invention en question soit réellement brevetable, est donc remise au premier plan, et ce contre la politique de la juridiction spécialisée américaine (CAFC, Cour of Appeal of the Federal Circuit - Cour d'appel du circuit fédéral) qui se gardait de poser la question.

Cette politique de la CAFC est semblable aux pratiques de l'Office européen des brevets et de certains offices ou tribunaux nationaux des brevets (notamment en Allemagne), qui se contentent d'examiner les critères de nouveauté au détriment de la question de ce qui est brevetable ou de ce qui ne l'est pas. Ici, la Cour suprême affirme clairement que le mélange des critères de rejet ne permet pas de filtrer tous les brevets qu'il faudrait rejeter. En d'autres termes, et contrairement à une pratique récente, la question de l'appartenance de l'invention au champ de la brevetabilité doit être examinée à part.

Importance d'un recours devant une Cour suprême

Ensuite, il faut noter que la Cour suprême a rejeté un brevet qui avait été accordé par l'Office des brevets américain, puis invalidé par un tribunal de première instance, mais rétabli par la Cour d'appel spécialisée s'occupant de toutes les affaires de brevets aux États-Unis, la CAFC.

Dans le même temps, avec le brevet unitaire, l'Union européenne est en train de mettre en place une cour unifiée et spécialisée en brevets. Un des enjeux essentiels est de faire reconnaître que les décisions de cette future cour spécialisée doivent être soumises au contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), seule à même de rendre des jugements équilibrés et proportionnels lorsque le droit des brevets se heurte à d'autres domaines juridiques, comme le droit de la concurrence ou les libertés fondamentales. Et nos opposants du microcosme des brevets (avocats, juges, offices des brevets) s’échinent à imposer exactement le contraire : une implication a minima de la CJUE afin que tout soit décidé par des « juges du sérail ».

La décision de la Cour suprême des États-Unis montre ainsi combien il serait dangereux (entrave à la recherche médicale) de laisser à un tribunal spécialisé en brevets le soin de décider en toute autonomie de l'interprétation du droit des brevets. C'est d'ailleurs ainsi que se conclut la décision de la Cour suprême américaine :

« La protection par brevet est, après tout, une arme à double tranchant. D'une part la promesse de droits exclusifs fournit des incitations monétaires qui conduisent à la création, à l'innovation, à la découverte. D'autre part, cette même exclusivité peut entraver la circulation de l'information qui pourrait permettre, et même stimuler, l'invention, en augmentant par exemple le coût de l'utilisation des idées brevetées une fois qu'elles ont été créées. »

Alors que la position américaine, initialement en faveur des brevets logiciels, évolue pour faire face aux dérives que ces derniers entraînent, la France et l'Union européenne semblent vouloir prendre la direction inverse, au détriment de l'innovation et de la concurrence. Il est donc plus important que jamais de s'informer et d'agir contre les brevets logiciels et le brevet unitaire.

« La Cour suprême des États-Unis vient de mettre une claque à ceux qui croyaient pouvoir tout breveter », conclut Jeanne Tadeusz, responsable des affaires publiques à l'April.« Pour la France et l'Europe, c'est une piqûre de rappel sur les dangers du brevet logiciel, qui est la plus grande menace pour l'innovation dans l'industrie du logiciel. Nous attendons donc des engagements forts des candidats à l'élection présidentielle et le questionnaire Candidats.fr leur permettra de préciser leur vision sur ces points ».

Pour plus d'information, n'hésitez pas à consulter le site http://www.brevet-unitaire.eu sur le brevet unitaire et le cahier candidats.fr pour tout savoir des dangers que représentent les brevets logiciels.

À propos de l'April

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Gérald Sédrati-Dinet, conseiller bénévole sur les brevets, contact@unitary-patent.eu +33 6 60 56 36 45